Que la pratique sportive soit répandue à l’échelle de la planète ne fait aucun doute mais P.Gillon, F.Grosjean et L.Ravenel, maîtres de conférences à l’université de Franche-Comté, signalent l’impossibilité d’en rendre réellement compte faute de données existantes ou viables. De ce fait, ils précisent en introduction que « leur sport mondial » sera le sport institutionnel et de compétition pour lesquels les ressources ne manquent pas. Et les auteurs de se demander, en préambule et au fil des pages, si, derrière l’apparente mondialisation et uniformisation du et par le sport, des dynamiques plus complexes ne s’observent pas.

Pour mémoire, sont rappelées au lecteur les grandes lignes de la diffusion du sport. Les Etats-Unis, le Japon mais principalement l’Europe impériale, et avant tout Le Royaume-Uni de l’ère industrielle, diffusèrent leurs pratiques sportives par l’intermédiaire de leurs marchands (Hans Gamper, homme d’affaires suisse fonda le FC Barcelone), leurs militaires, leurs religieux sur leur continent puis dans le reste du monde. Cette phase s’accompagna d’une codification et d’une institutionnalisation des pratiques symbolisées par la création du CIO ou encore de fédérations internationales telles la FIFA. Aujourd’hui le monde sportif semble fini comme le révèle les cartes des participants aux JO de Pékin et celle des sports dans les milieux naturels : pratiqués par tous, partout. Mais cette diffusion « universelle », que le football illustre le mieux, n’est pas réelle : des territoires restent ignorés des institutions sportives, d’autres concentrent les organes de décision du sport mondial (la Suisse) et la question « l’Afrique peut-elle produire des champions en natation » consacre l’absence de diffusion véritablement uniforme et dessinant des cartes sur le modèle centre/périphérie.

Rapidement les états, réceptacles des sports diffusés, comprirent toute la force du phénomène sportif et tout l’intérêt qu’ils pouvaient trouver à participer (ou ne pas participer, cas des boycotts olympiques de 1980 et 1984) à une compétition d’envergure mondiale. Du besoin de reconnaissance des nouveaux états indépendants post-période coloniale ou soviétique aux dictatures en tous genres souhaitant magnifier une idéologie, un mode de gouvernement en passant par les états dits émergents soucieux de se faire une « place au soleil » ou ceux voyant dans le sport le seul moyen d’apparaître sur la carte du monde, aucun état ou presque n’a ignoré le pouvoir médiatique du sport. Il en est ainsi de la Chine se spécialisant dans les sports olympiques féminins avec pour objectif, atteint, d’être la nation la plus médaillée lors de ses JO, d’états africains trustant les podiums dans le demi-fond et le fond (Ethiopie, Kenya). Exister pour la compétition donc mais aussi par la compétition car en accueillir une, c’est s’assurer, du moins pour les épreuves reines, d’une médiatisation massive mais aussi se voir confirmer sa nouvelle «puissance » ; le Brésil sera ainsi, et ce malgré un dossier bancal, premier pays d’Amérique du Sud à accueillir les JO en 2016, deux après la coupe du monde de football. Exister par la compétition, c’est aussi un moyen de rassembler des populations autour d’une langue (jeux du Commonwealth), d’une religion (les Maccabiades), et donc d’exclure.

Ce pouvoir d’attraction du sport n’a pas manqué d’intéresser le monde de l’économie qui par son poids, ses investissements a contribué à amplifier la diffusion et à nourrir l’intérêt pour les sports. Logiquement les auteurs commencent par les médias ; la télévision (et maintenant l’Internet) a changé la donne en permettant désormais à tout un chacun de voir telle rencontre, telle compétition et les audiences cumulées dont se vantent les diffuseurs ne font que le confirmer. Mais, sans parler de la réelle possibilité pour tous de voir un événement (posséder une télé, avoir accès à l’électricité), il convient de nuancer l’idée d’un accès universel car, de par l’argent qu’ils investissent, les diffuseurs deviennent en partie donneurs d’ordres en imposant des horaires aux compétitions les plus rentables en termes d’audience (les finales de Mickael Phelps programmées aux heures de grande écoute aux Etats-Unis), limitent l’accès dans le cas de chaines ou d’évènements payants (Canal + et la Ligue 1 ; le Superbowl). A côté et avec les médias, les sponsors investissent pour des raisons d’images ; ils soutiennent des fédérations, des sports, des compétitions, des joueurs, s’affichent sur les équipements et ces entreprises vont jusqu’à donner leurs noms à des équipements sportifs ; le naming déjà très développé dans les ligues professionnelles nord-américaines gagne l’Europe où le stade d’Arsenal porte le nom d’Emirates Stadium. Un tel intérêt pour le sport amène à toujours repousser ces limites :
– Ethiques bien sûr, le dopage n’est pas nouveau (cf l’histoire du tour de France) mais il s’est médicalisé et scientifisé à tel point que la lutte semble constamment en retard même si cette pratique qui a pu contribuer à la médiatisation des exploits des sportifs donc du sport pourrait le mettre en danger.
-Techniques soit dans une recherche d’amélioration des performances, soit d’une diffusion toujours plus large de disciplines anciennes telles l’escalade, soit dans celle de nouvelles pratiques réelles ou virtuelles (voir la double page sur le sport virtuel)

Les sportifs participent aux mutations et aux dynamiques sportives. La mobilité est devenue une donnée essentielle de la vie du sportif de haut niveau : se déplacer pour s’entraîner, pour une compétition, dans le cadre d’un changement d’équipe, voire de pays naturalisant à grande vitesse des athlètes à l’instar de la Grèce en 2004 accordant la nationalité à 13 américano-grecques pour se constituer une équipe de soft-ball. La nationalité est surtout un paramètre de mobilité professionnelle car les expatriés doivent composer avec les réglementations de chaque état, fédération ou ligue limitant ou non leur présence : le cas du basket est ici éclairant, la différence de réglementations explique en grande partie la présence forte, moyenne ou faible d’expatriés américains ou autres. Cette mobilité accrue, surtout dans le football et le basket-ball, fait émerger ou pérennise des canaux et des réseaux migratoires, aux bases parfois affinitaires, reliant zones de « production » et zones de « consommation » d’un sportif devenant une marchandise, tirant un bénéfice monétaire de sa mobilité, tentant de passer d’un espace-tremplin à un espace d’aboutissement même si l’exemple des jeunes footballeurs africains (R.Poli, « Production de footballeurs, réseaux marchands et mobilités professionnelles dans l’économie globale. Le cas des joueurs africains en Europe », http://artur.univ-fcomte.fr/SLHS/GEO/these/poli.pdf) recrutés très tôt infirme cette dynamique

Le football, on l’aura compris, serait l’exemple parfait de sport mondial : un nombre de pratiquants inégalé, un jeu aux règles simples, des compétitions auxquelles participent tous les états reconnus… Au sein de ce monde presque fini, les auteurs distinguent plusieurs espaces. L’Europe en serait le centre : les meilleures équipes, les clubs les plus riches concentrés dans les ligues du Big Five (5 ligues majeures : Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, France), la présence des meilleurs joueurs issus du vieux continent bien sûr mais aussi d’Amérique du Sud et d’Afrique, zones de « production » : les Brésiliens sont présents dans presque tous les championnats européens mais on les trouve aussi au Moyen-Orient et en Asie. Amérique du Nord, Asie et Océanie restent, malgré un nombre conséquent de pratiquants, des pôles très secondaires aux compétitions locales de faible qualité, le foot y étant aussi concurrencé par d’autres sports, rugby ou football américain. La plupart des autres sports ne peuvent prétendre à un rayonnement et à une pratique professionnelle aussi forte que celle du foot. Les sports de combat trouvent des adeptes sur tous les continents mais dans une diversité des pratiques ancrées dans un contexte, une histoire (la capoeira), une culture. D’autres sports d’origine anglaise (le cricket), nord-américaine (le baseball) ou européenne (la pelote basque) sont cantonnés à des espaces géographiquement limités pour des raisons historiques (émigration de basques en Amérique) ou économiques (modèle américain de la ligue fermée).

Les auteurs posent en conclusion quelques-unes des problématiques du sport pour le XXIème siècle ; questions éthiques, économiques autour de l’universalité, du dopage et de l’explosion des paris en ligne et, comment y échapper, celles liées au développement durable, déjà intégré aux projets des candidats à l’organisation des grandes compétitions.
Si nombre de cartes et documents traitent du football, des sports américains et des disciplines olympiques, les auteurs se sont attachés à ne pas laisser de côté des sports plus confidentiels voire méconnus comme le Kabbadi dans une approche multiscalaire qui pourra permettre au lecteur de porter un regard de géographe sur le sport et à l’enseignant d’aborder les thèmes des migrations, des inégalités ou de la mondialisation.