Cap sur les mers du Sud avec ce nouvel ouvrage de Jean-Pierre Moreau. Ce spécialiste de la piraterie et de la flibuste nous livre ici le quotidien de ces forbans des mers. Un tableau sans concession d’une réalité bien différente de l’image véhiculée par les romans, bandes dessinées ou films.

Des pirates mal connus

Alors qu’il y a un nombre élevé de films, romans ou autres traitant de la piraterie, l’ouvrage de Jean-Pierre Moreau met en évidence la faiblesse des sources d’informations dont nous disposons sur ce sujet. Il existe peu de documents provenant des pirates eux-mêmes. La plus grande partie des informations dont nous disposons provient de leurs victimes ou des autorités qui leur donnèrent la chasse. De plus, alors que leurs trésors excitent la convoitise d’amateurs et d’historiens, l’archéologie sous-marine scientifique n’a pas permis de retrouver les secrets de ceux-ci et de leurs navires. Aussi, l’image du pirate et de la piraterie est bien éloignée de la réalité.

L’auteur commence d’ailleurs son ouvrage par un rappel historique. Ce qui permet de rappeler les différences existantes entre pirates, flibustiers et corsaires. Mais également de situer le phénomène dans le temps, mettant en évidence le lien existant entre les conflits européens de la fin du 17° et du début du 18° siècle et les « grandes » vagues de piraterie. Celles-ci surviennent souvent lorsque la paix met fin aux activités lucratives des corsaires et laisse de nombreux marins sans emplois.

Le phénomène est aussi localisé dans l’espace. La piraterie ne se limite pas à l’attaque des navires dans les eaux antillaises. Elle se répand dans l’Océan indien, les pirates s’en prennent aux marchands indiens comme aux pèlerins de la Mecque et sévissent jusque dans le Pacifique. Et alors que la légende de la piraterie exalte surtout leurs bases des Caraïbes (dans la réalité surtout l’île de New providence dans les Bahamas) ceux-ci s’établirent également à Sainte- Marie au nord de Madagascar.

Une galerie de pirates…

L’auteur présente tout au long de son ouvrage de courtes biographies des pirates les plus célèbres. Elles permettent de mesurer l’écart entre la réalité du pirate et l’image qu’en a donné la littérature. Les pirates sont des marins sans emplois, des petits colons qui n’arrivent pas à survivre de leur travail… Ceux qui ont été attirés par le goût du risque ou de l’aventure constituent une minorité. Certains sont même embrigadés dans la piraterie de force, lorsque leur navire est capturé. Au final, ce sont quelques milliers d’hommes au maximum, dont les nationalités reflètent les puissances maritimes de l’époque : britanniques, français…

L’appât du gain est la motivation première des pirates, mais l’ouvrage montre bien, que rares sont ceux qui tirent de gros profits de cette activité. Dans la plupart des cas, les actes de piraterie rapportent peu à leurs auteurs. Les pirates s’attaquant à tout ce qui flotte, et qui est mal défendu.

En effet, bien souvent, le navire pirate n’est pas très bien armé. Sa force réside surtout dans l’effet de surprise et le nombre élevé de marins à bord pour les abordages. Les vaisseaux pirates ne sont pas de taille à lutter avec les vaisseaux de ligne et même la plupart des navires de guerre des flottes régulières. Les navires marchands, peu armés, et dont l’équipage est en général peu enclin à se sacrifier, constituent pour eux des cibles faciles. Peu de pirates peuvent s’enorgueillir de gros butins. Nombreux sont ceux qui ont surtout capturés des barques de pêches ou de petits navires faisant la navette entre les divers ports des caraïbes. Les trésors enterrés relèvent ainsi davantage du mythe que de la réalité.

Un quotidien de marin

Bien peu de choses semblent séparer le quotidien de la vie du pirate de celui des marins servant sur les vaisseaux du roi de France ou de la couronne britannique. Jean-Pierre Moreau passe en revue les nombreux aspects de la vie à bord. Des plus exotiques comme le costume ou les prothèses, aux plus basiques comme la nourriture, en passant par la vie sexuelle. Une des différences étant l’importance du temps libre dont disposent les pirates par rapport à leurs homologues des navires de guerre astreints à de nombreux exercices.

Marins avant tout, les pirates se distinguent cependant par la nature des relations existant à bord de leurs vaisseaux. Des contrats lient entre eux les membres de l’équipage, et précisent la hiérarchie, la répartition des prises… Une certaine forme d’égalité règne ainsi à bord des navires.

Cependant, l’existence du pirate est dangereuse. Ne bénéficiant pas d’une logistique importante, il est bien plus que les autres marins soumis à un approvisionnement irrégulier, dépendant souvent des prises qu’il fait. Querelles liées à l’ennui, aux revers, à la promiscuité, rendent difficiles le quotidien à bord ; une ambiance qui nuance l’image égalitaire des contrats de piraterie.

Dans les faits, les pirates ont un avenir largement bouché. Ils ne peuvent guère espérer vivre durablement de leurs gains. Il n’y a vraiment qu’une amnistie pour leur permettre de s’établir à terre. Dans la plupart des cas cependant, leur histoire se termine misérablement par une exécution publique ou un naufrage tragique.

Un ouvrage qui livre donc une réalité assez misérable de la piraterie. Cette réalité, l’auteur la met en relation avec les pirates de ce début du 21° siècle, en Somalie ou ailleurs. Des pirates modernes, bien peu différents dans leurs motivations et leurs modes d’action de leurs prédécesseurs.

François Trébosc ©