François-Xavier Nérard est maître de conférences à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne et est spécialiste d’histoire sociale de l’Union soviétique. Marie-Pierre Rey est professeure d’histoire de la Russie et de l’Union soviétique dans la même université. Cyrille Suss a réalisé les cartes de cet ouvrage.
D’Ivan III à Poutine : permanences et contrastes
L’atlas s’ouvre fort logiquement sur les contraintes géographiques et climatiques avec la question de la maitrise du territoire. Les auteurs montrent un territoire en expansion avec des cartes très claires sur les périodes d’expansion. Ils soulignent également l’absence de protection naturelle qui a pu être un atout favorable à l’expansionnisme mais qui a pu aussi développer un sentiment de vulnérabilité. Cette représentation persiste encore aujourd’hui. Le territoire est indéniablement difficile lorsqu’on sait que 70 % relève de l’extrême-nord. Aujourd’hui, dix villes russes de plus de 20 000 habitants se situent au-delà du cercle polaire arctique. A plusieurs reprises est évoqué Moscou qui pèse d’un poids incomparable dans l’économie et dans l’imaginaire russe. Parmi les autres éléments à garder à l’esprit, il y a la diversité nationale qui peut toujours être objet de tension. Les auteurs pointent la nouvelle alliance entre Vladimir Poutine et l’église orthodoxe. Le chapitre se termine en montrant que la Russie a été une terre d’accueil et d’exil. Le phénomène est visible dès le XVI ème siècle. Cependant, ce sont plutôt les départs qui dominent l’histoire du pays, avec par exemple trois millions de juifs qui émigrent avant 1917 pour aller aux Etats Unis, en France ou en Grande-Bretagne.
L’empire russe
Cette deuxième partie montre d’abord le rôle de Saint Petersbourg « sortie de terre par la seule volonté de Pierre le Grand ». Le site a l’avantage de rapprocher géographiquement la Russie de l’Europe occidentale et de marquer l’avancée russe en mer Baltique. La ville fut la « capitale des lettres, de la finance et de l’industrie ». Il faut aussi se souvenir que dans le dernier tiers du XIX ème siècle, l’économie russe se situait à la troisième place mondiale. Elle se caractérisait par l’existence de grosses entreprises. A l’époque aussi, il faut relever l’importance du commerce fluvial et maritime alors que l’essor du chemin de fer est plus tardif mais décisif. La mise en valeur de la Sibérie ne commença vraiment qu’avec le Transsibérien. Il fallait néanmoins garantir un certain nombre d’avantages pour attirer.
La parenthèse soviétique ?
Le chapitre commence par évoquer la paix de Brest-Litovsk en mars 18. La Russie perd 780 000km2 et 56 millions d’habitants. Les auteurs précisent que le conflit ne se limite pas à une opposition binaire entre Rouges et Blancs. Le pays est en tout cas dévasté par la guerre civile avec un PIB qui diminue de 70 % entre 1913 et 1922. L’atlas envisage ensuite la période stalinienne et évoque l’industrialisation avec le cas de la ville de Sverdlovsk, l’ancienne Ekaterinbourg, profondément transformée en quelques années par les plans quinquennaux. La population est multipliée par 4 pour aboutir à 400 000 habitants en 1933. On note aussi qu’il faut envisager la répression stalinienne au pluriel : les victimes et les rythmes varient sur 25 ans. « le tournant stalinien n’est pas seulement quantitatif, il correspond aussi à un changement de nature et de structure de la répression ». De 1946 à 1952, 14 millions de personnes passent devant un tribunal et 6 millions sont envoyées dans un camp. Derrière le terme de Goulag, il faut comprendre qu’en fait existent plus de 30 000 lieux de détention avec des statuts différents. Trois famines ont marqué le pays et ont fait 12 millions de morts. On connait bien celle de 1933 avec de 6 à 8 millions de morts, mais peut-être moins celle de 1946-47. Les auteurs se focalisent ensuite sur la Seconde Guerre mondiale en présentant les hauts lieux de la « Grande guerre patriotique ». A Stalingrad, les Soviétiques perdirent en moyenne plus de 5 000 soldats chaque jour pendant 8 mois ! La suite du chapitre envisage la vie quotidienne en URSS en précisant qu’avoir sa propre cuisine, ou ses sanitaires, était alors un véritable luxe. Mais surtout les auteurs soulignent bien qu’à un moment, la puissance soviétique a pu sembler irrésistible comme en témoignent les différents épisodes de la conquête spatiale. De même, avant d’être le symbole de l’immobilisme, Brejnev a incarné dans un premier temps une certaine ouverture sur le monde et une amélioration de la situation économique. En effet, alors qu’il y avait 200 000 automobiles en 1965, on en comptait 1,2 million en 1972. Enfin, c’est le temps de la Perestroika marqué par un contraste très fort entre la façon dont la période fut vécue entre l’extérieur et l’intérieur.
Une nouvelle Russie ?
C’est la plus courte des parties. Dès 1992, les prix sont libérés avec une hyperinflation de 250 % le premier mois. Le dollar devient une monnaie d’échange en Russie. Commence alors la période des oligarques et une forte crise comme le montrent plusieurs indicateurs. La société soviétique commence à réfléchir aux traces de son passé avec l’initiative « dernière adresse ». Celle-ci consiste à appliquer dans dans les grandes villes du pays des plaques à l’entrée des bâtiments pour signaler que telle ou telle famille a disparu au temps de la Grande Terreur. Le monde rural connait de difficiles mutations mais avec toujours une pauvreté importante car 39 % des foyers ruraux vivent sous le seuil de pauvreté en 2003. On trouve également une frise avec la politique extérieure de la Russie de 2000 à aujourd’hui.
Cet atlas aide donc véritablement à mieux comprendre la Russie en la resituant dans une approche historique pertinente. Il propose un bon équilibre entre les grands invariants à connaître sur le pays et l’approche précise de telle ou telle époque.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes
Une erreur dans l’ouvrage qui est reprise par le compte rendu sur le nombre de soldats de tués à Stalingrad : 50 000 par jour cela ferait… 12 millions en huit mois ! Il faut donc enlever un zéro : 5000 par jour.