Encore un nouveau partenaire pour les Clionautes. Cette fois, ce sont les éditions Petit à petit qui nous rejoignent. L’occasion s’est en fait présentée avec la parution d’un guide sur la première guerre mondiale, qui avait attiré mon attention. La collection « Docu BD » à laquelle il appartient est assez originaleD’autres collections lancées par Petit à petit sont de la même veine : Fiction-BD, etc. [img id="8904" args="right"]
Voir le catalogue en ligne.. Si le genre des guides existent depuis longtemps, les éditions Petit à petit ont imaginé de les présenter simultanément avec une bande dessinée. De plus, un dossier pédagogique est à télécharger, qui permettra en l’occurrence de travailler en cycle 4 : les enseignants sont clairement l’un des publics visés par ces ouvrages.
Nombre d’éditeurs ont déjà publié (ou replié) des guides sur la première guerre mondiale : Michelin, le premier, mais aussi Le Routard, etc. Le présent ouvrage adopte une formule sensiblement différente. Alors que soixante-dix sites sont présentés, ils le sont dans le cadre d’un dossier documentaire de deux à quatre pages, reposant sur un thème précis : des faits marquants de la guerre (La Marne, Verdun…) ou des approches moins attendues. C’est le cas de « La mobilisation des civils » (p. 99), « Propagande et censure » (p. 155), ou des « Artistes en guerre » (p. 163). On a également des références bibliographiques (des classiques comme Les Croix de bois mais aussi des bandes dessinées…) ou cinématographiques (La Vie et rien d’autre…). Chaque dossier comprend des reproductions de photographies, d’affiches, etc., parfois assez originales, extraites par exemple des collections de l’Historial de Péronne : elles constituent l’un des points d’intérêt pour les enseignants. Des vignettes assez courtes permettent d’en savoir un peu plus sur tel ou tel point : « l’obusite » ou « le pied de tranchées » (p. 120) ; Gustave Chatain (p. 100), le plus jeune caporal français ; le scandale produit par la publication en 1923 du Diable au corps, de Raymond Radiguet; le sens à accorder au mot « limoger», plusieurs officiers étant assignés à résidence à Limoges, lors de la remise en ordre opérée par Joffre (p. 75), etc. On regrette un (rare) choix malheureux : si le paiement de leurs courses exigé par les conducteurs de taxis parisiens, au début de la bataille de la Marne, au début de septembre 1914, permet une nouvelle fois de briser le mythe, la photographie qui illustre le fait a été prise en hiver ; et les conducteurs des automobiles sont des militaires.
Enfin, on a apprécié la présentation de plusieurs dizaines de musées et lieux de mémoire, en France et en Belgique. On y retrouve là encore des sites célèbres, mais aussi de plus originaux. C’est le cas de la cité souterraine de Naours, dans la Somme (p. 89), du hangar à dirigeables d’Écausseville, dans la Manche (p. 101), de la maison forestière qu’occupa un temps le poète britannique Wilfred Owen, à Ors, dans le Nord (p. 157), etc. On a également une foule de musées modestes, entretenus par des particuliers ou des associations, comme celui de Belleau, près de Château-Thierry (p. 177) ou d’Écobeauval, dans le Rhône (p. 111).
À propos de ces dossiers, forts riches et précis, on exprimera un regret : celui qu’ils ne fassent pas de place aux autres terrains d’affrontement, à l’est de l’Europe, en Méditerranée, en Afrique ou en Asie, mis à part les Dardanelles. L’historiographie a pourtant montré, depuis longtemps, l’intérêt qu’il y avait à se départir d’une vision qui se concentrait excessivement sur le front occidental et, a fortiori, de celle qui privilégie la France. On ne trouvera pas grand chose, par exemple, sur les Allemands en guerre. Mais, après tout, l’ouvrage est censé s’adresser à des touristes francophones. À l’inverse, tout un dossier, intitulé « Un conflit mondial» (p. 60 et suiv.), montre l’apport des colonies et permet même d’évoquer la main-d’œuvre chinoise, avec le cimetière de Nolette (p. 62-63), dans la SommeÀ ce titre, voir l’ouvrage de Gwenaëlle Abolivier (sc.), Zaü (ill.) Te souviens-tu de Wei ? L’histoire d’un travailleur chinois de la Grande Guerre, éd. HongFei, avril 2016. Il a fait l’objet d’une double recension, par Christiane Peyronnard et Frédéric Stévenot..
Enfin, la partie intitulée « N’oublions pas » (p. 11) et la présentation de l’ouvrage pouvaient laisser craindre une énième injonction au devoir de mémoire. Il n’en est heureusement rien : tout le guide, et surtout les ressources qu’il permet de découvrir pour peu que l’on prenne le temps de déambuler dans les sites recommandés, de lire et voir les livres et films sélectionnés, permettront un travail de mémoire, plus riche et plus propice à une approche critique et personnelle du conflit.
Entre les encarts documentaires se trouvent logés les chapitres d’une bande dessinée ; c’est même elle qui se taille la part du lion dans le guide. Il s’agit en réalité de la réédition en un volume de la série La Faucheuse des moissons, qui fut publiée en trois tomes aux éditions PhysalisLes éditions Physalis ont déposé le bilan en 2015. : «Les Blés coupés» (1er oct. 2013) ; «Les Cicatrices de la terre» (1er avr. 2014) ; « Le Chemin des larmes» (13 nov. 2014). Cette série faisait suite à un album des mêmes auteurs sur 14-18, Sang noirFrédéric Chabaud, Julien Monier, Sang noir, éd. Physalis, 1er juin 2013, consacré aux troupes africaines engagées dans la guerre.
Sous une forme beaucoup plus ramassée, on a une trame assez similaire à celle de la série 14-18 de chez DelcourtVoir les comptes rendus faits de la lecture des albums V et VIII.. Ici, nous avons un groupe de six garçons, trois frères (Jean, Lucien, Joseph) et leurs amis (Justin, Pierre, Cyprien), qui proviennent du même village, probablement dans les Hautes-Alpes, si l’on en croit leur lieu d’incorporation (Gap). L’un d’entre eux est amené à rappeler ce que tous ont vécu sur les terrains d’affrontement, de l’Alsace (août 1914) au Chemin des Dames, en passant par Verdun, avec une fin à la Martin Guerre dont on dira rien. Comme on le pressent, rien ne nous est épargné des souffrances endurées et des traumatismes auxquels la fin de la guerre n’a pas mis un terme. La sidération qui accompagne le choc des premiers bombardements et du premier Allemand tué au corps-à-corps, l’exposition permanente à la mort, les attaques au gaz, l’abjection de ganaches galonnées… Peu à peu, on progresse vers ce que les auteurs ont fort heureusement appelé une « grève » de la guerre, et non des mutineries, au lendemain de l’échec de l’offensive Nivelle (avril 1917), et dont on comprend parfaitement ce qui la motive. Le dessin est par ailleurs assez réaliste, ce qui suppose un effort de documentaire important. Un œil averti (qui en vaut donc deux, bien ouverts) ne manquera cependant pas de relever quelques approximations. On est ainsi surpris que la charmante Charlotte, objet de convoitise des gars du village, soit dessinée comme une adolescente qui ne dépareillerait pas en 2018. Elle est en effet vêtue assez légèrement, d’un robe passablement décolletée qui lui arrive à la naissance du molle et lui laisse les bras nus ; elle se promène en « cheveux » ; elle ne rechigne pas à embrasser son prétendant à bouche que veux-tu (p. 35 et suiv.). Bref, une attitude des plus indécentes et un accoutrement moralement condamnable dans un village de cette époque. Mariée à Lucien, elle franchit sans encombres la zone à l’arrière du front (p. 96), pourtant fortement contrôlée. Enfin, le très indulgent commandant Peytarin (p. 40 et suiv.) revêt un uniforme à épaulettes, alors qu’il ne devrait porter qu’une vareuse à galons beaucoup plus discrets.
Mais en regard de ces maladresses, les auteurs ont eu de belles idées, comme celle qui a consisté à se référer très explicitement à deux poèmes, dont les mots s’accordent parfaitement au dessin de Julien Monier : « Le Dormeur du val» d’Arthur Rimbaud (p. 119) et, beaucoup plus surprenant, « Spleen», de Charles Baudelaire.
Le guide et la bande dessinée se répondent très bien : il ne faudra pas craindre que les dossiers intercalés viennent rompre le récit. Au contraire, on a des compléments d’information qui tombent fort à propos. De plus, les lecteurs auront un outil appréciable entre les mains, car bien documenté, doté de chronologies, d’un lexique (p. 190), d’un index des lieux… Bref, voici un ouvrage qui doit trouver sa place dans les établissements scolaires.
Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes
C’était un oubli, et non une citation d’une radio qui n’est pas ma préférée.
Merci de me l’avoir signalé.