Voilà plus de 15 ans que les éditions Autrement avaient publié un atlas de la santé dans le monde ! Epuisé depuis longtemps, quelque peu dépassé, il était nécessaire de mettre à jour les chiffres et les cartes dans un nouvel atlas. La mise au programme du concours de l’ENS LSH (Lyon) de la question de la géographie de la santé a impulsé cette nouvelle édition.
C’est à Gérard Salem et Zoé Vaillant, deux géographes spécialistes de la santé, qu’est revenue cette tâche passionnante. Gérard Salem dirige le Laboratoire Espace, santé et territoires à Paris X. Zoé Vaillant, issue du même laboratoire, vient de publier une étude remarquée sur la santé à la Réunion. La géographie de la santé est un champ nouveau de la géographie. Elle s’inscrit dans la lignée de la géographie médicale de Max Sorre et du complexe pathogène. Toutefois, elle propose une analyse plus large puisqu’elle s’attache à étudier la répartition spatiale des disparités des niveaux de santé des populations et des facteurs environnementaux qui concourent à ces inégalités. Elle s’attache plus à l’étude des populations qu’à celle des maladies. Les acteurs jouent un rôle central dans cette branche de la géographie. Etudier le niveau sanitaire d’une population, c’est aller au-delà des idées communes. La santé est l’observatoire du monde. Elle témoigne des inégalités de richesse mais aussi des modes de vie, de gestion du territoire. Elle est un des éléments constitutifs de la mondialisation. Les auteurs ont fait le choix de montrer la complexité des situations sanitaires locales et des processus en cours. La mondialisation, en accroissant les échanges à l’échelle de la planète, participe à la diffusion des vecteurs pathogènes, mais aussi aux modes de vie (urbanisation). Il ne faut toutefois pas aller trop vite en besogne : mondialisation des problèmes ne signifie pas uniformisation. Le déterminisme du milieu n’existe pas. La recomposition de certains territoires montre à quel point il n’y a pas de fatalité. Un territoire affecté peut très bien s’en sortir sous l’effet du développement.
Cet atlas est conçu comme une démonstration. Il ne faut pas y chercher l’exhaustivité, même si le champ du sujet est large : espaces de vie (risques environnementaux, accès à l’eau potable, hygiène…), indicateurs démographiques (espérance de vie, vieillissement des populations, mortalité infantile…), conditions de vie (alimentation…) et accès aux soins (accouchement, vaccination…). Son objet est la compréhension du phénomène plutôt que l’encyclopédisme. La formule de l’atlas a ses limites surtout pour traiter de l’échelle mondiale (contrairement à l’Atlas de la santé en France réalisé par Gérard Salem, Stéphane Rican, notamment). Ici, ne peut être cartographié que ce qui est cartographiable et dont nous possédons des chiffres (même si ceux fournis par l’OMS sont souvent partiels).
Au-delà des limites de la formule, cette édition est au fait de l’actualité et de l’avancée de la recherche. Ainsi, le nouveau concept d’années de vie perdues élaboré par l’OMS, la Banque Mondiale et l’Université de Harvard tient une place centrale dans les documents présentés. On entend par là la mesure de la charge globale d’une maladie en rapprochant les années de vie potentielle perdues suite à un décès prématuré lié à une maladie ainsi que les années de vie productive perdues du fait de l’incapacité résultant de cette maladie. La presse s’est d’ailleurs fait l’écho, ces jours derniers, de cette notion (cf. Le Monde, 19/11/2008) en comparant espérance de vie (78,6 ans pour les hommes, 83,5 ans pour les femmes) et espérance de vie sans incapacité (67,3 ans pour les hommes, 68,1ans pour les femmes). Dans l’atlas Autrement, ces chiffres sont rapprochés des dépenses de santé. Force est de constater que la corrélation entre dépenses de santé et années de vie perdues existe mais qu’il n’y a pas forcément un lien proportionnel entre dépenses et résultats. Les exemples sont nombreux où les facteurs explicatifs sont insuffisants. Sur la carte de l’allaitement en France, se distinguent deux zones : une France de l’Est qui allaite et une France de l’Ouest qui allaite moins. L’explication de cette partition n’est pas facile et les raisons religieuses (France catholique / France protestante) montrent vite leurs limites. De même, la répartition de l’obésité ne trouve pas son explication dans le différentiel pays riches – pays pauvres. Le phénomène est beaucoup plus compliqué.
Le volume comporte un ensemble de doubles pages intéressantes qu’exploiteront avec profit les professeurs de première ST2S. Le dossier consacré à la santé en France est important. Il reprend des cartes de l’Atlas de la santé en France. Certaines restent toutefois d’un accès difficile : l’échelle graphique peut décontenancer les élèves. Ainsi, si on retient l’exemple de la mortalité en Ile de France (ratio standardisé de mortalité cantonale données lissées, 100 = moyenne française), avec l’échelle graphique choisie, le violet signifie une plus faible mortalité alors que le jaune une plus forte mortalité. A première vue, le lecteur comprend le contraire de la réalité. En effet, cette carte reprend l’échelle graphique utilisée pour la mortalité en France (page précédente) qui va du violet foncé à l’orange. L’Ile de France, ne présentant pas de forts ratios de mortalité, l’orange n’y figure pas. L’échelle graphique induit en erreur.
De même, l’étude de cas consacrée au lien entre urbanisation et paludisme à Pikine (Sénégal) et réalisée par Gérard Salem (La santé dans la ville. Géographie d’un petit espace dense : Pikine. 1998) pourrait faire l’objet d’une séance en seconde (Géographie des risques) ou en terminale STG (Uniformisation et fractures du monde. Sujet d’étude : la santé). Pourtant, à y regarder de plus près le cas est plus compliqué qu’il n’y paraît. Les cartes montrent que la croissance urbaine rapproche les populations des niches à paludisme mais que cela ne signifie pas forcément une recrudescence de la maladie. Le nombre de piqures probable est dilué sur une population plus importante. Il manque toutefois des statistiques sur les décès liés au paludisme en fonction de la croissance urbaine. De même, un vocabulaire complexe, non présent dans le lexique de fin d’ouvrage, n’est pas accessible au premier venu (céanes, niayes).
Toutefois, ces remarques ne sont pas rédhibitoires quant l’utilisation et la pratique de cet atlas. De nombreuses doubles pages peuvent faire l’objet d’une reprise partielle ou croisée pour une étude en classe. D’ailleurs, c’est tout l’enjeu de la préparation de nos cours que de se remuer les méninges pour élaborer des séquences renouvelées au niveau des savoirs et dynamiques sur le plan didactique !
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