La 4ème édition de l’Atlas mondial de l’eau propose une synthèse, entièrement mise à jour et enrichie, des problématiques liées à l’eau, à différentes échelles. Comme toujours, l’Atlas est illustré par plus d’une centaine de cartes, schémas et graphiques. Il est rédigé par David BLANCHON, géographe à l’université Paris-Nanterre, et illustré par la cartographe indépendante Aurélie BOISSIERE.
L’eau, ressource la plus précieuse sur Terre, fait l’objet de multiples tensions, sur les plans écologique, géopolitique, économique. Le grand point fort de l’Atlas est une analyse objective de l’ensemble des problématiques transdisciplinaires relatives à l’eau. Aujourd’hui, toujours plus de 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable dans le monde, 40% de l’agriculture mondiale dépend de l’irrigation, les écosystèmes aquatiques jouent un rôle indispensable dans les processus naturels, alors qu’ils font partie des plus fragiles. Le sixième objectif de développement durable défini en 2015 pour l’horizon 2030 concerne l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement, ainsi qu’une gestion durable des ressources hydrauliques. On en est, malheureusement, encore loin et cet atlas permet d’en prendre la pleine mesure. Ce triple défi, économique et social, géopolitique et environnemental devra être relevé, avec une urgence particulière dans les pays les moins développés, pour faire face au changement climatique.
L’ouvrage se divise en cinq parties, toutes très bien documentées et claires :
1. Une ressource irremplaçable ;
2. Mobiliser et utiliser l’eau ;
3. Une ressource menacée ;
4. De l’eau pour tous ?
5. Quels défis pour le XXIe siècle ?
Une ressource irremplaçable
L’eau est l’élément le plus précieux et le signe distinctif de notre planète. Elle façonne le relief terrestre et régule le climat. Elle a également permis le développement de la vie. Si elle est abondante (il n’y a pas de pénurie d’eau douce au niveau mondial), elle est inégalement répartie dans le temps et dans l’espace. Les stocks d’eau douce, même si elle ne représente que 2,5 % de l’eau sur Terre, sont considérables : plus de 40 millions de km². La variabilité spatiale et temporelle des précipitations et des débits explique la diversité, la richesse mais aussi la fragilité des milieux aquatiques.
Cette partie revient sur le cycle de l’eau, son fonctionnement et explique, par sa complexité, la diversité des situations à différentes échelles. Il s’intéresse au stock mondial, au phénomène El Nino, au cycle hydrologique de la planète, aux eaux souterraines (un quart de la population mondiale en dépendrait pour son approvisionnement quotidien, si l’on en croit les Nations unies), etc.
Il n’existe pas de problème d’accès à l’eau qui ne trouverait pas de solution technique aujourd’hui, bien que ces solutions aient un coût important. Néanmoins, l’eau est une ressource indispensable à protéger. La protection est devenue un enjeu majeur des politiques publiques alors que la pression sur l’eau s’accentue.
Mobiliser et utiliser l’eau
Il est assez facile de calculer le volume d’eau disponible par habitant. Néanmoins, il est beaucoup plus difficile de mesurer la capacité des Etats à mobiliser la ressource, car cela nécessite des savoir-faire techniques et des capacités financières importantes, ainsi qu’une réelle volonté politique. La mobilisation de l’eau correspond à la capacité d’amener l’eau où on en a besoin, quand on en a besoin.
L’Indice de Pauvreté en eau est un bon indicateur. Il est faible dans les pays développés qui disposent d’une capacité d’adaptation forte. Il est fort dans les pays les moins développés (par exemple en Afrique), qui possèdent pourtant pour certains d’importantes ressources en eau. Le rapport entre prélèvements et ressource brute est un autre indicateur qui permet de connaître la pression sur l’eau.
Les principaux postes de prélèvement de l’eau sont toujours l’agriculture, qui en mobilise l’essentiel (à hauteur de 69%), le reste se partageant entre les usages industriels (19%) et domestiques (12%)…
La concurrence entre les espaces et différents acteurs s’exacerbe, entraînant des conflits d’usage. La multiplication des infrastructures, et notamment des grands barrages, entraînent un « écoulement » de l’eau vers l’argent et le pouvoir.
Une ressource menacée
Les innovations techniques pour apporter l’eau là où l’on en a besoin ne suffisent pas à composer l’impact environnemental, parfois (et même souvent) désastreux des activités humaines. Le plus grand défi du début du siècle n’est pas la pénurie d’eau mais sa dégradation continue et incontrôlée, entraînant des catastrophes écologiques et des risques sanitaires majeurs, partout dans le monde. La pollution de l’eau et sa surexploitation sont une menace planétaire.
Dans les pays développés, des mesures de protection de la ressource face aux risques industriels et aux pollutions urbaines sont mises en place depuis une trentaine d’années. A l’opposé, les pays les moins développés souffrent davantage de formes de pollutions que David BLANCHON qualifie de « classiques », causées par le manque d’assainissement et source de maladies. Environ un million de personnes meurent chaque année de maladies liées à la mauvaise qualité de l’eau potable et que 90% d’entre elles seraient des enfants de moins de 5 ans. Le choléra est l’exemple le plus connu. Il sévit encore de manière endémique dans les pays les moins développés. Par exemple, au début des années 2000, en Afrique du Sud, alors qu’il s’agit d’un pays émergent, plus de 100.000 personnes ont été touchées par cette maladie. Les pays émergents, quant à eux (la Chine et l’Inde notamment) souffrent de toutes les formes de dégradation de l’eau.
Même lorsque les prélèvements sont faibles, ils peuvent entraîner une très forte modification de la qualité de l’eau. Les dégradations les plus dangereuses ne sont pas obligatoirement les plus visibles. Par exemple, les grands barrages ont des effets très négatifs, détruisant les écosystèmes, modifiant l’hydrologie et les flux sédimentaires des fleuves sur des centaines de kilomètres. Ces exemples sont très médiatisés et spectaculaires. La multiplication de petites digues, moins visible et moins médiatisée, conduit à la destruction des zones humides. L’utilisation d’intrants agricoles et le pompage excessif des eaux souterraines conduisent à un abaissement rapide des nappes phréatiques, pouvant entraîner des dommages irréparables aux ressources en eau.
De l’eau pour tous ?
« Le droit à une eau potable salubre et propre » n’est reconnu comme un droit fondamental que le 28 juillet 2010 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Néanmoins, les inégalités d’accès à l’eau n’ont jamais été aussi fortes, le droit de l’eau pour tous étant loin d’être effectif, du fait des aménagements hydrauliques et des investissements importants qu’ils suscitent. Ces inégalités, visibles à toutes les échelles, et même entre hommes et femmes, sont liées à un manque d’investissement et la non-prise-en-compte des besoins des populations défavorisées. Le problème du financement de l’eau est crucial pour les années à venir. Mais la question de sa marchandisation reste posée et est très problématique.
Ces inégalités génèrent de nombreux conflits, bien que cela ne dégénère que très rarement (et jamais pour cette seule raison) en guerre ouverte. Le rapport sur le développement humain de 2006 du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) explique que « la crise de l’eau trouve son origine dans la pauvreté, l’inégalité et des relations de forces inéquitables ». Par exemple, l’Irak présente un taux de dépendance de 53% vis-à-vis du Tigre et de l’Euphrate, entraînant une très forte dépendance vis-à-vis de la Turquie et du Pakistan, qui s’approvisionne lui-même grâce à l’Indus dans la région disputée du Cachemire Indien…
La question de l’eau pour tous se résume donc à une question de moyens et demandera un gros effort financier. Le rôle de la Banque mondiale est important, avec 18% des investissements liés à l’eau. 60% de l’effort financier est réalisé par des acteurs publics locaux. Le reste se partage entre les acteurs privés locaux et les grandes firmes internationales (Suez, Veolia…).
Quels défis pour le XXIe siècle ?
Trois défis majeurs se posent pour les prochaines décennies :
• Nourrir une population en constante augmentation ;
• Répondre à la demande croissante des villes en eau ;
• Préserver la ressource en eau.
Les nombreuses conférences internationales, qui ont eu lieu depuis les années 1970, ont permis de construire un « modèle » mondial de gestion de l’eau, qui repose sur la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) et le passage d’une gestion de l’offre à une gestion de la demande adaptée aux différentes situations et aux besoins. La mise en place de la GIRE à l’échelle internationale entraîne une multiplication des agences de bassin et des associations d’usagers, ainsi que l’application de politiques tarifaires encourageant l’économie de la ressource, selon deux idées clés : « l’eau paye l’eau » et « le pollueur est le payeur ».
Cette dernière partie, la plus intéressante à mes yeux, propose de regarder l’avenir avec des solutions innovantes déjà existantes ou des projets, en présentant des solutions innovantes dans les villes, des projets de collaboration entre États, la mise en place d’une irrigation moderne ou la réutilisation des eaux usées (par exemple, Israël réutilise déjà 80% de ses eaux usées, tandis que l’Espagne et l’Australie cherchent à atteindre un taux de recyclage de 50%).
Si ces progrès techniques sont facteurs d’espoir, par les avancées réalisées en termes d’aménagements et d’assainissement de la ressource en eau, des carences politiques dramatiques freinent la résolution des problèmes liés à l’eau. Ces obstacles viennent principalement de modes de gestion inadaptés et recoupent les inégalités socio-spatiales déjà existantes. Plus de trois milliards de personnes ne disposent pas d’un accès satisfaisant à l’eau potable à cause de graves carences politiques à toutes les échelles.
Conclusion
Depuis plus de 40 ans, les Nations unies alertent sur l’importance de l’eau, ressource essentielle pour le bon développement des sociétés, pour l’intégrité de l’environnement et l’élimination de la pauvreté et de la faim dans le monde. L’eau est tout simplement indispensable pour le bien-être et la santé des hommes. Quelles que soient les évolutions futures, des solutions ne pourront être apportées qu’avec la mise en place de politiques innovantes fondées sur trois principes : la diversité, la progressivité et la solidarité. Cette conclusion était déjà celle proposée par David BLANCHON lors de la 3ème édition de cet Atlas en 2018. Concrètement, il s’agit :
• De prendre en compte la diversité des situations, à différentes échelles, et de s’adapter aux besoins, au lieu de proposer des solutions universelles inefficaces.
• D’assurer une « transition hydraulique » progressive vers un accès à l’eau pour tous.
• Et enfin, de mettre en place ou d’accentuer une solidarité à toutes les échelles, allant de la coopération internationale à de l’entraide locale entre usagers.
Comme toujours, les Atlas Autrement se distinguent par leur qualité et leur accessibilité. Les planisphères sont très riches, de même que les cartes à plus grande échelle qui permettent de concrétiser les connaissances théoriques par des exemples précis. Cet atlas permet de faire une synthèse sur le cycle de l’eau, sa gestion dans le temps et dans l’espace, tout en explicitant les nombreux enjeux sous-jacents.
L’Atlas mondial de l’eau est une ressource indispensable pour les professeurs du Secondaire qui enseignent en Cinquième et en Seconde. Les données actualisées, combinées à des documents clairs pourront être réinvestis sans aucun problème dans la préparation des cours.