« L’Atlas mondial des cuisines et gastronomies » : un titre qui a lui seul constitue une invitation. En effet, si la cuisine est l’art et la manière de préparer les mets, la gastronomie est l’art du bien manger. Tout un programme en somme !
Certes, mais ce livre est tout sauf un recueil de « recettes ». En effet, les auteurs, dès l’introduction annoncent que : « l’acte de manger, réitéré plusieurs fois par jour, implique des acteurs fortement marqués par leur origine géographique et leur culture. [Une géographie qui] peut donner une vision raisonnée des processus de brassages alimentaires en cours dans le monde ».
Les jalons sont donc ainsi placés. Mais, conformément aux exigences de la collection, les auteurs nous présentent onze chapitres développés chaque fois sur une double page, largement agrémenté de cartes, de graphiques, voire de quelques plans ou dessins.
Dès lors, les auteurs ont-ils su maîtriser la démarche qui consiste à nous faire découvrir cette vision raisonnée des processus de brassages ?
Malgré les onze divisions du sommaire, le lecteur pourra valablement faire un regroupement. Les deux premiers chapitres concernent les différentes formes de repas à travers les âges et à travers le monde. Les deux chapitres suivants abordent « les styles de cuisine », les goûts et saveurs. Enfin, les chapitres cinq à dix traitent chacun d’un élément constitutif du repas. Et pour finir, un chapitre entier consacré « à la gastronomie dans le monde ». Il ne faut évidemment pas oublier le supplément intégré au livre et qui apporte un éclairage sur la diffusion des modes alimentaires dans quatre grandes régions.
Les différentes formes de repas à travers les âges et à travers le monde
Les deux premières doubles pages regroupées sous le chapitre « de la cueillette à la maîtrise des cuissons » nous font découvrir que très tôt les hommes ont confectionné des repas. Des repas qui, depuis plus de cinq mille ans présentent des aliments cuits mais dont certains, aujourd’hui encore, sont consommés crus comme les sushis au Japon ou les tartares en Europe. Concernant plus précisément les plats cuisinés, les auteurs nous présentent sur une double page, cartographie à l’appui, les modes de cuisson à travers le monde ainsi que les aires de consommation du beurre et de l’huile à l’échelle mondiale et à l’échelle française.
Puis, les auteurs abordent les aliments sous l’angle de l’interdit. Un interdit culturel ou un interdit religieux avant d’évoquer les différentes manières de prendre des repas. On apprend ainsi que le nombre de repas quotidiens varie en fonction de la géographie, une carte qu’il serait d’ailleurs intéressant de mettre en parallèle avec la pauvreté dans le monde. Mais on y retrouve également les nouvelles manières de manger, du grignotage à la restauration de rue le tout généreusement illustré de cartes et de tableaux facilement réutilisables.
Les styles de cuisine, les goûts et saveurs
Avec cette deuxième partie, le lecteur abordera davantage « l’essentiel » mais, là commence l’irritation. En effet, prenons par exemple la première double page intitulée « les cuisines paysannes ». Avec ce titre, on est en droit d’attendre une explication de ce qu’est la cuisine paysanne et, au regard de l’ambition affichée du livre, de découvrir les « processus de brassage ». Or, les quelques documents traitant principalement du pot-au-feu au niveau mondial et de la potée au niveau français, ont un goût d’inachevé. Suivent ensuite les cuisines royales et princières qui se distinguent par une cuisson au four nous dit-on et, pour finir la cuisine des marchands. Là, enfin, on découvre à travers quelques exemples, le « brassage ». Il en va ainsi du cake de Brême confectionné à base de raisins de Smyrne, d’amandes, de rhum, de cardamone moulue, de citron et d’orange. Mais il ne s’agit là encore que d’éléments constitutifs d’un met et non d’un brassage de savoir-faire.
Et, pour aller plus en avant, les auteurs nous invitent à parcourir le monde des goûts et des saveurs à travers la répartition de la consommation de ce qu’ils nomment des « denrées précieuses ». Du piment dans le monde, au sel et aux condiments davantage axés sur l’Europe, les auteurs nous retracent tant leur histoire que leur utilisation. Mais avec les épices en général commencent les véritables diffusions par le biais de routes souvent anciennes. Si les renseignements livrés sont d’un apport intéressant, la cartographie qui les accompagne souffre cependant de lisibilité. Il en va ainsi des routes maritimes des épices (page 30). Cette carte mêle sans raison apparente les routes anciennes (sans datation) et la route médiévale aux grands courants marins. Quant aux villes elles sont tantôt représentées par des cercles noirs puis par des cercles de couleur orange sans que la légende ne donne de précisions.
Il en va de même des autres denrées précieuses comme le sucre ou le chocolat pour lesquels les apports d’informations peuvent être exploités mais la cartographie plus difficilement. A titre d’exemple pour la carte intitulée « comment la canne à sucre a colonisé le monde » (page 32), les flèches restituant les colonisations au XIIe siècle et celles au XVe siècle ont les mêmes couleurs !
Les éléments constitutifs du repas
Les pages consacrées aux céréales dites « base de la nourriture », souffrent des mêmes handicaps que précédemment cités. Outre le fait que la carte des « foyers et diffusion de la révolution agricole » (page 36) mentionne dans la légende des plantes domestiquées qui ne sont pas représentées graphiquement, le mouvement d’expansion de l’agriculture à travers le monde, est figuré par des flèches de couleurs différentes alors que la légende n’indique qu’une seule couleur. Les cartes sur le maïs (pages 38 et 39) présentent les mêmes travers avec en prime un épi de maïs dessiné sans qu’il soit indiqué ce qu’il représente.
Enfin, pour finir le tour d’horizon des végétaux, les auteurs nous présentent les fruits et légumes. Certes, on y découvre la pomme de terre ce miracle alimentaire et les raisons pourquoi certains fruits voyagent plus que d’autres, mais les faiblesses déjà évoquées pour la cartographie rendent ces pages assez difficiles pour une exploitation dans un cadre scolaire.
Quant aux pages qui décrivent les viandes, nous avons droit à une longue énumération (dessin en plus) des différents morceaux consommés de chaque bête et pour chacune son mode de cuisson. Et puis, deux cartes, l’une européenne et l’autre mondiale sur les plats de viande. Quel type de viande et en légende le nom du principal plat « national » associé. Les poissons n’ont pas été oubliés et ont été traités de la même manière.
Suivent ensuite des pages consacrées aux fromages et aux vins qui n’apportent pas véritablement d’informations intéressantes. Probablement parce que présenter les fromages et les vins à un niveau mondial ne peut se faire sur deux doubles pages. Mais on aurait alors pu penser tirer un profit des illustrations, notamment les cartes. Il n’en est rien. Nous trouvons par exemple la carte dite « les spécialisations fromagères en France » (page 57) sur laquelle on découvre de petits triangles, voire des petits cœurs qui ne sont pas répertoriés dans la légende. Mais nous avons également des fromages localisés par de petits et de très grands cylindres ou disques sans que la légende n’en donne la signification. Quant au vin, la carte (page 59) présente des figurés de surfaces discontinues tous de la même couleur rouge et cette fois-ci sans aucune légende. N’y aurait-il qu’une seule variété de vin du Maghreb au Sud de la Grande Bretagne et du Portugal en Turquie ?
Pour les autres boissons, la bière, les alcools, les sodas et les eaux en bouteille, si quelques informations peuvent être intéressantes à exploiter par exemple « la bière, une boisson de socialisation », le reste ainsi que la cartographie et les illustrations diverses ne permettent pas une approche convenable. Mais surtout le traitement de la question ne répond pas à l’objectif principal annoncé à savoir « la vision raisonnée des processus de brassages ».
En revanche les pages écrites sur le thé et le café relèvent davantage de cet objectif, probablement parce que le thème est très souvent traité dans les manuels scolaires et que le lecteur ne cherchera dans ces quelques pages qu’un éclairage complémentaire. Les documents concernant notamment le café sont d’un apport intéressant pour l’exploitation dans le cadre scolaire.
La gastronomie dans le monde
Deux doubles pages pour finir et une carte mondiale qui se veut une synthèse pour appuyer l’objectif principal à savoir : « la vision raisonnée des processus de brassages ». Bien qu’un peu confuse, cette carte a au moins le mérite d’exister. Mais on pourra lui reprocher de ne traiter que les produits. Quant aux mets à défaut de plats, seuls la pizza, le hamburger, le kebab et le sushi ont été retenus. Avec ces quelques produits de grandes consommations peut-on valablement parler de gastronomie ? Avec cette cuisine rapide des temps modernes peut-on, comme le font les auteurs, parler de « goût planétaire ? »
Ni les arguments proposés, ni les documents les illustrant n’emportent l’adhésion.
Le supplément : cultures alimentaires et mondialisation
C’est peut-être dans cette dernière partie rajoutée comme son nom l’indique que le lecteur trouvera matière à saisir le « brassage » mais avec une inégale réussite. Si pour l’Asie orientale et l’Amérique ainsi que l’Inde et le Moyen-Orient, le brassage des produits s’avère être une réalité, l’espace Europe et Russie présenté sur une seule double page, laisse davantage perplexe. Et pourtant !
En conclusion et sans jeu de mots trop facile, le lecteur à la fin de ce livre, restera sur sa faim. En effet, le « brassage » tant attendu n’était pas au rendez-vous, pas plus que les étapes de la mondialisation alimentaire que la géographie devrait mettre en lumière. Quant aux cuisines et aux gastronomies il n’en a été que très peu question, le sujet a à peine été effleuré. Mais était-il raisonnable de vouloir traiter en si peu de pages d’un sujet aussi vaste et aussi intéressant ? Probablement pas. On pourra alors simplement regretter que la collection n’ait pas su, comme pour d’autres Atlas, offrir au lecteur quelques « belles cartes » pour mieux saisir la mondialisation alimentaire et le brassage.
Copyright Les Clionautes