Un autre Atlas de la grande spécialiste, Bernadette Mérenne-Schoumaker ! Une 2e édition bienvenue, tant les choses changent vite en ce domaine.

L’auteur – comme son préfacier, Philippe Chalmin, le rapport Cyclope, c’est lui ! – est bien connue dans son domaine de prédilection : l’énergie et les matières premières. On rappellera son excellent manuel Géographie de l’énergie (nouvelle édition 2011), son Atlas des énergies mondiales (3e édition 2015), et son dossier de la Documentation Photographique de l’an dernier, sur le même sujet.

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L’actualité des matières premières semble plus calme ces derniers mois. Le ralentissement de la croissance mondiale, et notamment celle de la Chine, acteur prégnant des marchés de matières premières, a évidemment rejeté le sujet loin des écrans de l’actualité. Mais il n’empêche que les tensions sur les matières premières demeurent un sujet de long terme particulièrement préoccupant. A l’heure où les marchés s’interrogent sur la fin du « super-cycle », il convient de rester prudent : le moindre redémarrage de l’économie mondiale, notamment du côté des émergents, verra les tensions réapparaître. Cette lecture est donc un investissement d’avenir.

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L’organisation et la maquette de cet Atlas suivent celles dorénavant utilisées par la collection rénovée. La double page, qui constitue le format de base de l’Atlas est d’une belle clarté, même s’il manque toujours dans le texte des renvois aux cartes et graphiques.

L’Atlas est divisé en cinq grandes parties, chacune précédée d’une introduction qui pose les enjeux et suivie d’une conclusion en forme de bilan. Cette forme classique, témoin d’un propos construit et organisé, est à présent la marque de la collection. On ne peut que s’en féliciter.

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La préface de Philippe Chalmin, après avoir suscité un instant d’inquiétude (« Les matières premières ont toujours fasciné les hommes… », mais sans doute est-ce un clin d’œil amusé de notre préfacier émérite !), remet les pendules à l’heure : la diversité des matières premières, commodément rassemblées sous le terme anglo-saxon de commodities, est remise en perspective historique. Leur importance est soulignée, à l’heure du contre-choc pétrolier.

L’Atlas s’ouvre par une rapide introduction générale, qui tente de définir – chose moins simple qu’il y paraît – ce que sont les matières premières, et en souligne la rareté.

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La première partie traite des matières premières minérales et énergétiques. Le tour d’horizon (métaux industriels et rares, hydrocarbures conventionnels ou non, charbon, uranium, agrocarburants) est relativement complet, mais souffre – au goût de votre grincheux serviteur – de deux défauts : l’examen est bien rapide – mais c’est le propre de la collection, dira-t-on – et la logique d’exposition n’est pas toujours bien nette, ni les problématiques bien mises en évidence. Un doute nous saisit : l’auteur, dont on connait la compétence, n’aurait-elle pas été pressée par l’éditeur de façon déraisonnable ?

La deuxième partie est semblable à la précédente mais aborde les autres matières premières, agricoles, et l’eau, considérée dans cet Atlas comme une matière première. On regrettera cette fois, malgré la carté et le classicisme de l’exposé, une cartographie un peu décevante : on a souvent vu ces cartes ailleurs : Inde du blé et du riz, production et consommation de café (par exemple par notre excellent collègue de Rouen, Jean-François Pezot), de coton (un peu limitée), rendements de la pêche (merci l’Atlas du Monde diplomatique !), l’évolution de la pêche et de l’aquaculture (merci le rapport de la FAO !), de l’accès à l’eau (merci les collègues de chez Autrement !), des disponibilités en eau douce (visible sur tous les manuels du Secondaire)… Bref, un exposé clair et bien illustré, mais sans grande originalité graphique.

La troisième partie fait le point sur le caractère stratégique des matières premières (à ne pas confondre avec leur géopolitique, en partie 5). Là encore, le point est clairement fait sur la demande, l’offre qui n’a pas toujours suivi, en raison des manques d’investissements des décennies 80 et 90, les échanges, leur globalisation (merci Christian Grataloup et sa Géohistoire de la mondialisation !), l’état des ressources et des réserves, les impacts environnementaux (une très intéressante carte sur Fukushima !). Cette partie apporte une analyse que l’on a jugée plus précise, moins « catalogue ».

La quatrième partie aborde les aspects économiques. La volatilité des prix est bien étudiée, même si l’on regrettera que le graphique d’évolution des indices de prix s’arrête en… 2012. L’organisation des marchés est un plus appréciable, car on n’aborde que rarement ou superficiellement ce point en dehors de la littérature spécialisée. On y apprend des éléments nouveaux… comme par exemple la fin du marché de gré à gré sur le minerai de fer, qui avait échappé à votre serviteur ! Voilà un verbatim (vous savez, ces petites puces de texte exaspérantes qui attirent votre œil en vous faisant perdre le fil du raisonnement !) que, pour une fois, on ne regrettera pas ! Hélas, page suivante, malgré des listes intéressantes des grands groupes mondiaux par secteur, on retombe sur une carte vue partout : l’Afrique prise dans la toile des compagnies pétrolières… Des pages très originales suivent sur les acteurs du négoce (avec une cartographie parfaitement illisible sur Glencore ou le trading hub de Genève) ou d’autres intervenants, dont on parle moins : institutions, Etats (avec un graphique, comment dire, aussi illisible que dénué d’intérêt sur les groupes de pays intervenant à l’OMC : une petite collection de cartes eût été tellement préférable !). Cette partie se clôt sur une belle double page consacrée à la « malédiction des matières premières », dite aussi « syndrome hollandais », particulièrement intéressante.

La cinquième partie aborde les aspects géopolitiques. La page consacrée aux États-Unis commence malheureusement par quelques cafouillages sur les unités, qui rendent le propos peu clair. La carte consacrée à l’oléoduc Keystone XL est probablement à mettre au musée, vu que le président américain vient d’annoncer sa mise au placard. Mais les progrès de l’indépendance énergétique américaine sont bien vus et documentés. Une intéressante double page sur la Chine, malgré une carte hallucinante des implantations de CNPC, dont la légende incomplète ne permet guère la compréhension. Une page classique sur la Russie, pour laquelle on aurait aimé voir une ligne sur les conséquences du réchauffement climatique envers ses potentialités agricoles, ainsi que sur le Brésil. Les conflits liés aux matières premières sont « illustrés », si l’on peut dire, par deux cartes « à lire », dont on ne voit pas bien l’avantage par rapport à un tableau. Il eût sans doute été possible de cartographier utilement d’autres points, comme ceux de la page suivante, sur les conflits pour l’eau ou les révoltes alimentaires (qui mériterait toutefois un traitement plus élaboré). La partie se clôt avec le passage obligé du développement durable, dont les sources cartographiques sont parfois hasardeuses (ah, l’empreinte écologique !). Mais le texte est sérieux, quoique rapide, et fait un point équilibré et nuancé de la question. La dernière page – sur les pistes d’action – n’est pas très originale : recyclage, économie circulaire, sobriété, transition énergétique… Bref, du connu et on ne saurait oublier, en ultime paragraphe, l’appel à chacun d’entre nous car, nous dit-on, « l’avenir est à ce prix ».

Soulignons enfin la présence, en annexes, d’un index, d’une liste des sigles et d’une bibliographie utile.

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Un mot sur la cartographie, toujours passage obligé pour un Atlas. Malgré la présence d’une excellente cartographe, Claire Levasseur, on regrettera un ensemble décevant : les chartes graphiques, sans doute imposées par l’éditeur, manquent de lisibilité (toujours pour éviter la photocopie, pensera-t-on, sinon comment expliquer ce choix fréquent de l’invisible ?) ; les cartes couvertes de graphiques abondent, constituant autant de cartes à lire, voire à déchiffrer, dont l’intérêt comparé avec un tableau de données ne relève pas de l’évidence ; des coquilles sont présentes, en nombre heureusement limité, mais conduisent à s’interroger sur les délais de fabrication de l’Atlas ; surtout, le choix des cartes et graphiques aurait pu être plus fouillé, chercher davantage l’originalité pour démontrer les éléments constitutifs du propos de l’ouvrage. On exonèrera volontiers notre collègue cartographe, dont on a pu apprécier les talents en d’autres occasions. Mais – est-ce le fruit de la morosité ambiante ? – on est peu séduit par la cartographie d’un Atlas qui, peut-être, a été réalisé un peu vite.

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Au total, une 2e édition utile, mais qui laisse un goût d’inachevé. On ne pourra juger le travail « bâclé », car on connait par ailleurs les incontestables talents de l’auteur et de la cartographe. L’ouvrage remplit toutefois sa mission d’exposé classique et de bon aloi d’un sujet évidemment très bien maîtrisé.

Christophe CLAVEL
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