Titulaire d’une thèse de doctorat, passée à l’université Paris 8, dans le domaine de la géopolitique sur le trafic d’armes légères et de petit calibre en provenance des pays d’Europe centrale et orientale ainsi que des Balkans, Jean-Charles Antoine vient de publier aux éditions Vendémiaire Au cœur du trafic d’armes. Des Balkans aux banlieues.
Pour réaliser cette méticuleuse et fort intéressante enquête, l’auteur a visité plus de quarante-trois cités et banlieues ainsi que, bien entendu, la région des Balkans. Ce qui naturellement fait toute la richesse de cet opuscule, à la lecture duquel on apprend que c’est à partir des années 1990, et aussi des conflits sur le sol africain, que l’opinion internationale a pris conscience du problème de la prolifération des armes. Malheureusement, les Etats n’ont rien fait et seules quelques ONG ont véritablement bougé. Aujourd’hui, il existerait trois sortes de marché d’armes : le marché officiel dit blanc, le marché officieux ou occulte dit gris, ainsi que le marché noir, lequel est quant à lui totalement clandestin.
Ce phénomène a pris de l’ampleur en raison de l’effondrement de l’empire soviétique. L’URSS a en effet légué au monde en guise d’héritage un immense arsenal militaire, notamment dans les Balkans. La Yougoslavie possédait, en 1989, plus de six millions d’armes légères. Les nouveaux Etats des Balkans ont contribué à créer de nouvelles filières en armes légères et de petit calibre (ALPC). Dans ces régions, les armes servent à se protéger et à instaurer la terreur.
L’auteur prend soin de rappeler des données historiques importantes, comme le fait que le KGB utilisait les milieux bulgares pour mener des opérations d’exécution hors de ses frontières. Au sein du bloc soviétique, il existait une véritable répartition des tâches, une sorte de division du travail. Pour toutes les mafias d’Europe centrale et orientale, depuis la fin de l’URSS, l’Europe de l’ouest représente un territoire à conquérir. A cet égard, l’Italie est une plaque tournante. C’est donc l’âge d’or des mafias, comme en Albanie par exemple.
Pour ce qui est de la France, la majorité des armes sont en fait des armes non déclarées de génération en génération, comme par exemple les armes de chasse. Représentant la légitimité des territoires, par crainte des éventuelles conséquences électorales, le Sénat s’est toujours montré plus que réticent à réglementer ce domaine. De plus, la réglementation en la matière date d’un décret-loi de 1939. Autant dire qu’il est permis de se demander si la réglementation est toujours en adéquation avec les réalités de la société actuelle et si elle n’est pas en quelque sorte déphasée.
La réglementation dépend, en France, du contrôle général des armées, c’est-à-dire du ministère des armées, ainsi que de la sécurité publique, c’est-à-dire du ministère de l’intérieur. Celle-ci est donc le fruit d’un enchevêtrement de compétences… Toutefois, tout ceci est, nécessairement, source de problèmes. L’auteur estime que la réglementation rentre trop dans le détail et complique la lutte contre le marché noir. Le contentieux du marché noir des armes apparaît toujours de façon incidente dans les procédures, par exemple lors d’affaires de prostitutions ou de drogue.
Pour les jeunes en France, l’Etat n’est plus l’unique entité détentrice de la violence légitime. Souvent, dans certains quartiers, la police n’a plus aucune crédibilité pour maintenir l’ordre. Certains membres de gangs armés des cités françaises considèrent leurs territoires comme des mini-Etats et en possèdent même certains des attributs, comme le PIB (drogues), les signes de reconnaissance (tatouages), la justice (règlement de compte avec kalachnikovs).
L’enquête de Jean-Charles Antoine est d’excellente facture et se fonde sur une méthodologie et des critères rigoureusement scientifiques. L’auteur ne porte pas de jugement de valeur. C’est une analyse de terrain très complète, qui comporte une importante bibliographie permettant au curieux d’approfondir plus avant le sujet.
Jean-Paul Fourmont © Les Clionautes