Cet ouvrage collectif sous la direction de deux chercheurs de l’INED spécialistes des migrations internationales et des minorités propose au lecteur de changer de lunettes, de décentrer son regard sur un sujet d’actualité : ce qu’il est convenu d’appeler la crise des migrants ou crise des réfugiés. L’objectif est de proposer des clés de compréhension en ouvrant des pistes à propos des vagues anciennes de migration ou de la situation sur d’autres continents et de mettre à distance les statistiques.

Migrations internationales en Europe : arriver et partir

Face aux images d' »invasion » véhiculées par les médias les auteurs proposent de décoder les chiffres et montrent la distorsion avec la perception de la migration. Un rapide et utile retour sur le vocabulaire : migrant, réfugiés, clandestin, demandeur d’asile, irrégulier introduit l’analyse critique du chiffre de 1 million d’entrées dans l’UE en 2015, entre approche sécuritaire de FRONTEX et approche humanitaire du HCR.
Il convient de relativiser la « crise »actuelle si on la rapporte à des vagues migratoires anciennes (réfugiés espagnols, rapatriés d’Algérie, Boat people) et si on la compare avec d’autres régions du monde.

Accueillir des « vagues » de migrants en France un détour par l’histoire, un chapitre qui décrit trois épisodes marquants : l’arrivée d’un demi million d’Espagnols en 1939 en une vingtaine de jours, le rapatriement d’environ 600 000 « pieds noirs » en 1962 et dans les années 70 l’arrivée de 120 000 réfugiés du Sud-Est asiatique.

Il est nécessaire de remettre en cause l’image misérabiliste de l’immigration véhiculée par la formule de Michel Rocard : « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde« . Les études récentes sur la « jungle » de Calais montre l’écart entre l’image d’une population pauvre et peu éduquée et la réalité d’une population où plus du quart a un diplôme universitaire, d’où l’importance d’une connaissance des conditions d’origine des migrants (situation sociale, économique, niveau de formation) pour changer le regard, pour comprendre le phénomène migratoire. C’est souvent une élite qui migre voir le tableau p 62, un constat : une migration très sélective et une forte diversité de situation.

Le mythe de l’invasion pose plusieurs questions : d’où viennent-ils? Restent-ils en France? L’auteure du chapitre 4 interroge l’invisibilité des départs des Français comme d’étrangers résidant en France. Elle montre que les politiques d’intégration empêchent de voir les situations de re-migration vers le pays d’origine ou vers un autre pays. Il n’existe pas de statistiques de sortie du territoire. Les enseignements de la recherche montre des migrations temporaires à mettre en relation avec les motifs de départ mais aussi les politiques du pays d’accueil. L’auteur développe notamment les migrations « circulaires » faites d’aller et retour.

Éclairages régionaux

Toujours dans l’idée de décentration du regard l’analyse du cas des réfugiés de Syrie au Liban, montre un pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés lesquels représentent un quart de sa population. L’étude permet de caractériser les migrations de refuge : de l’autre côté de la frontière, migration par essence même temporaire, de composition sociologique très diversifiée. Il faut s’intéresser à qui et pour qui sont produites les statistiques pour quel accueil au Liban. La comparaison avec les précédentes vagues migratoires et la politique de naturalisation met en évidence le lien entre politique et religion. L’auteure montre les réalités aujourd’hui et leur répercutions sur les stratégies des réfugiés notamment à travers le témoignage d’Hassan pages 110 et suivantes.

Autre exemple celui de la Guyane française entre peur de l’invasion et stéréotypes racistes, si l’histoire du peuplement est celle d’un flux migratoire ancien pour développer le territoire à partir de 1990 on assiste à une inflexion vers un contrôle strict des frontières. La fermeture s’accompagne d’une image négative des migrants (orpailleurs clandestins, prostituées) malgré leur contribution à l’économie comme main-d’œuvre bon marché.

Le troisième cas étudié : le Maroc de l’émigration à l’immigration, une immigration qui n’est pas seulement de transit aux portes de l’Europe mais aussi le fait d’Européens autrefois dans le cadre du protectorat 1912-1956venus travailler au Maroc. Les ressortissants de l’UE représentaient en 2014 53% des salariés étrangers dans le pays.

Partant des images : grillages de Ceuta et Melilla, pateras et pirogues à la dérive l’auteur rappelle quelques réalités sur les migrations d’Afrique subsaharienne: ni exode, ni invasion. Ces migrations sont plus tournées vers l’intérieur du continent que vers l’extérieur. Pour le voyage vers l’Europe ce ne sont pas les plus pauvres ni les moins instruits qui partent. Le regroupement familial n’est pas la norme, le modèle le plus répandu est celui d’une vie ici et là-bas, de familles transnationales graphique page 167 – à retrouver aussi lors de la table ronde des Rendez-vous de Blois 2016 [https://www.clionautes.org/spip.php?page=article&id_article=3763->https://www.clionautes.org/spip.php?page=article&id_article=3763], multi-situées. Enfin les retours spontanés sont nombreux pour des raisons professionnelles ou familiales.

En conclusion les auteurs ont choisi de poser une question : Contrôler les frontières : une cause perdue?