L’agroforesterie, une pratique qui associe des arbres et des cultures, ancienne et récemment renouvelée. C’est une question qui a vu se multiplier les études au cours des quinze dernières années.
Sans viser une exhaustivité impossible, Emmanuel Torquebiau, chercheur au CIRAD de Montpellier, a pour ambition de faire comprendre aux curieux l’essentiel : où, quand, comment, pourquoi en s’appuyant sur de très nombreux exemples, variés dans le temps, la tradition et l’espace. De nombreuses photographies donnent à voir ce qu’est l’agroforesterie.
En 29 courts chapitres, bien documentés et faciles à lire, même pour le néophyte, l’ouvrage fait voyager le lecteur et lui propose une découverte de ce qui sera, peut-être, la solution pour l’agriculture du XXIe siècle.
Tout est dans le sol, ou la notion d’écosystème-sol : substrat, champignons, humus, faune du sol. Aujourd’hui, les sols sont mis à mal dans de trop nombreux cas, allant jusqu’à la stérilisation par érosion : 1/3 des sols de la planète. L’auteur montre les effets positifs de l’agroforesterie avec l’exemple de la ferme de Restinclières, site d’expérimentation de l’INRAE près de Montpellier.
Naissance d’un concept, né dans les années 1970 face à la menace qui pesait sur les forêts tropicales. Les chercheurs ont redécouvert les pratiques traditionnelles des peuples de la forêt et leurs intérêts agronomiques : association forêt/culture/élevage que ce soit à Sumatra, en Amazonie ou en Afrique de l’Ouest. L’auteur cite différentes études et expérimentations des années 1970-1980, un long chemin pour la reconnaissance de l’agroforesterie.
Le développement durable avant l’heure – Avant même le rapport Bruntland (1987) l’agroforesterie s’inscrit dans la gestion durable en reconnaissant les services écosystémiques de la forêt. L’idée que les arbres puissent être des alliés face au changement climatique émerge lentement (Marcel Griffon – 1995).
Mille et une définitions – Avec le temps les chercheurs se mettent d’accord pour placer sous le terme d’agroforesterie des pratiques qui ont pour nom : agrisylviculture, systèmes forestiers multifonctions … En 1982, une nouvelle revue est publiée : Agroforestry systems, l’agroforesterie y est présentée « comme une approche environnementale et protectrice des ressources naturelles. » (p. 38). La définition évolue vers « des pratiques qui intègrent l’arbre dans l’environnement de production » (p. 42).
Mille et une classifications, exercice d’autant plus difficile que l’agroforesterie s’applique sous des climats très différents et que la place de l’arbre est soit première : protection des forêts tropicales, ou d’apparition récente : introduction d’arbres dans des cultures ou en association avec l’élevage en zone tempérée (exemples de classification page 47 et 50).
Science ou esprit partisan ? Si les chercheurs ont dès le début une place dans l’étude et l’expérimentation, cette pratique a attiré des adeptes de solutions alternatives. Ce qui a, dans certains cas, pu nuire à la crédibilité des propositions face au modèle dominant d’exploitation de l’espace. L’auteur montre la vitalité des recherches appliquées au monde tropical notamment par l’ISRA.
Une invention ou une redécouverte ? La première mention du terme agroforesterie date de 1937 dans un journal indien The Hindu. Christiane Dupraz et Fabien Liagre ont montré dans leur ouvrage Agroforesterie. Des arbres et des cultures, que la pratique combinée agriculture/forêt remonte sans doute au néolithique : culture multi-étage des oasis, arbres orphelins des Pygmées au Cameroun, pré-vergers français, coltura promicua… parcs agroforestiers du Sahel… un inventaire qui reste à terminer.
La permaculture agroécologique avant l’heure ? Le concept de permaculture est né en Australie en 1980. Il reprend des pratiques anciennes de couverture des sols en continu, de diversité des récoltes, à la recherche d’un écosystème complexe de forêt-jardin comme dans l’exemple de la ferme du Bec Hellouin. Le concept d’agroécologie est vu comme tant seulement adapté à la petite agriculture paysanne. Une étude de 2021 a montré que dans 78 % des cas l’agroécologie améliore la sécurité alimentaire et la nutrition des populations. L’auteur montre les différences entre agroécologie et agroforesterie, qui ne sont cependant pas incompatibles.
Des champs les uns sur les autres – Cette description de Pline l’Ancien à propos de la région de Tacapès (Tunisie) : « Là, sous un palmier très élevé, croît un olivier, sous l’olivier un figuier, sous le figuier un grenadier, sous le grenadier une vigne ; sous la vigne on sème le blé ; puis des légumes, puis des herbes potagères, tous la même année, tous s’élevant à l’ombre les uns des autres. » (p.74) est mise en parallèle avec la palmeraie actuelle de Rosette en Égypte. L’idée essentielle est le multiétage qui utilise au mieux les rayons du soleil. Les strates dominantes sont différentes selon les exemples : dattiers dans la palmeraie, céréales au sahel dans les parcs à Faidherbia albidaDéjà décrit par Paul Pelissier dans sa thèse Les paysans du Sénégal. Les civilisations agraires du Cayor à la Casamance, 1966, strate intermédiaire des plantations de caféiers en Tanzanie.
Agroforêts et forêts comestibles – Les différentes strates ont des fonctions variées : nourrir les hommes, le bétail ; fournir le bois de construction, se soigner… comme le montre les exemples, empruntés à Francis Hallé à Java ou à Geneviève Michon. L’auteur observe deux directions pour l’agroforesterie selon qu’elle est au service de la foresterie puis de la petite agriculture ou qu’elle vise à lutter contre la déforestation. Il montre comment la « forêt comestible », qui n’est plus tout à fait une forêt puisque les arbres ont été plantés, concoure à l’économie rurale : un étagement vertical mais aussi un étalement des productions dans le temps, d’une saison à 30 ans dans le cas de l’agroforêt à damar de Sumatra. Quelques expérimentations existent en zone tempérée la « forêt gourmande ».
Partout des lignes, c’est le domaine de la haie, du bocage combattu au moment du remembrement. Le bocage est aujourd’hui étudié pour ses apports : microclimats, corridors biologiques, lutte contre l’érosion et la désertification. L’expérience de Restinclières est décrite en détail : maraîchage et cultures entre rangées d’arbres.
Les animaux aiment les arbres – Le chapitre précédent avait évoqué les « trognes », les arbres-têtards qui permettent de produire à la fois des perches et du fourrage, cette pratique est très répandue en Afrique sèche où le bétail consomme de façon importante des ligneux (plusieurs exemples). Cette pratique courante autrefois dans les campagnes françaises connaît un renouveau. L’utilisation des ligneux en alimentation animale a des effets positifs sur la santé du troupeau, réduit les émission de méthane lors de la digestion ce qui contribue donc à une diminution des GES. Outre les exemples classiques d’association arbres-élevage d’ovins, bovins, caprins, des exemples présentent des associations à l’élevage des volailles, des vers-à-soie et même des huîtres dans la mangrove.
A l’origine était la jachère – L’auteur rappelle une pratique aussi vieille que l’agriculture qui en région tropicale s’étalait sur une période pouvant aller jusqu’à 30 ans. Il montre les limites de l’abattis-brûlis pour la fertilité des sols, notamment quand la pression démographique augmente. On assiste aujourd’hui à des plantations d’arbres sur la jachère et à une évolution vers l’agroforesterie : grande muraille verte au sahel ou système Taungya en Birmanie.
Une erreur de jeunesse – Ce chapitre analyse la « culture en couloirs », des bandes céréalières séparées par des haies basses arbustives, des haies brise-vent ou des lignes de hauts arbres, destinées à remplacer la jachère tout en maintenant la fertilité du sol. Cette technique, pratiquée dans les années 1980, est remise en question dans les années 1990 du fait de la concurrence entre les cultures et les arbres.
La régénération naturelle assistée a été le cœur du congrès d’agroforesterie de New Delhi en 2014. Cette pratique consiste à favoriser la reprise sur souche après brûlis. Elle s’avère plus efficace que la replantation ou le semis d’arbre. Cette technique est pratiquée notamment au Niger (Photographie p. 120).
Cultiver en patchwork ou le partage du sol entre cultures permet la préservation de la biodiversité. L’auteur décrit les controverses à propos de la « Révolution verte » depuis les années 1970. L’hétérogénéité des mises en valeur, l’approche paysage sont sans doute des pistes pour aborder les défis environnementaux tout en produisant de la nourriture, multifonctionnalité des paysages.
Des vergers fruitiers pour l’avenir – ce chapitre est un plaidoyer pour les prés-vergers qui, autrefois, associaient élevage et production fruitière, mais aussi pour un retour vers des variétés rustiques de haute tige. Des pratiques européennes, mais pas seulement, sont décrites, notamment des associations avec du maraîchage : verger-maraîcher.
Qu’est-ce qu’une culture agroforestière ? L’idée de cultiver à l’ombre peut sembler peu logique. Si certaines cultures sont en effet adaptées au plein soleil, mais d’autres tolèrent, voire préfèrent des situations ombragées (patate douce, cacao…). La recherche pourrait permettre de trouver des variétés adaptées : « On peut légitimement se demander ce qui se serait passé si les premiers chercheurs en agroforesterie s’étaient concentrés sur les cultures susceptibles de donner de bons résultats en agroforesterie, plutôt que sur les arbres capables de s’immiscer dans les champs. » (p. 134).
De la farine sur des arbres – C’est l’occasion d’évoquer la longue domestication des espèces végétales ; d’abord les céréales et les légumineuses, puis quelques arbres fruitiers (en milieu tropical : manguier, cocotier). Les travaux d’amélioration des arbres tropicaux est une aventure récente, principalement africaine, ils ont montré la valeur alimentaire de quelques espèces : safoutier, ayus et surtout caroubier.
Des arbres polyvalents – Des espèces peuvent constituer la base de l’agroforesterie par la variété des services apportés. L’auteur en dresse la liste.
Mélanges et interactions – Il s’agit de montrer la complémentarité, les solidarités entre végétaux, les symbioses qui concourent à l’amélioration de la fertilité des sols, au contrôle de l’érosion. Les interactions négatives ne sont pas minimisées, un nouveau champ pour la recherche.
L’Agroforesterie en action – L’auteur traite des législations qui sont parfois des obstacles. Quel peut être le rôle des pouvoirs publics pour favoriser les innovations ? Des exemples en Europe illustrent le propos. Les institutions qui soutiennent la recherche et les expérimentations sont présentées rapidement : AFAC, CIRAD…
L’agroforesterie, une nouvelle comptabilité agricole – Comment comptabiliser les arbres des cultures au regard des subventions européennes ? Comment comptabiliser l’autoconsommation par exemple des légumes dans les plantations de cacaoyers ou les externalités positives d’un rucher ? Ces questions montrent la complexité des calculs économiques surtout quand les productions ont des temporalités très différentes. Ce chapitre ouvre la réflexion sur le financement des services écosystémiques en agriculture.
Armés face à l’urgence climatique – C’est la fonction puits de carbone qui est présentée (schéma p. 177). L’auteur rappelle que l’amélioration des sols permet une diminution du recours aux intrants émetteurs de GES. L’agroforesterie est donc un atout pour atténuer le changement climatique et s’y adapter.
L’eau et le sol, précieuses ressources des champs en quelques chiffres. L’agriculture représente 70 % de l’eau consommée sur la planète, En Europe, 15 % des sols sont érodés par le ruissellement sur des sols nus (20 % en France). L’auteur montre que le rôle des arbres pour l’augmentation de la matière organique des sols, la capacité à stocker l’eau, améliorer la structure et la fertilité des sols. Il développe notamment le rôle des racines.
Se passer de produits phytosanitaires – Mélanges de cultures, multistrates permettent d’héberger des espèces prédatrices des ravageurs comme le montrer une méta-analyse de 125 études, en 2015.
Partager la terre pour protéger la biodiversité – Alors que l’IPBESIntergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services alerte sur la réduction de la biodiversité sur tous les continents, phénomène déjà dénoncé par Rachel Carlson en 1962, les pratiques agroforestières apportent des solutions : « la faune, la flore, mais aussi la diversité microbienne du sol (champignons mycorhiziens, bactéries, activité enzymatique) sont plus importantes en agroforesterie que dans les monocultures et certaines forêts ou pâturages. » (p. 200).
La forêt sans la forêt – L’agroforesterie est un réel atout pour lutter contre la déforestation même si une forêt humide ne retrouve jamais son aspect après une exploitation forestière. L’agroforesterie peut être une source de bois d’œuvre et de bois énergie. Il ne faut pas oublier les nombreux produits non-ligneux : fruits, champignons, pharmacopée traditionnelle, gomme. Ils représentent environ 18,5 milliards de $ dont la moitié pour la Chine et la Russie.
Un nouveau pacte – Pour conclure, Emmanuel Torquebiau propose de s’appuyer sur le rapport de 2018 de l’ONG suédoise Vi Agroforestry qui démontre le potentiel agronomique et environnemental de l’agroforesterie.
Un ouvrage qui peut sembler éloigné des préoccupations d’un professeur de géographie, mais qui par les pistes qu’il ouvre pour l’agriculture peut devenir, dans le futur, une source d’informations pour des cours.