Présentation de l’ouvrage par l’éditeur : le dynamisme actuel de l’économie sociale et solidaire dans l’agglomération grenobloise a des racines anciennes que cet ouvrage cherche à mettre au jour.
Grenoble est la ville où est née la première mutuelle, celle des gantiers créée en 1803. Elle a été aussi le berceau des premières mutuelles féminines, de deux restaurants sociétaires, de coopératives de consommation, et d’associations ouvrières. Cet associationnisme a répondu, il y a plus de 150 ans, aux besoins de prévoyance, d’alimentation et de travail des grenoblois. Ce livre fait revivre ces expériences.
L’auteur : Simon Lambersens est historien et chargé de mission à l’association AIRES.
Ce court livre retrace « la mise en place de l’économie sociale à Grenoble », malgré la difficulté, classique pour ce type de recherches, d’accéder à des informations complètes pour lesquels les fonds sont très inégaux.
L’introduction resitue le contexte démographique économique et social de la ville de Grenoble pour expliquer l’émergence du mutualisme. Elle passe ainsi de 30000 à 68000 habitants de 1830 à la fin du siècle. Ville sage, son activité est principalement liée à la ganterie, secteur de luxe principalement destiné à l’exportation. L’évolution économique locale voit le développement de l’industrie lourde puis de nouveaux secteurs tels que l’hydroélectricité.
C’est dans ce contexte que les anciennes confréries, interdites depuis 1792 évoluent et donnent naissance à la première mutuelle en 1803.Le chapitre 1 intitulé « le mutualisme grenoblois au XIXe siècle » revient sur la genèse du mouvement mutualiste et sa diffusion à Grenoble au début du XXIe siècle chez les gantiers. D’abord encouragé car rendant service en temps de crise, elle fait ensuite l’objet d’une méfiance. La crainte, unanimement partagée à l’époque, que les sociétés de secours mutuels servent de caisses de résistance et de syndicat déguisé, n’entrave pas leur développement.
A l’origine de la fondation de la première mutuelle se trouve la Confrérie des Pénitents Blancs de Saint Laurent, reconstituée sous le Consulat et qui se consacre à l’aide aux indigents. La rencontre entre l’ouvrier André Claude Chevalier et le docteur François Frier est décisive dans un contexte de crise économique frappant alors la ganterie. Le 17 avril 1803 les ouvriers gantiers se réunissent avec l’autorisation du maire et adoptent le 1er règlement du bureau de bienfaisance en faveur des gantiers dont Chevalier devient l’infirmier général. Son activité est alors strictement limitée au soulagement des gantiers malheureux et n’accorde de secours qu’en cas de chômage involontaire. Placée sous le patronage de Sainte Anne, les statuts prévoient selon le modèle répandu deux types de membres : les actifs et les bienfaiteurs. Cette initiative fait école et six sociétés supplémentaires voient le jour. Elles sont ouvertes à différents corps de métiers dont les cordonniers, les peigneurs de chanvre et les charpentiers. Mais la crise impacte leur existence, les membres pouvant difficilement honorer leurs cotisations. Cependant, le soutien local ne faiblit pas au contraire et les bienfaiteurs alliés à des subventions municipales permettent aux sociétés de poursuivre leurs activités. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premières mutuelles féminines : la Société des Arts et métiers et le Pacte de Famille en 1828. Certes elles sont ouvertes à tous les corps de métier mais pas à toutes les couches sociales. A partir de 1847, le mutualisme se diversifie dans ses objectifs avec la création de l’Union Fraternelle qui a pour but de répondre à l’usure physique des couturières du gant (p.29).
La période du Second Empire voit la création des sociétés approuvées par le décret du 26 mars 1852. Mais le modèle napoléonien prend peu localement et la majorité des sociétés grenobloises choisissent de rester libres, tandis que les autorités locales, sauf exception, leur réaffirment leur soutien.
Le mouvement se diversifie et s’émancipe du modèle issu de la confrérie. Certains ouvriers souhaitent profiter des mutuelles pour proposer une nouvelle organisation du travail, s’attirant ainsi la méfiance des autorités comme le montre le cas de la mutuelle la Concorde en 1842. Quatre courants de pensée s’affrontent dès lors autour de la question sociale.Le chapitre 2 évoque le passage « de la philanthropie à l’organisation municipale de la solidarité » et développe le thème de l’évolution de la philanthropie sous ses formes multiples au cours du siècle après avoir rappelé que les sociétés de bienfaisance, loin d’être une innovation du siècle ont fleuri dès le XVIIe siècle, la plupart étant copiées sur des modèles parisiens catholiques et maçonniques. Leurs domaines d’action sont variés : la protection des jeunes filles dans le but de les moraliser et d’en faire de bonnes ménagères (p.43), les jeunes orphelins, les vieillards, les aliénés, ou encore les prisonniers. L’enseignement, l’apprentissage, l’épargne populaire l’éducation et la moralisation sont les secteurs investis par les associations comme la Société Saint Vincent de Paul. Mais, vite, les associations religieuses sont concurrencées par des mouvements plus laïques tandis que l’assistance municipale se développe. Cette dernière met en place et développe grâce à la volonté du maire Frédéric Taulier, des ateliers de charité en 1843 destiné à lutter contre le chômage des ouvriers, selon le principe affirmé du « droit sacré de vivre en travaillant ». Mais ces ateliers qui suscitent des initiatives similaires, ont leur limite car exclusivement ouverts au grenoblois durant l’hiver.Le chapitre 3 revient sur « l’influence fouriériste à Grenoble et les restaurants sociétaires ».
Après être brièvement revenu (trop ?) brièvement sur la pensée de Charles Fourrier et son projet de réorganiser la société en phalanges, l’auteur revient sur l’arrivée de ce courant du socialisme utopique à Grenoble à partir de 1837, grâce à l’action de l’avocat et ancien carbonaro Joseph Philippe Etienne Rey. Dans le même temps, des clubs se mettent en place, comme le cercle sociétaire, dont les membres, essentiellement issus de la petite bourgeoisie sont sensibles aux idées innovantes imprégnés de fouriérisme et l’ouvrage propose quelques portraits de ces individus et retracent quelquesunes des controverses qui agitent les élites locales intéressées par la question sociale et influencés par Fourier mais aussi critiques sur certains aspects comme la question de la propriété privée. Le chapitre revient enfin sur les initiatives du futur maire de Grenoble, Frédéric Taulier dont le paternalisme municipal se fonde à la fois sur la tradition mutualiste telle qu’elle s’est développée à Grenoble et sur les idées fouriéristes qui aboutisse à des expériences originales. En effet, l’association alimentaire de Grenoble, ouverte le 5 janvier 1851 se propose de réformer l’alimentation populaire (p. 74-75) en servant à ses adhérents des repas présentés comme étant à la fois sains et moins coûteux, mais aussi avec l’idée, avant-gardiste pour l’époque, de libérer l’ouvrière du temps passé en cuisine pour se consacrer davantage à ses enfants. Malgré les difficultés rencontrées, cette structure perdure jusqu’en 1911 et est même imitée localement. Le chapitre se termine avec une évocation de la deuxième génération de fouriéristes et l’initiative prise par Joseph-Paul Balme de créer un phalanstère en 1878.
Enfin le chapitre 4 évoque « la construction d’un mouvement coopératif autonome » et les initiatives diverses et inventives allant dans ce sens.

Ce petit livre synthétise de manière efficace le développement de l’économie sociale tout en étant régulièrement illustré par des documents iconographiques qui agrémentent la lecture judicieusement, tandis que sa bibliographie n’oublie aucun des classiques du thème. Il constitue une bonne base de compréhension de l’économie sociale en général en partant d’un modèle local.