» Les Allemands étaient-ils informés de l’existence des camps de concentration ? Pouvaient-ils ignorer ce qui s’y passait ? Quand l’ont-ils su ? » Autant de questions que se posent les historiens de l’Allemagne et du nazisme depuis 1945. Le livre de Robert Gellately renouvelle l’approche de la question et y apporte des réponses intéressantes, fondées sur des recherches approfondies et étayées par de très nombreux exemples.
Robert Gellately enseigne l’histoire de l’Holocauste au Centre d’études de l’Holocauste de la Clark University et a déjà publié La Gestapo et la société allemande, en 1992.
Avec Hitler, publié en 2001 sous le titre Backing Hitler, Consent and coercion in nazi Germany (Oxford University Press), est le résultat de recherches dans les Archives fédérales allemandes, en particulier les archives de la Gestapo, lorsque les dossiers n’ont pas été détruits, ainsi que la documentation et les minutes des procès des criminels de guerre nazis. Se demandant ce que les Allemands pouvaient savoir de la police secrète et de ses agissements, des persécutions et des camps de concentration, l’auteur a également dépouillé la presse nazie de l’époque, en particulier le Völkischer Beobachter, organe du Parti nazi devenu ensuite le principal journal allemand, expression » semi-officielle » du régime, et le journal des SS, le Scwarze Korps. D’autres grands journaux ont fait l’objet d’une étude montrant la nazification progressive de la presse allemande. L’auteur s’appuie enfin sur de nombreux recueils de sources, des mémoires et sur la plupart des ouvrages de référence sur le sujet, en particulier la biographie d’Hitler publiée par Ian Kershaw. Le journal de Victor Klemperer (publié en français en 2000 aux éditions du Seuil) est cité à de nombreuses reprises pour montrer l’évolution de l’opinion publique allemande. Les notes, nombreuses et précises (p. 347 – 417), ainsi que la » Note sur les sources » (p. 419-425) comportent un très grand nombre de références bibliographiques.
Dans l’introduction, l’auteur rappelle les étapes de l’installation de la dictature nazie et montre comment Hitler, une fois au pouvoir, réussit à obtenir le soutien du peuple par une propagande habile. Se faisant, il se démarque de la thèse défendue par Daniel Goldhagen dans son livre controversé Les Bourreaux volontaires de Hitler : les Allemands ordinaires et l’Holocauste (1996, traduit aux Editions du Seuil en 1997). Daniel Goldhagen considérait l’antisémitisme profond de la société allemande comme l’élément fondamental du consensus social sous le III ème Reich, minimisant de ce fait le rôle d’Hitler. Robert Gellately considère que » malgré les critiques qu’elle appelle, l’étude de Goldhagen a eu le mérite de poser un certain nombre de problèmes importants et d’appeler à de nouvelles recherches. » Il considère pour sa part que l’accord social résulte de multiples causes, » dont la plupart n’avaient pas grand-chose, sinon rien à voir avec la persécution des juifs « . Mais il remet également en cause l’idée longtemps admise par les historiens, que les nazis cachèrent à dessein et systématiquement ce qu’ils faisaient et qu’il était possible que des gens ordinaires n’aient rien su. Les recherches menées dans les journaux de l’époque montrent que le régime s’assura dans les années 1930 que la presse fit état des camps de concentration, du nouveau système de justice policière, de l’action de la police secrète (Gestapo) et de la police criminelle (Kripo).
Les dix chapitres retracent l’évolution chronologique tout en mettant l’accent sur les thématiques les plus importantes de la période. Ainsi le premier chapitre montre l’installation du régime et la rupture avec Weimar. Le quatrième évoque le renforcement du régime au cours de la guerre et le recours de plus en plus fréquent à la justice policière et aux exécutions. Le dernier chapitre traite de la fin du Troisième Reich, du durcissement du régime et de l ‘évolution de l’opinion à partir des premières grandes défaites. Ces trois moments donnent le cadre chronologique. Les autres chapitres sont consacrés à l’étude plus précise de certains points : la mise en place d’une justice policière et le rôle central de la Gestapo (chap.2), les camps de concentration et leur médiatisation (chap.3, chap.9). Enfin des chapitres sont consacrés au sort de groupes particuliers : les marginaux (chap.5), les Juifs (chap.6), les travailleurs étrangers (chap.9), les ennemis du régime (chap.8). Ce choix conduit à quelques répétitions, mais permet d’étudier comment la presse et la propagande présentaient la politique menée dans chacun de ces domaines, et comment le régime cherchait à obtenir le soutien du peuple, à partir d’exemples très concrets qui pourraient être utilisés en cours pour illustrer le sujet.
Robert Gellately conclut de cette recherche que les Allemands ne pouvaient pas ignorer que leur pays avait une Police secrète et un système concentrationnaire, et que cependant Hitler réussit largement à gagner l’appui de la majorité des citoyens, non pas par la contrainte et la peur, mais » en exploitant des images populaires, des idéaux chers et des phobies enracinées de longue date dans le pays « . Dès 1933 les nazis tentèrent d’obtenir le soutien des Allemands par une politique mêlant une répression présentée comme nécessaire au rétablissement de l’ordre et une propagande tournée vers le culte du chef, instaurant ainsi une sorte de » dictature plébiscitaire « . L’auteur considère que la guerre transforma cette situation : dès 1939 le nationalisme entra en ligne de compte. A l’exception de résistants très peu nombreux, la plupart de ceux qui avaient des doutes ou des réserves firent alors passer leur pays avant tout. Il est toutefois difficile d’expliquer pourquoi nombre d’Allemands continuèrent à soutenir Hitler jusqu’au bout, alors que les atrocités et les brutalités qui ont marqué la fin de la guerre avaient pour cadre l’Allemagne elle-même et beaucoup d’Allemands en furent victimes. Notant qu’à la fin du III ème Reich » il y avait des optimistes, des pessimistes, des idéalistes et des fatalistes « , mais aussi des » fanatiques nazis décidés à combattre jusqu’au bout « , Robert Gellately en conclut que beaucoup n’ont probablement pas voulu voir la situation telle qu’elle était.
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