Philippe Pelletier, géographe spécialiste du Japon et de l’Asie orientale, s’intéresse en parallèle depuis plus de trente ans à l’anarchisme (L’Anarchisme publié au Cavalier Bleu en 2010, Géographie et anarchie aux Editions du Monde Libertaire en 2013) et à l’écologie-écologisme (Climat et Capitalisme Vert en 2015 chez Nada Editions, L’imposture écologiste en 1993 chez RECLUS). Son dernier ouvrage, Noir & Vert, Anarchie et écologie, une histoire croisée, publié aux éditions du Cavalier Bleu, vient finalement synthétiser une partie de sa pensée sur les sujets abordés à la fois par les écologistes et les anarchistes.
Confronter la pensée anarchiste et écologiste.
Ce livre cherche, après avoir résumé l’évolution historique et intellectuelle de l’anarchie/anarchisme et de l’écologie/écologisme, à confronter ces deux courants sur diverses thématiques.
La première question abordée est le passage de l’anarchie vers l’anarchisme et de l’écologie vers l’écologisme, soit le passage d’un modèle politique (l’anarchie) ou d’une science (l’écologie) à un courant de philosophie politique voire à une doctrine. Les deux premiers chapitres reprennent de façon utile leur histoire et les grandes figures qui les composent. Les liens entre l’anarchisme et le communisme sont rappelés et permettent de les distinguer facilement. De même, Philippe Pelletier revient sur l’évolution de l’écologie, science dont les prémices sont situées dans un contexte historique spécifique (le social-darwinisme) et sur sa mutation en écologisme, au début proche de l’extrême-droite avant de virer à gauche.
Après ces points, l’auteur aborde différents thèmes ; se succèdent sept chapitres : la place de la science pour l’écologisme et l’anarchisme, la question de la nature, de la (sur)population, du biopouvoir, de la gouvernance, du capitalisme vert et du progrès. Chaque chapitre est ensuite divisé à nouveau en quatre ou cinq thèmes qui permettent à l’auteur d’alterner entre les points de vue anarchiste et écologiste.
Ces différents chapitres reprennent donc certains thèmes particulièrement débattus dans nos sociétés actuelles et passées. La question de la (sur)population est ainsi représentative de cela : déjà un sujet au début du XIXème siècle, elle revient actuellement sur le devant de la scène puisque de nombreux écologistes militent en faveur de politiques de baisse de la natalité. Philippe Pelletier montre dans un premier temps que la vision malthusienne est avant tout puritaine (contrôler les naissances pour contrôler les corps du peuple) ; sa reprise par les courants écologistes repose sur l’idée d’une catastrophe globale imminente si l’humanité ne change pas radicalement de cap (les humains étant vus comme des prédateurs des ressources naturelles, leur nombre doit diminuer pour qu’ils ne les épuisent pas).
Cette critique du point de vue alarmiste des écologistes émaille le livre : un sous-chapitre, « La dénonciation anarchiste des « prophètes de malheur » » lui est notamment consacré. De même, le Rapport Meadows ou « Halte à la croissance », commandé en 1972 par le Club de Rome et qui sert de base scientifique à de nombreux écologiste, est fortement critiqué en raison des projections erronées (de population mondiale, de consommation de pétrole, …) sur lesquelles il s’appuie.
L’auteur aborde aussi la question politique. L’écologisme s’oppose profondément à l’anarchisme, puisque de nombreux écologistes tolèreraient un régime autoritaire qui imposerait des normes strictes sur le plan environnemental, ce qui est à l’opposé de la vision portée par les anarchistes, pour qui l’Etat est à la base de tous les maux. De même, l’écologisme est présenté comme l’avant-garde du capitalisme, via le capitalisme vert, puisque cette nécessité d’agir face au réchauffement climatique ne le remet pas en cause. D’une certaine façon, l’opposition entre ces deux courants pourrait se résumer à cela : les écologistes veulent changer la société ; les anarchistes veulent changer de société.
Un essai critique envers l’écologisme.
L’auteur n’a jamais fait mystère de sa proximité avec les courants libertaires, tout comme son regard critique envers l’écologie et l’écologisme est bien connu. Cet ouvrage n’est donc pas neutre et s’apparente davantage à un essai. Il cherche, sur les différents aspects abordés par l’ouvrage, à montrer en quoi l’écologisme, courant de pensée important du début du troisième millénaire, reprend soit des idées déjà développées par des penseurs anarchistes, soit s’oppose à la pensée anarchiste.
La construction du livre est pensée pour confronter l’écologisme et l’anarchisme, toujours en défaveur de ce premier. La majorité des critiques sont bien argumentées et documentées, cependant d’autres manquent parfois de profondeur. Certaines critiques peuvent devenir des attaques ad personam: de nombreux écologistes et écologues sont rattachés à leur foi pour les dénigrer car, comme le pense Philippe Pelletier, la religion est obscurantiste. Pourtant, il aurait justement été intéressant de parler du rapport écologie-religion, d’autant plus que le pape François a rédigé un texte, Laodato Si, très commenté par les écologistes mais non cité dans l’ouvrage. De plus, les écologistes sont présentés comme l’avant-garde du capitalisme ; il aurait pu être opportun de développer davantage les courants altermondialistes, qui prônent la décroissance.
Conclusion
Cet ouvrage intéressera donc ceux qui cherchent à mieux comprendre les positions de l’anarchisme et de l’écologisme dans les débats contemporains, puisque des sujets diversifiés sont traités. Le travail bibliographique de Philippe Pelletier est conséquent ; les notes de pages sont abondantes et pertientes, les citations nombreuses. Cela peut donc orienter les futures lectures et recherches personnelles.
Noir & Vert, Anarchie et écologie, une histoire croiséepermet donc d’améliorer ses connaissances historiques et conceptuelles tout en donnant des billes pour mieux comprendre le monde. Sa critique envers l’écologie et l’écologie, bien que virulente, déconstruit certaines idées préconçues et questionne des évidences. Ce qui est toujours bon à prendre par les temps qui courent, libre après à chacun d’en garder ce qu’il voudra.