Les six études concernent les libertins et les épicuriens au XVIe siècle ; le culte de sainte Anne et son iconographie ; la naissance du concept de croyance (XVIe-XVIIe) ; la thèse de l’acculturation des masses par les élites ; l’image sainte à la veille de la réforme. « Libertins » et « épicuriens : aspects de l’irréligion en France au XVIe siècle étudie le langage des écrits « libertins » exprimant, au temps de Rabelais, l’irréligion, sans la dire, par des voies détournées, pour contourner l’interdit Ainsi l’on peut lire le féminisme du célèbre de nobilitate d’Agrippa comme une critique de l’autorité.Le deuxième traité, « Saine Anne est une sorcière » part d’un étonnement de Jean Wirth devant une gravure de Hans Baldung où sainte Anne semble représentée en sorcière. L’auteur cherche à montrer que le culte de Sainte Anne a pu être développé, à l’âge d’or des « chasses aux sorcières », comme un contre-feu permettant de ménager aux vieilles femmes une place dans la société. On peut cependant trouver le corpus documentaire sur lequel s’appuie Jean Wirth un peu limité, et s’interroger sur la solidité de l’équivalence vieille femme/ sorcière. La naissance du concept de croyance (XII-XVIIe) siècle cherche à montrer que l’émergence de cette notion (en remplacement de la fides, ciment de la société médiévale) est liée au changement social et à la Réforme.Contre la thèse de l’acculturation des masses par les élites, Jean Wirth reprend l’analyse de l’action du carme Thomas Conecte dans les Flandres (1428-1429), cité par Muchembled à l’appui de sa thèse dans Culture populaire et culture des élites. L’analyse de Wirth fait apparaître que « les prétendues élites ecclésiastiques, au lieu d’acculturer, se défendent contre la mise en cause de leurs fonctions et de leurs pratiques. Sans être le monopole des classes populaires, cette mise en cause y est bien représentée. » A travers la critique de Quelques études récentes sur Luther la cinquième étude remet en question l’image traditionnelle de la jeunesse de Luther, hantée par la peur du Diable… et rapproche plutôt les « propos de table » du réformateur de la vieille stratégie de… diabolisation de l’adversaire. « L’image sainte à la veille de la réforme » étudie principalement la doctrine scolastique de l’image, qui définit avec une grande précision un culte des images évitant l’idolâtrie. Jean With montre que leur statut est proche de celui des sacramentaux, ce qui explique que la remise en cause des images au moment de la Réforme entraîne logiquement une remise en cause du système religieux, et en particulier des sacrements.Plusieurs axes de réflexion transversaux donnent sa cohérence à l’ensemble : Jean Wirth écrit :
– Contre l’idée d’un outillage mental plus ou moins confondu avec l’outillage linguistique ou le vocabulaire, la démonstration répétée que l’on peut penser contre sa langue (Abélard met en question la définition de la fides de ses contemporains ; les libertins rusent et jouent d’une syntaxe serpentine qui désespère Calvin). L’affirmation qu’il ne faut pas confondre «l’impossibilité abstraite de penser un objet » avec « d’excellentes raisons de le taire ».
– Contre le présupposé, avoué ou non, des théologiens et des historiens qui les suivent, selon lequel un chef religieux est inspiré par le ciel ou le livre sacré, la mise à jour du système complexe où s’articulent représentations religieuses et sociales (diabolisation de l’adversaire chez Luther à ne pas confondre avec la terreur inspirée par l’omniprésence du diable ; système de fides lié à la société féodale, bousculé par l’émergence de la pluralité religieuse à la Renaissance qui invente, du «cuider» à la «croyance », des notions plus ouvertes à la tolérance mais aussi moins consistantes conceptuellement). «les légendes pieuses légitiment ou dévalorisent les comportements sociaux, elles parlent métaphoriquement des problèmes de la société ».
– Sur les usages de l’image dans la religion chrétienne et la réflexion qui l’accompagne.
La lecture de l’ouvrage est toujours stimulante. Le choix de l’auteur d’étudier les textes sur lesquels il s’appuie sans condescendance, comme venant d’auteurs aussi dignement humains que l’historien, et tout aussi capables de lucidité que lui, permet de montrer des enjeux qu’une lecture ethnocentriste pourrait ignorer. Le point de vue de Jean Wirth a aussi ses limites : peut-on vraiment faire de l’histoire religieuse sans se préoccuper de la relation des hommes et du sacré, de l’aventure spirituelle du penseur religieux confronté au Livre ? «Ou bien la religion tombe du ciel, ou bien elle est produite par des hommes», écrit Jean Wirth : pourquoi pas les deux ? (même en considérant que « le ciel » peut s’apparenter à l’inconscient !). Peut-être est-il vrai que «A travers la place de sainte Anne dans l’histoire sacrée, c’est évidemment la place des vieilles femmes dans la société qui est en jeu» ; mais l’histoire sacrée est-elle vraiment réductible à une métaphore des problème sociaux du moment ? Et si la notion de «mentalité» me semble critiquée de façon convaincante, je suis tenté d’y revenir en lisant que «lorsqu’on visite une image le dimanche, il est devenu étrange d’entendre les gens qui, tous ensemble et d’une seule voix, implorent un seigneur d’avoir pitié d’eux». Là, je l’avoue, c’est l’étrangeté ressentie par l’auteur qui me paraît étrange… Différence de mentalité, retard de mon acculturation ?
Si les savantes analyses de Jean Wirth ne sont pas de celles qui peuvent inspirer directement un cours de collège ou de lycée, elles constituent une lecture utile pour les enseignants d’histoire géographie, en les amenant à une réflexion historiographique. A l’heure des grands débats sur la laïcité, l’analyse de la notion de croyance, et de sa fragilité conceptuelle permet de préciser le champ de ce qui nous reste à penser. La réflexion scholastique sur l’image trouve, elle, des échos dans notre quotidien envahi d’icônes.