Il est des noms qui évoquent immédiatement l’histoire et ses personnages mythiques. Celui de Philippe II et plus encore de son fils, le futur Alexandre le Grand en font partie. Et quand, en plus, ceux-ci rencontrent des cités comme Athènes dont le nom évoque les heures glorieuses du rayonnement de la Grèce, cela suscite l’intérêt de l’historien. C’est au cœur de cette rencontre que nous plonge l’ouvrage de Jean Nicolas Corvisier publié dans la collection Campagnes et Stratégies chez Economica.
Ce grand spécialiste de l’histoire militaire antique, il est président de la Commission Française d’Histoire Militaire, nous fait partager sa passion pour l’histoire militaire en général, et pour Philippe II en particulier. Un souverain auquel il a déjà consacré une biographie chez Economica. A travers cette étude il nous présente une des batailles décisives de l’Antiquité, Chéronéee, qui, en -338, mit fin à l’indépendance des cités grecques et les plaça sous la domination macédonienne
Aux origines de la bataille
L’ouvrage commence par nous rappeler la situation de la Grèce au IV° siècle. La Grèce du centre et du sud reste la Grèce des cités. Celles-ci s’affrontent régulièrement pour assurer leur hégémonie. Les alliances et confédérations se forment au détour des nombreuses guerres qui marquent le IV° siècle comme elles avaient déjà marqué le V° siècle. Des conflits qui sont moins connus de l’enseignant de lycée, plus habitué à traiter du V° siècle et qui trouvera donc dans l’ouvrage matière à rafraîchir ses connaissances sur la fin de cette période qui est au programme de seconde.
Le IV° siècle débute avec l’hégémonie de Sparte à la suite de sa victoire sur Athènes lors de la guerre du Péloponnèse. Mais une troisième cité, Thèbes, vient se mêler à cette lutte et réussit un moment à prendre le dessus grâce à ses hoplites. Sparte se trouve alors réduite à peu de choses tandis qu’.Athènes s’en tire globalement mieux grâce à son empire.
Pendant ce temps, au nord, la Macédoine s’agrandit peu à peu aux dépens des royaumes voisins. L’auteur, en bon spécialiste du sujet, nous rappelle les origines du royaume, les caractéristiques de cet espace qui appartient au monde grec tout en étant différent. En particulier par son fonctionnement politique, cette royauté à laquelle finit par accéder Philippe II. Souverain parfois caricaturé mais dont Jean-Nicolas Corvisier présente un portait plus nuancé.
La montée en puissance de la Macédoine est progressive. Mais une fois ses frontières nord stabilisées, le royaume entreprend de se mêler des querelles qui opposent les cités grecques lors de la quatrième guerre sacrée. Une intervention qui est cependant risquée.
Les camps en présence
Chez les Grecs, l’armée reste encore une armée de citoyens soldats. L’auteur passe en revue les forces et les faiblesses militaires des principales cités : Athènes, Sparte, Thèbes. Des armées dont le cœur reste les hoplites, ces fantassins lourdement armés qui combattent en phalange. Ils sont équipés d’une lance de plus de 2 m de long, d’une épée. Leur protection est assurée par un casque, une armure et un bouclier rond. La formation en phalange veut que les combattants soient protégés par leur bouclier mais aussi par celui de leur voisin. Néanmoins, depuis la fin du V° siècle, les protections ont eu tendance à s’alléger pour donner plus de mobilité. Et surtout, à côté de la bataille terrestre classique, les affrontements navals ont pris de l’importance. Tandis que, à terre, une « petite guerre » de coups de mains et de stratagèmes s’est développée. La cavalerie et les peltastes prennent donc plus d’importance aux côtés de corps spécialisés souvent composés de mercenaires (archers crétois, frondeurs rhodiens etc.). La phalange reste malgré tout le cœur et l’élite de l’armée des cités à l’image du bataillon sacré thébain.
L’armée macédonienne est plus récente, et bien différente. Sa phalange est certes importante. Mais c’est une phalange plus légère qui a réduit son armement défensif en abandonnant le plus souvent la cuirasse. Par contre, elle est équipée d’une sarisse (pique) d’au moins 5,5 m. Ce qui lui donne une force terrible face à ses adversaires. Car elle a une plus grande allonge et c’est désormais une forêt de piques qui se présente face à l’ennemi. Elle est également plus profonde, ce qui lui permet de mieux encaisser les pertes. Elle est épaulée par une redoutable cavalerie lourde. La composition exacte de celle-ci nous est mieux connue sous Alexandre que sous Philippe. Mais les cavaliers sont protégés par une armure et équipés d’une longue lance de 4-5 m qui permet des charges dévastatrices. L’armée comprend un corps d’élite et est largement professionnalisée. La force des Macédoniens c’est leur capacité à conjuguer l’usage de ces troupes si différentes. Cela implique un commandement efficace sur le champ de bataille.
Une bataille méconnue aux conséquences importantes
L’auteur se livre à une analyse des rares sources disponibles sur la bataille. Des sources qui sont en général issues des vaincus et postérieures à la bataille. Jean-Nicolas Corvisier nous présente ainsi la démarche qui lui a permis d’émettre ses hypothèses sur les forces en présence, mais aussi sur l’emplacement du champ de bataille et le déroulement vraisemblable de l’affrontement. On peut cependant regretter la faible qualité des cartes fournies pour un ouvrage d’un tel niveau.
L’affrontement oppose deux armées importantes pour l’époque : environ 30 000 hommes de chaque côté. Soit pour les Macédoniens 30 000 fantassins et 2000 cavaliers. Mais sans que l’on connaisse la répartition exacte des différents types de fantassins entre phalangistes (et la présence même de ceux-ci fait l’objet de débats) et peltastes. En face on trouve environ 30 000 hommes dont 25 000 hoplites grecs venus des diverses cités. La seule quasi-certitude est l’infériorité des Grecs dans le domaine de la cavalerie.
L’auteur passe également en revue les incertitudes qui existent sur le commandement. Côté grec les différents corps sont répartis par cité; mais l’armée est sous les ordres du thébain Théagénès. En face Philippe bénéficie d’une unité de commandement, avec des officiers entraînés (Parménion, Antipater) et bien sûr, le jeune Alexandre.
L’affrontement a lieu dans une plaine bordée au sud de relief et au nord par le fleuve Céphise. Cette plaine est traversée par plusieurs ruisseaux dont la localisation exacte fait débat. Le centre des deux armées est occupé par leurs phalanges respectives. Mais si la phalange grecque est plus massive elle est aussi moins homogène car composée de différents contingents alliés, avec comme le veut l’usage ; le bataillon sacré thébain sur l’aile droite grecque. En face, Philippe commande l’aile droite macédonienne tandis qu’Alexandre est placé à la tête de la cavalerie sur l’aile gauche. Il se trouve donc face au bataillon sacré thébain. Il semblerait que Philippe ait usé d’un stratagème en reculant volontairement et lentement sa ligne pour fatiguer les Grecs et étirer leur front. Pendant qu’Alexandre et ses cavaliers affrontaient le bataillon sacré, troupe redoutable mais peu habituée à faire face aux attaques d’une telle cavalerie. Surtout qu’il semblerait que les Thébains, du fait de l’étirement du front grec, aient aussi été obligés de faire face à l’infanterie macédonienne. Ils se firent tuer sur place. Une fois l’aile droite grecque battue, la cavalerie macédonienne put se rabattre contre la phalange grecque. Tandis que le centre et la droite macédonienne se mettaient à leur tour à repousser un ennemi dont le front finit par se disloquer.
La victoire macédonienne est nette, mais la bataille semble peu sanglante, de l’ordre de 5000 morts au total sur 60 000 hommes engagés de part et d’autre. Le bilan politique de celle-ci est plus important puisqu’il consacre la domination macédonienne sur la Grèce à travers la création de la ligue de Corinthe. C’en est fini de l’indépendance des cités. La Grèce entre dans une nouvelle ère.
En conclusion
Une étude solide qui va au-delà du simple récit des évènements militaires de -338. Certes la partie purement militaire permet à l’auteur de nous faire saisir les réalités de la guerre à une époque où l’on passe de l’affrontement classique entre phalanges de citoyens à des armées quasi- professionnelles dans lesquelles la cavalerie joue un rôle important . Mais nous avons là un ouvrage qui permet de comprendre la réalité de la Grèce du IV° siècle, celle des cités comme celle des royaumes. Un travail rigoureux qui permet de montrer les difficultés du travail de l’historien sur les sources antiques et les incertitudes qui en découlent.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau