CR par Stéphane Moronval, professeur-documentaliste au collège de Moreuil (80)

En matière d’esthétisme et d’attrait visuel des livres, on sait que l’édition anglo-saxonne a souvent quelques longueurs d’avance sur la française. Depuis un quart de siècle, la maison britannique Dorling Kindersley, particulièrement, s’illustre ainsi en édition jeunesse et adulte par une mise en page très accrocheuse, fondée sur l’utilisation extensive de l’image. Le succès conséquent a amené l’exportation de la formule dans de nombreux pays ; on citera ici, à titre d’exemple, le partenariat établi à la fin des années 80 par Gallimard avec DK, conduisant à la publication de la célèbre collection Les yeux de la Découverte. Flammarion suit le même cheminement en livrant ici la version française d’un ouvrage consacré à la guerre navale. L’ouvrage en question n’est autre, après Batailles, Soldats, et Armes que le quatrième d’une série qui s’attache à présenter au grand public différents aspects de la chose militaire ; peut-être n’était-il pas prévu à l’origine, puisque certains des affrontements qui y sont traités l’avaient déjà été dans Batailles, certes surtout centré sur la guerre terrestre. Tous les quatre sont dus à R.G.Grant : auteur, depuis une quinzaine d’années, de plusieurs dizaines d’ouvrages, celui-ci n’est pas un historien, mais un vulgarisateur qui s’intéresse particulièrement à l’histoire militaire. Il bénéficie ici du concours du Captain Christopher Page, chef de la Royal Naval Historical Branch du Ministère de la Défense britannique, et, pour l’aspect pictural et esthétique de l’ouvrage, de toute une équipe de collaborateurs.

De tous temps, sur toutes les mers du globe

L’ambition de Batailles navales est plurielle. Il s’agit d’abord de présenter tous les grands conflits ayant donné lieu à des affrontements sur mer, et le détail de certains de ces affrontements. L’ouvrage est pour cela divisé en quatre grandes parties : « L’âge des galères, 1200 av.J.-C. – 1550 apr.J.-C. », « Canons, voiles et empires, 1550-1830 », « La vapeur et l’acier, 1830-1918 » et « Porte-avions, sous-marins et missiles, 1918 à nos jours ». Après une introduction qui rappelle les traits dominants de la période (et toutes les évolutions qu’elle connaît, ce qui relativise de façon bienvenue le caractère arbitraire de cette division chronologique), chaque partie est-elle même divisée en sous-parties comprenant un certain nombre de courts chapitres (de 2 à 10 pages). Chacun est consacré à un conflit donné, à travers une courte introduction et une série de textes plus ou moins longs en présentant les combats les plus notables, textes complétés par des encadrés rappelant la date, l’emplacement, l’issue, les combattants, commandants et forces antagonistes, ainsi que les pertes éprouvées, et par d’autres présentant plus en détail certains des acteurs ou rapportant leur témoignage sur l’action. Ce sont ainsi plus de 50 conflits ou théâtres d’opérations et plusieurs centaines de batailles qui sont abordés.
L’ouvrage s’attache ensuite à donner une idée précise des navires, des armes, des tactiques et des stratégies employés lors de ces combats, de leurs particularités et de leurs évolutions. Il s’ouvre pour cela par une longue introduction (p.8-23) consacrée aux bâtiments de guerre à travers les siècles, introduction qui comprend en outre un glossaire détaillé. Elle est complétée, tout au long de l’ouvrage, par des dossiers thématiques et des encarts en lien avec les conflits abordés. Ce même procédé est utilisé pour, enfin, évoquer les différents aspects de ce que pouvait être, de l’Antiquité jusqu’à nos jours, la vie quotidienne sur et sous le pont d’un navire de guerre.

Belle vulgarisation

Comme les précédents, le recueil conçu par R.G.Grant et l’équipe éditoriale de Dorling Kindersley offre donc une construction et une approche classiques mais une présentation claire et un contenu formellement très accessible, accessibilité encore accrue par la présence d’un index détaillé en fin d’ouvrage ; le lecteur assidu comme celui qui préfère « picorer » y trouveront sans nul doute leur compte. Bien sûr, la formule a ses revers ; on peut ainsi parfois trouver superflus ou répétitifs certains petits encadrés-bilan qui n’ont, du fait d’informations lacunaires, aucune réelle raison d’être sinon leur caractère systématique. La concision de certaines notices peut aussi apparaître quelque peu frustrante, même si ce défaut s’avère moins gênant que dans le Batailles de la même collection, du fait peut-être que les affrontements navals, mettant en œuvre un nombre plus réduit d’unités agissant généralement d’ensemble, peuvent être plus facilement schématisés. Le fond n’en reste pas moins de qualité, bien rendu (à la différence de certains des ouvrages précédents) par une traduction très correcte de Cédric Perdereau. L’éventail des thèmes traités est très large, couvre à peu près équitablement l’ensemble des périodes et des mers du globe, évoquant maints théâtres d’opérations habituellement méconnus ou secondaires (l’Asie orientale antique et médiévale, la Baltique des 17è et 18è siècles, les eaux sud-américaines du 19ème…). Un esprit chagrin pourrait toujours trouver trace de subjectivité dans le choix des combats traités ; par exemple, la grande bataille navale que se livrèrent à Salamine de Chypre, avec des centaines de galères, deux des successeurs d’Alexandre le Grand en –306, pourtant bien narrée par Plutarque et Diodore de Sicile, est ignorée, alors qu’est relaté l’accrochage de Zanzibar qui mit aux prises, en 1896, cinq navires britanniques avec… un yacht autochtone. Mais celle-ci est fatale, et, même si l’exemple précédent tendrait à montrer le contraire, il faut du moins reconnaître à l’auteur le mérite de n’avoir pas trop sacrifié à l’anglo-centrisme trop souvent de mise dans ce type de publication, et pourtant ici fort tentateur vu le glorieux passé naval d’Albion.

Last but not least, le meilleur argument de Batailles navales semble encore rester sa splendide iconographie, que le grand format de l’ouvrage permet de bien mettre en valeur. Plus de 2000 illustrations, de grande qualité formelle et souvent originales – maquettes, objets, vues de lieux ou de navires (certains « survivants » ou reconstitutions font l’objet de reportages-photos extrêmement détaillés), représentations picturales de toutes les époques, plans (en partie en une 3D moyennement réussie) – évoquent ainsi les faits relatés. Ces illustrations et leurs légendes sont généralement très pertinentes, même si on peut regretter que ces dernières ne soient pas plus détaillées (pas d’indications sur l’auteur et la date de réalisation des œuvres picturales par exemple, peu de recul par rapport à leur réelle valeur documentaire) ; elles aident en tout cas à visualiser les événements, et contribuent grandement au plaisir qu’on peut trouver à feuilleter et à parcourir l’objet.

L’absence d’une bibliographie complémentaire (qui eut été, on l’imagine, pléthorique) n’en fait pareillement pas la base idéale pour un travail de recherche plus poussé ; mais, très attrayant, bourré de faits et d’informations variées, ce joli volume permettra donc au lecteur intéressé un survol complet de l’histoire de la guerre sur mer, ou un bon aperçu de celle des aspects navals de tel conflit en particulier, remplissant en cela tout à fait honorablement la tâche que l’on peut attendre de ce type d’ouvrage.

Stéphane Moronval