Olivier Penot-Lacassagne est maître de conférences à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Il a publié plusieurs ouvrages parmi lesquels : Contrecultures ! (CNRS Éditions 2013) et Baudrillard (CNRS Éditions 2015).

Cet ouvrage collectif, sous la direction de Olivier Penot-Lacassagne, fait suite à l’exposition et au colloque Beat Generation, L’inservitude volontaire, qui se sont tenus en 2016 au centre Pompidou à Paris.

La Beat Generation est trop souvent réduite et caricaturée à une poignée de noms- la trinité Burroughs-Kerouac-Ginsberg- , de titres – Le festin nu, Sur la route, Howl– et d’évènements marquants (la célèbre lecture publique du poème Howl d’Allen Ginsberg à la Six Gallery de San Francisco, en octobre 1955). Cet ouvrage entend débarrasser la Beat Generation des nombreux clichés qui l’encombrent, en critiquant et en déconstruisant la notion même de génération ou celle de collectif. La Beat Generation est d’abord affaire d’individus, qui, pour reprendre le mot d’Allen Ginsberg, « prennent leurs responsabilités et disent ce qu’ils pensent vraiment ». Les études qui composent ce livre permettent de découvrir l’ampleur de la constellation Beat, formée d’individus, de parcours et de trajectoires, dans sa diversité et dans sa complexité.

Les nombreuses contributions reviennent par exemple sur le contexte politique et culturel des années 50, marquées par leur conformisme et par le climat anticommuniste de la « chasse au sorcières », mais aussi par l’émergence du mouvement des droits civiques.

Les pages consacrée aux éditions The Olympia Press ( dirigées par Maurice Girodias), et à leur rôle dans la diffusion des œuvres de la Beat Generation (celles de Burroughs et de Grégory Corso en particulier) nous font redécouvrir la tradition des éditeurs américains expatriés à Paris. D’autres études abordent la réception en France de la Beat Generation ou l’influence de la littérature française et de l’existentialisme chez les auteurs Beat.

Si l’incontournable « trio » Burroughs, Ginsberg, Kérouac demeure naturellement au coeur de l’ouvrage, il en donne un portrait riche et complexe, loin du folklore Beat auquel on les rattache trop souvent.

Le livre permet surtout de découvrir bien d’autres romanciers, poètes et artistes, méconnus ou laissés au second plan : Grégory Corso, Gary Snyder, Philip Lamentia, Lawrence Ferlinghetti, Michael McClure, LeRoi Jones,Brion Gysin…

Plusieurs textes rappellent que la Beat generation était masculine et féminine. Ils nous donnent à entendre des voix de femmes : Diane di Prima, Ruth Weiss, Joanne Kyger, Anne Waldman…,tout en montrant que la question du politique ou de l’émancipation oublie alors bien souvent celle du genre.

Les différents modes d’expression artistique et politique de la Beat generation sont étudiés : la poésie, la prose, le cinéma, le dessin…tout comme leurs liens avec l’usage des drogues et autres psychotropes .

L’étude consacrée à la technique du cut-up de William Burroughs est particulièrement intéressante. Elle aborde l’important travail théorique mené par l’auteur de la trilogie Nova (La Machine molle ; Le Ticket qui explosa et Nova Express) sur le langage. Burroughs imagine en effet un pouvoir tentaculaire et manipulateur, qui crée une réalité falsifiée pour contrôler la population, auquel s’oppose une bande de résistants. Chaque individu est une partie du système, car il est, par l’intermédiaire du langage, porteur d’un virus. La lutte politique et poétique préconisée par Burroughs, contre le travail de sape du langage mené par les médias de masse, garde toute sa force en ce début de XXIème siècle…

L’influence Beat sur la scène rock des années 60 et 70 avec des artistes comme Bob Dylan, Jim Morrison ou Patti Smith montre certains des relais qui ont permis de prolonger l’exigence Beat dans la musique.

Les nombreuse contributions alternent avec une série d’entretiens et de témoignages de personnalités liées à la Beat Generation ( Jean-Jacques Lebel, Christian Prigent, Genesis P-Orridge), qui viennent compléter et rendre encore plus vivants les portraits des artistes, poètes et poétesses de ce mouvement.

Au terme de cette passionnante lecture, on mesure combien, loin des clichés de la jeunesse bohême et rebelle, les combats politiques et poétiques de la Beat Generation incarnent une forme de résistance qui reste d’actualité.

Lors des obsèques de Pier Paolo Pasolini en 1975, son ami, le romancier Alberto Moravia, déclarait « Nous avons perdu avant tout un poète. Et des poètes, il n’y en a pas tant que ça dans le monde ». L’histoire de la Beat generation est aussi celle d’une génération de poètes.