544 pages sont nécessaires pour passer à une autre histoire des colonies – devenues postcolonies – asiatiques et africaines. Refusant l’essentialisation, la synthèse totalisante ou l’histoire vue du Nord, G Blanc livre une analyse diachronique foisonnante.

En privilégiant le temps long et l’histoire du temps présent, soit la séquence 1850-2010, Guillaume Blanc(Rennes 2, spécialiste de l’Ethiopie, auteur de L’invention du colonialisme vert, 2020) évite l’écueil d’un certain impressionnisme propre à des études qui font la part belle au seul XXe siècle. Passé cet obstacle, l’historien en dépasse un second avec brio, celui du regard globalisant et européocentré. A sa place, il reconstitue des histoires situées, propres à chaque colonie – état postcolonial, avec des surprises (la Malaisie, le Burundi, le Mozambique) et des classiques (l’Indonésie, l’Algérie, le Vietnam).

Les illusoires ruptures des indépendances

L’auteur dévoile des tendances et érige un continuum entre colonisation et indépendance, telle la violence exercée par les nouveaux pouvoirs en place de la décennie 1950-60, qu’elle soit symbolique comme l’imposition de la langue unique, ou physique telles les oppositions politiques pourchassées et annihilées. Il met aussi en garde au sujet de la perception de ces indépendances développée par les populations, pas forcément synonymes de grands bouleversements à leurs yeux, comme l’auteur le montre à propos de l’Afrique du Sud, “plus colonialiste que l’empire” (chapitre 11), expression achevée du postcolonial, ce champ caractérisé par le poids d’un passé colonial plus ou moins récent dans le présent de ces territoires. Et de leurs ex-colonisateurs, ou quand le colonisateur prend après les indépendances le costume de l’expert, suivi d’une cohorte de multinationales étrangères.

De l’invention des races à celle du migrant

En 50 encadrés agissant comme des sources régénérescentes et 10 cartes de très bonne facture astucieusement placées au début de l’ouvrage, les suppléments éclairent bien le livre et fournissent pour les encadrés une suite d’exemples in situ qui nous rappellent que longtemps, “la colonisation fut d’abord essentialisation” (p 7), essentialisation qui hante les représentations, erreur d’appréciation dûe à la lecture répétée d’un prisme colonial unifié ou à celle d’une géographie essentialisante héritée du XIXè siècle, celle de Carl Ritter par exemple, au détriment des spécificités impériales ou coloniales, comme l’influence chinoise au Siam et au Tonkin, tout au moins. Focale qui n’est pas tout à fait disparue si l’on prend en compte l’émergence de la figure du migrant dans les années 2010, uniformisée dans les médias mainstream.

Les Suds depuis le Sud

Au total, G Blanc montre que si les puissances européennes ont bien tenté de dépersonnifier – en niant les cultures par exemple et en amalgamant des sociétés disparates – des populations asiatiques et africaines plus ou moins soumises, la recherche historique parvient à rectifier ceci en bâtissant de nouvelles catégories (la superficialité de certaines ruptures comme évoqué plus haut) insérées dans de nouvelles grilles de lecture plus éclatées et plus justes, celles des singularités coloniales et postcoloniales d’une vingtaine de pays. En somme, G Blanc nous convie à “une histoire des Suds observée depuis le Sud” (p 9).

Présentation de l’éditeur :

https://www.seuil.com/ouvrage/decolonisations-guillaume-blanc/9782757892855

Interview de G Blanc sur le site du libraire Mollat (57 mn) :

https://www.youtube.com/watch?v=IxepVK_OL0c