Cet ouvrage rassemble vingt communications données lors du colloque qui s’est tenu à l’amphithéâtre de la Société de Géographie en janvier 2017 sur le plus célèbre reporter de la bande dessinée. Paul Arnould, professeur émérite de géographie à l’Ecole normale supérieure de Lyon, en est la cheville ouvrière.
De la bande dessinée à l’objet d’étude
Tintin semble indémodable et il continue d’attirer comme le montre l’exposition qui s’est tenue en 2016 au Grand Palais à Paris. Cependant, après avoir été uniquement objet de loisirs, Paul Arnould constate dès l’introduction que les écrits sur Tintin connaissent « une croissance exponentielle ». Les articles, très variés, proposent tous un éclairage particulier sur l’œuvre d’Hergé. L’ouvrage comprend quelques vignettes en couleurs de Tintin ou d’autres bandes dessinées convoquées pour une mise en perspective.
De la variété d’aborder Tintin
On peut signaler l’article de Jean-Robert Pitte intitulé « Géographie alimentaire de la planète au prisme de Tintin » où l’auteur montre l’omniprésence des boissons alcoolisées mais la faible place de tout ce qui est lié à l’alimentation. Jean-Yves Puyo pointe de son côté les emprunts faits par Hergé à Louis Forton le créateur des Pieds Nickelés. Bernard Spee se propose d’étudier la « Géographie de l’enfance malheureuse dans les aventures de Tintin ». Cet article débouche même sur la proposition du concept de « tintinisme ». De quoi s’agit-il ? ce serait un comportement type, « celui d’une démarche pré-oedipienne, démarche propre au jeune adolescent, qui fait face à une autorité paternelle faible, défaillante, prend sur lui de la restaurer, de lui faire rendre justice, parce qu’il y va de sa propre (re)construction et d’une foi minimale en un monde sensé ou à tout le moins réenchanté ». Sans forcément aller aussi loin on retiendra l’idée que les histoires de Tintin « sont de grandes fables ». Parmi les autres aspects envisagés par les diverses contributions, plusieurs soulignent qu’Hergé fut un créateur de stéréotypes. On se rend compte en effet que Tintin a construit et alimenté tout un imaginaire dans des domaines variés. Ainsi, Paul Arnould montre que Hergé a contribué à forger des stéréotypes notamment sur la biodiversité : « le serpent est vif, …le chameau sobre, …l’écureuil vif ».
Tintin voyageur
Joël Forthoffer analyse «La géographie des transports et Tintin ». Les différentes évolutions techniques se retrouvent au fur et à mesure des albums, quitte à anticiper parfois avec des prototypes. Mais on voyage également d’autres façons comme avec les insultes proférées par le capitaine Haddock. Elles se révèlent très créatives en termes de lieux. « Parmi les insultes qu’il a pu utiliser, cinq font explicitement référence aux espaces africains, sept aux espaces américains, cinq aux espaces européens, trois aux espaces océaniens et deux aux espaces asiatiques ». Mais en réalité ces insultes géographiques ne représentent qu’une très faible part du vocabulaire fleuri du capitaine qui préfère plutôt utiliser des mots communs. Dans un tout autre domaine, il faut noter que Tintin a exploré non seulement les continents mais aussi les fonds sous-marins comme le montre Laurence Le Dû-Blayo. Quant à Alain Miossec, il poursuit sur « Tintin et la mer » en pointant que la mer est un élément parfois très utilisé par Hergé.
Hergé et le réalisme
La préoccupation du réalisme se retrouve dans de nombreux albums avec des moyens très divers. Dans sa contribution « Les espaces musicaux de Tintin », Frédéric Lamantia insiste par exemple sur le fait qu’Hergé a utilisé des références musicales très connues afin de créer un « effet de réel », comme disait Roland Barthes. Antoine Laporte poursuit sur cet effet de façon très différente puisqu’il montre que les villes présentes dans les aventures de Tintin « vont porter le vernis qui permet de rendre crédible l’histoire ». Renaud Nattiez souligne d’ailleurs que « l’originalité d’Hergé tient au caractère indissociable d’une géographie réelle et d’une géographie imaginaire qui se confondent dans la plus grande harmonie ». Hergé inventa treize pays dont huit furent parcourus par Tintin. Ce souci du réalisme va parfois très loin comme dans Le sceptre d’Ottokar. En effet, la Syldavie est dotée d’un passé, d’une réalité géographique économique et sociale. Hergé utilisait aussi des plans et des maquettes dans ses travaux préparatoires comme le montre l’épave dans « Le secret de la Licorne ».
Comme le dit Olivier Roche en postface, Tintin se prête à de multiples niveaux de lecture et ce colloque en est la preuve. Il intéressera néanmoins plutôt les tintinophiles avertis en raison de la précision des sujets abordés.
(c ) Jean-Pierre Costille pour les Clionautes