L’histoire de La truie, le juge et l’avocat se situe aux derniers siècles du Moyen Âge, une période où les animaux pouvaient être amenés dans un tribunal pour y être jugés. Cette bande dessinée réalisée par Laurent Galandon et Damien Vidal et publiée aux éditions Delcourt en 2023, nous raconte justement l’histoire d’une truie accusée d’avoir provoqué accidentellement la mort d’un cavalier. Après l’avoir fait rechercher, puis arrêter, l’animal est amené, au grand dam de son propriétaire, devant le juge. Ce dernier, un homme puissant, méprisant tous ceux qui lui sont inférieurs (femmes, petites gens et animaux) souhaite rétablir l’ordre normal des choses en condamnant la truie à la peine capitale, coupable selon lui d’avoir menacé un cavalier et sa monture, ce qui a provoqué un accident ayant entraîné la mort du fils du comte. L’avocat commis d’office, loin de vouloir défendre l’animal du pauvre porcher, souhaite simplement éviter à la truie le bûcher pour ainsi récupérer une partie de sa viande. Le porcher abattu se résigne au sort de sa truie, jusqu’à l’arrivée d’un personnage atypique, un avocat brillant qui souhaite défendre avec ferveur le cas de la truie, afin de retrouver sa réputation perdue. L’arrivée de ce nouveau protagoniste au sein du tribunal, se présentant alors comme le plaideur de l’accusée, contrarie fortement le juge qui assiste impuissant à un renversement de la situation. Non seulement l’avocat transforme la séance en mascarade de justice, mais le procureur est tourné en ridicule tandis que le juge enrage de ne pouvoir annoncer son verdict. Le public quant à lui venu en nombre espérant ainsi être témoin de la sentence, change peu à peu d’opinion en écoutant l’habile défense de l’avocat.
L’histoire racontée par Laurent Galandon et Damien Vidal se rapproche davantage d’une fable que d’une véritable histoire, car la ville ou la région restent anonymes. Dans cette satire sociale, les personnages ne sont jamais nommés mais simplement dénommés par leur fonction ou leur place dans cette société, tels que le porcher, l’avocat, le juge, le comte, etc. Pourtant, les procès d’animaux n’ont rien d’une fable et encore moins celui d’une truie comme le rappelle Michel Pastoureau dans Une histoire symbolique du Moyen Âge occidentale. En effet les auteurs se sont certainement inspirés de l’affaire de la truie infanticide à Falaise en Normandie au début de l’année 1386, qui avait été amenée sur l’échafaud habillée avec des vêtements d’homme.
Au sein de l’ouvrage plusieurs thématiques sont abordées par les auteurs : le statut de l’animal qui a énormément varié avec le temps, mais aussi la justice à deux vitesses entre les petites gens et les puissants, qui rappelle la place que doit occuper chaque personne pour respecter l’ordre des choses. En faisant appel à l’humour, les auteurs montrent que les humains sont plus bestiaux que les animaux eux-mêmes capables de faire preuve d’empathie et d’entraide, de ressentir et de penser. Le lecteur se prend ainsi d’affection pour les animaux ainsi que quelques humains, à savoir l’avocat qui vient en aide à la truie, le porcher qui montre de l’affection pour sa truie, mais aussi la femme du juge seule femme véritablement présente dans l’histoire permettant aux auteurs de rappeler la mise à l’écart des femmes et leur position d’infériorité au sein de cette société.
Pour conclure, La truie, le juge et l’avocat se lit avec une grande facilité, grâce aux traits épurés et aux couleurs parfaitement adaptées au scénario et à la période du Moyen Âge. Bien que les crayonnés des paysages et animaux soient réalistes, les humains sont dessinés de manière caricaturale accentuant davantage la part humoristique de l’ouvrage.