Auteur et artiste multicasquettes (littérature, sciences et sciences sociales), Julie Delfour propose, avec ce beau livre, de prendre le contre-pied des bestiaires scientifiques qui reposent davantage sur la compilation de témoignages et d’anciennes sources que sur de solides observations directes et qui amènent des déformations, des oublis voire mêmes des contradictions.

En introduction, la naturaliste expose clairement ce problème consistant à croiser différentes parties de différents touts, lesquelles, formant de nouveaux touts, laissent les créatures évoluer à loisir. Ainsi, il n’est pas rare d’arriver à des hybrides d’hybrides transformant radicalement l’animal initial. La citation d’Ambrose Bierce, dans le dictionnaire du diable de 1911, est pour le moins éclairante : « L’hippogriffe était un animal moitié cheval, moitié griffon. Le griffon était lui-même une créature mixte, moitié lion, moitié aigle. L’hippogriffe était donc en fait un quart d’aigle, ce qui fait très exactement deux dollars et cinquante cents en or. L’étude de la zoologie est pleine de surprises ».

Partant donc du principe que ces incessantes mutations apparaissent inévitables mais également de celui que l’on n’aura peu de chances de croiser l’un de ces quelques 80 monstres (malgré des éléments précis de localisation), Julie Delfour n’hésite pas à jouer la carte de l’humour dans ses descriptions qui, elles aussi, croisent de nombreuses sources.

Si l’inventaire de cette ménagerie se présente dans l’ouvrage en fonction des milieux (terrestre, souterrain, sous-marin, aérien), la lecture selon les talents et handicaps de quelques uns d’entre eux peut s’avérer intéressante pour rendre hommage aux aspects particulièrement farfelus de tout ce petit monde.

Certains bénéficient de dons « intéressés » dirons-nous, comme le « garuda », oiseau de proie pouvant prendre forme humaine pour se rapproche, dixit l’auteur, «  des hommes…ou de leurs femmes » ou le « drac », sorte d’âne-chien capable d’une invisibilité grâce à laquelle il s’amuse à ouvrir les portes des étables pour libérer des troupeaux ou tresser des crinières de chevaux durant la nuit.

D’autres présentent des capacités à double tranchant à l’image de « l’amphisbène », serpent dont les deux têtes n’arrivent pas toujours à s’entendre, de la « serre », monstre marin aux élans combatifs puissants mais de courte durée ou encore du « catoblépas » dont la lourde tête lui permettant de tuer par simple regard l’oblige à la tenir toujours orientée vers le sol.

Enfin, on pourra se questionner sur l’intérêt même de certains bêtes tant leurs caractéristiques apparaissent étranges : le « myrmécoleo » au tronc de lion et aux pattes de fourmis ne pouvant guère s’alimenter est voué à la mort de faim ; le « squonk », si triste qu’il pleure sans arrêt et donc se désagrège s’il se fait capturer ; le « borametz », animal-plante immobile qui périt après avoir mangé les herbes l’environnant ; le plus familier « dahu » dont la dissymétrie latérale des membres le contrait à faire le tour entier d’une montagne lorsqu’il a dépassé une prétendante.

Comme l’évoque le communiqué de presse en citant Bernard Fontenelle, 1825, « Si l’on ôtait les chimères aux hommes, quel plaisir leur resterait-il ? », un ouvrage satisfaisant à la fois le besoin de curiosité sur le sujet mais également celui de passer un bon moment. Les riches illustrations agrémentent idéalement cet ensemble saugrenu où les plus classiques (loup-garou, yéti, phénix, sirène…) n’ont, bien sûr, pas été oubliés.