Il est difficile de dire (et plus encore de l’écrire) que l’on est déçu par un ouvrage. Pourtant, les a priori étaient positifs : le sujet m’intéresse beaucoup, et je suis dans une démarche de consommation similaire à celle de l’auteur. La quatrième de couverture était prometteuse : un livre qui a pour base une étude universitaire (un master d’économie et de gestion), une approche sincère…
Toutefois, la première phrase jette le trouble : « Mettre le développement durable à l’épreuve, quelle drôle d’idée ! Et pourquoi pas ? ». Voilà qui rappelle fâcheusement les mauvais débuts de dissertation qui agacent : un ton faussement naïf qui présage d’une suite peu réjouissante, alors qu’on s’attendrait à une analyse du sujet choisi. Car il ne s’agira pas vraiment de questionner en profondeur le concept de développement durable. Non pas qu’il n’ait pas été défini : on sera fixé quelques pages plus tard. Mais pour l’interroger de façon critique, l’auteur ne s’appuie que sur une seule étude pour affirmer qu’il s’agit d’une «notion floue», à savoir celle d’Yvon PesqueuxEncore s’agit-il du directeur de mémoire de master préparé par l’auteur. : Le Développement durable : une «théorie» floue et ambiguë. Pour un sujet comme celui-ci, et alors qu’il n’y a plus d’enjeu lié à un examen, il serait légitime d’attendre un engagement personnel un peu plus conséquent.
La difficulté provient, à mon sens, d’une problématique dont les contours n’ont pas été assez précisés. L’auteur est partie de l’interrogation suivante : « le développement durable est-il synonyme d’avenir ou une théorie inaccessible ? Un rêve ? Une belle idée ». Elle en est arrivée ensuite à la problématique suivante : « avec l’émergence du développement durable, le bio est-il une démarche d’éco-développement “évolution structurelle de l’agrobusiness” et/ou une démarche stratégique “nouvelle segmentation de marché” ? », sans qu’on connaisse, à l’instant où on les lit, la définition des termes employés. Qu’est-ce que le «bio», une « démarche d’éco-développement “évolution structurelle de l’agrobusiness”», une «démarche stratégique “nouvelle segmentation de marché”» ? Au terme de la lecture, je ne suis pas parvenu à le savoir précisément : il y a des évidences qu’il est pourtant bon de définir.
Qu’apprend-t-on dans ces cent soixante-dix pages ? Que l’agriculture biologique revêt des réalités bien différentes : elle est le fait d’industriels et de petits paysans dont les logiques et les intérêts ne sont pas forcément les mêmes ; toutefois, le même label garantit leurs produits, indistinctement. Mais l’auteur considère la production sous l’angle français, principalement, alors qu’une grande partie des produits consommés en France est importée d’Italie (avec des fruits et légumes provenant d’autres pays, notamment de Chine) et d’ailleurs. Une maigre page est accordée à la production hors du pays. Du côté de la distribution, l’approche du petit commerce repose sur une étude statistique et l’observation de publicités. L’approche des AMAP se réduit à des entretiens, sans aucune analyse ni mise en perspective. Et pour l’organisation du marché, on nous dit qu’il est dominé par de grandes sociétés, qui s’appuient sur les médias et bénéficient de la bienveillance des structures étatiques. Les mesures politiques ne sont guère cohérentes, affirmant à la fois la diversité nécessaire de l’agriculture (sans que cela se traduise réellement dans les faits, notamment l’affectation des crédits publics), et encourageant la grande distribution et la consommation. L’auteur s’appuie notamment sur les autorisations délivrées pour certaines cultures à base d’OGM, mais sans en montrer l’importance en sein de l’ensemble de la production agricole française : qu’est-ce que cela représente ? Les importations ne sont pas considérées, alors qu’entrent en Europe des produits génétiquement modifiés. Une analyse à différentes échelles aurait été la bienvenue pour permettre au lecteur d’avoir une approche nuancée des choses.
Bref, pas de grandes surprises, pour peu qu’on s’informe un peu. Et c’est bien cela qui est dommage. Qu’un travail universitaire ne soit pas parfait est dans l’ordre des choses : les échanges avec le jury de soutenance ont aussi pour objet d’en faire apparaître les défauts. Mais la perspective d’une publication doit amener à une reconsidération, à une réflexion plus aboutie, et un développement plus conséquent. On a le sentiment malheureux que cela ne s’est pas produit.
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Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes