Dans une collection baptisée « Lignes de vie d’un peuple », les Ateliers Henry Dougier nous proposent une mise au point sur un peuple à partir d’une série de courtes enquêtes.

Frédéric Ojardias vit à Séoul et est un journaliste correspondant pour Radio France internationale, Médiapart et la Croix. Il vit depuis 13 ans dans la péninsule coréenne.

Les Sud-Coréens

Ce nouveau numéro de la collection « Lignes de vie d’un peuple » démarre par une nouveauté dans l’illustration de la couverture. Sans reprendre l’excellent modèle photographique de l’essai de Lise Barcellini sur le Kazakhstan, la photographe Céline Boyer en renouvelle le design en apposant une carte routière de l’Ouest du pays sur la paume de la main d’une jeune sud-coréenne de 22 ans, Eun-ji.

Etre coréen, l’identité en mouvement

En partant d’une citation du voyageur suisse Nicolas Bouvier, Frédéric Ojardias présente les Sud-coréens, d’une manière désormais classique, à travers un panorama de 22 portraits : avocat, journaliste, militant, conservateur, religieux, artiste, sportif, représentant politique. Sans tomber dans la reprise du slogan touristique national « Sparkling Korea » (la Corée qui pétille), l’objectif est de rendre compte d’une société à la fois nationaliste, hiérarchisée, se retrouvant autour d’un socle commun bâti autour de la réussite économique, de la spiritualité et d’une lente évolution des structures familiales.

La première interview est celle du maire de Séoul, Park Won-soon. Ancien avocat des droits de l’homme, professeur et fondateur d’une association contre la corruption, Frédéric Ojardias s’interroge sur l’identité séoulite. Rompant avec la construction effrénée de gratte-ciels constituant aujourd’hui la skyline de la métropole, Park Won-soon définit sa ville autour de 3 critères majeurs : l’environnement naturel (avec la colline Namsan), l’histoire (Séoul est la capitale depuis le XIVème siècle) et l’inventivité de sa population (grâce à des innovations permanentes et la destruction des structures préexistantes). Il reprend l’expression de la géographe française Valérie Gelèzeau qui qualifie le pays de « république des appartements » (page 17). A travers un rapprochement avec ses administrés (par les réseaux sociaux), Park Won-soon incarne une nouvelle génération de représentant politique coréen accordant davantage de place aux contraintes environnementales et sociales.

Jasmine Lee est la première députée naturalisée coréenne (pour le parti conservateur). Née aux Philippines et mariée à un sud-coréen, Jasmine Lee témoigne des difficultés auxquelles font face les étrangers dans la péninsule : la xénophobie est forte dans une société peu diverse sur le plan ethnique (rejet de la belle-famille, apatride, scolarisation). On y apprend que le pic de mariage internationaux est de 42 000 en 2005 (soit 14% des mariages de l’année, principalement avec des épouses chinoises ou vietnamiennes). Les Népalais et Mongols, également présent, ne sont pas mentionnés. Une responsable de la Croix-Rouge à Séoul, Jung Jae-eun insiste sur la séparation des familles depuis la fin de la guerre de Corée (1950-1953). 131 000 sud-coréens sont inscrits sur la liste de la Croix-Rouge afin de retrouver un proche de l’autre côté de la frontière. 60% ont plus de 80 ans. Le principal sujet de conversation est celui de la famille : la politique et la religion sont volontairement mis de côté lors de ces rencontres diplomatiques. Le portrait de la réfugiée Kang Mi-jin complète la partie consacrée au nord de la péninsule : les différences culturelles sont nombreuses et l’intégration des déserteurs est difficile. Ils peuvent être considérés comme des « espions potentiels » par le voisinage. L’intégration sociale est freinée par la maîtrise de la langue : la langue sud-coréenne est influencée par des anglicismes que ne comprennent pas forcément les réfugiés nord-coréens (même après le passage à Hanawon).

La modernité et l’ultra-connexion

L’entrepreneur Pierre Joo aide désormais les entreprises françaises à conquérir le marché coréen. De manière simple et didactique, il explique que le retour des gyopos (membres de la diaspora coréenne d’Europe ou d’Amérique du Nord) est un facteur de dynamisme pour l’économie. Pour lui, le développement économique spectaculaire repose sur le « sacrifice de la population dans son ensemble » (page 42). Ensuite, les conglomérats nationaux (Samsung, LG, Hyundai) appuyés par l’État sont devenus des leaders mondiaux grâce à une discipline à toute épreuve. L’un des freins reste toutefois la persistance de la corruption dans les relations d’affaires. La place des femmes dans l’économie est définie par la cofondatrice d’une PME de 60 salariés, Kim Bo-sun. Les femmes restent en marge, dans une société profondément patriarcale. Un nouveau secteur économique du numérique est celui des jeux vidéos sous la forme de compétition simili-sportive. La Corée est le premier marché mondial de l’esport et des joueurs sont professionnels. Le cyberathlète Ko Dong-bin explique que la carrière d’un pro gamer qui a débuté dans un PC Bang (cybercafé coréen) est courte et nécessite de prendre en compte les possibilités de reconversion de façon précoce (avant 25 ans, dans la production, les commentaires notamment). Enfin, la dernière interview assez déroutante est celle d’Ho Min-su. Son activité ? Manger devant des internautes qui le paient (en monnaie virtuelle) sur Afreeca.tv.

Mode de vie, spiritualités et soft power

Les trois derniers chapitres donnent la parole à trois types d’acteurs incontournables de la société coréenne. Tout d’abord, les opposants, militants, avocats et journalistes qui font face à un système politique obstruant parfois la démocratie : corruption, conflits d’intérêt, expropriation pour des motifs de « sécurité nationale ». On y retrouve Ha Kyoo-seob (pour la prévention des suicides), Moon Jong-taek (père d’une victime lors du naufrage du ferry Sewol), Choi Sung-hee (opposante à l’installation d’une base militaire navale sur son île), Lee Jong-ran (avocate qui défend les ouvriers marqués par les produits chimiques de l’industrie sud-coréenne) et Choi Seung-Ho (un redoutable journaliste d’investigation, licencié à la suite de révélation et travaillant désormais dans un groupe de presse indépendant). Les seconds acteurs sont religieux. Du chamanisme aux mouvements évangéliques, en passant par les missionnaires catholiques, la Corée est marquée par des mouvements religieux très diversifiés et dynamiques (megachurch, temples, organisations caritatives). L’ouvrage se clôt par 4 portraits d’artistes, dont celui de Shin Joong-hyun (célèbre guitariste et rockeur des années 1960-1980). Débutant dans des clubs pour soldats américains dans les années 1960, il se sent désormais en décalage avec les aspirations de la société actuelle.

En conclusion, une très belle galerie de portraits écrit dans un style simple et agréable.

A noter que les prochaines sorties dans cette collection, prévues pour 2017, s’intéresseront aux Marseillais, Palestiniens et Siciliens. Un géographe, Raphaël Languillon-Aussel Coordinateur de l’excellent dossier sur Géoconfluences d’Octobre 2017 : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/geoconfluences/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/japon est en phase d’écriture d’un numéro sur les Japonais.

Pour aller plus loin :

Antoine BARONNET @ Clionautes