Blanc autour raconte l’ouverture d’une « charmante et pittoresque » école pour filles dans le Connecticut, à Canterbury en 1832.

« Liberté, Égalité, Sororité », ainsi sonne la devise de l’éditeur Dargaud qui publie un album signé des complices de la première heure, Wilfrid Lupano le scénariste et Stéphane Fert le dessinateur.

Une « petite histoire » dans l’Histoire

Blanc autour raconte l’ouverture d’une « charmante et pittoresque » école pour filles dans le Connecticut, à Canterbury en 1832. Militante et soutenue par son père, Prudence Crandall décide d’instruire les femmes. Personne ne s’inquiète de son initiative. Mais quand l’enseignante accepte Sarah Harris, une élève de couleur, les réactions sont bien différentes. La communauté s’insurge et les parents des jeunes filles blanches retirent leur progéniture d’un tel établissement. Comment peut-on oser élever des gens de couleur, des femmes en plus, à un certain niveau d’instruction ? Une franche hostilité s’instaure quand Prudence Crandall décide de réserver son pensionnat uniquement à des jeunes femmes noires.

Des destins croisés

Les auteurs de cette BD ont repris des faits historiques peu connus. Blanche et abolitionniste, Prudence Crandall est une pionnière quand elle décide, en 1832, d’instruire des jeunes femmes dans une Amérique nordiste où les noirs sont libres mais sans droit et sans avoir accès à la citoyenneté. Accepter des femmes de couleur semble encore plus révolutionnaire dans un pays où l’esclavage est toujours pratiqué dans les États du Sud.

Wilfrid Lupano convoque alors un autre fait historique. En Virginie, en 1831, Nat Turner, un esclave afro-américain lettré (il apprend à lire la Bible qu’il connaît parfaitement) conduit une révolte contre les maîtres et provoque le massacre d’une soixantaine de blancs. Si l’insurrection est vite matée et Nat Turner pendu, les esprits sont durablement marqués par l’événement.

Ainsi les habitants de Canterbury font la relation entre les deux histoires. Instruire des gens de couleur signifiera une remise en cause de la suprématie des blancs.  Comme Nat Turner, ces femmes noires instruites engendreront des enfants instruits qui s’élèveront au même rang que les blancs.

Une histoire haute en couleur

Dans Blanc autour, les personnages en voient « de toutes les couleurs ». Cet album est un one shot (un seul album) hors collection en quadrichromie. Dessinateur mais surtout ici coloriste, Stéphane Fert offre une mise en dessin et en couleur exceptionnels. Le graphisme doux, souvent sans contour, stimule l’imagination et favorise la rêverie et la poésie. Il contraste avec la dureté des propos et des actes racistes narrés d’une grande violence. L’illustrateur joue avec la couleur des personnages : les blancs passent du rose au rouge et même au marron quand ils vocifèrent ; les jeunes femmes noires « blanchissent » de peur et rougissent de plaisir. Certaines planches alimentent la confusion des couleurs de peau. Peut-on y voir une invitation à une possible égalité ?

Un écho à l’actualité d’aujourd’hui

Comment ne pas faire un parallèle avec ce que nous vivons aujourd’hui ? La communauté de Canterbury semble bien préoccupée du contenu des enseignements assurés par Prudence Candall…

L’accueil de la nouveauté et la « remise en cause » de l’ordre établi sonnent comme un écho à la crise des migrants et à la confrontation des pays riches à l’altérité.

Enfin, la lecture de cet album invite à faire un parallèle avec le mouvement des Black Lives Matter après la mort de George Floyd.

Avec une première de couverture signifiante, les jeunes femmes de couleur sur un fond blanc autour, ce bel album a le mérite de raconter des personnages historiques peu connus (un rappel biographique en fin d’ouvrage montre l’importance des jeunes femmes instruites dans l’école de Canterbury dans le combat pour l’éducation des gens de couleur et pour l’abolition de l’esclavage en 1865). La qualité de la couverture et du papier comblera le lecteur qu’on imagine de tout âge. Chacun y trouvera son plaisir et son niveau d’interprétation.