Présentation 

Née en 1935, Catherine Coquery-Vidrovitch est une historienne française spécialiste de l’Afrique. Ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Sèvres et agrégée d’histoire en 1959, elle devient professeur à l’Université Paris-Denis Diderot en 1975. A la fin des années 1970, elle fonde et dirige le laboratoire Connaissance du Tiers-Monde/Afrique avant d’effectuer plusieurs séjours de recherche aux États-Unis dans les années 1980 et 1990. Elle comptabilise 175 thèses d’histoire menées sous sa direction, dont celles de nombreux universitaires et personnalités politiques, africains et français. Elle est professeur émérite depuis 2001. Catherine Coquery-Vidrovitch s’affirme comme une pionnière de l’histoire d’Afrique. Ses nombreux travaux traduisent une volonté de faire évoluer le regard porté sur les sociétés africaines et faire reconnaître sa discipline dans l’enseignement universitaire. Elle combat de nombreux préjugés afin de mettre en avant la culture et l’histoire africaines. Elle publie des ouvrages comme Le Choix de l’Afrique pour présenter son parcours hors-norme mais aussi et expliquer ce qui l’a poussée à travailler sur l’Afrique subsaharienne qui est, pour les historiens des années 1960, une terre sans histoire. Ce compte-rendu porte sur l’une de ses œuvres les plus marquantes, Les Africaines, Histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du XIXe au XXe siècle, paru pour la première fois en 1994. L’ouvrage de 356 pages porte sur l’évolution des conditions des femmes sur deux siècles. Loin de se contenter d’une description de la vie de ces femmes africaines, l’historienne est en quête de vérité : pourquoi la femme n’a jamais pu avoir un regard sur elles-mêmes ? Catherine Coquery-Vidrovitch revient sur le destin, le rôle et les fonctions des femmes africaines du XIXe siècle à nos jours en allant au-delà des récits qui omettent des faits de l’histoire les concernant. Ainsi, l’œuvre se constitue en quatre grand axes principaux abordant le rapport de la femme africaine à son temps, et ce dans une approche chronologique. L’ouvrage comporte plusieurs cartes des pays concernés, un index, ainsi que des notes de bas de page et une longue bibliographie.

Résumé 

Pendant des siècles, la famille est perçue comme un foyer de production de consommation et de résidence. La femme a une place bien définie et un rôle majeur au sein de la famille. Malgré une grande variété d’organisations différentes en fonction des sociétés ou des coutumes, la femme conserve ce rôle d’assurer les tâches domestiques et le suivi de l’agriculture. Sa fonction principale réside dans la transmission des savoirs à travers la reproduction qui finalement qualifie le rôle de la femme. Peut importe sa position dans la hiérarchie sociale, elle est considérée uniquement par cette fonction motrice de reproduction et de production. La femme africaine du XIXe siècle vit majoritairement en campagne en tant que paysanne exploitée, rabaissée, humiliée. Il y a une réelle ignorance au niveau de l’univers féminin pré-colonial. L’autrice évoque l’esclavage des femmes qui représente un intérêt pour des fonctions reproductrices face aux taux élevés de la mortalité féminine et à la volonté de renforcer le lignage du mari par des naissances, ainsi que pour compenser les migrations du travail saisonnier et les ruptures d’union matrimoniale. La différence de tâches et des devoirs entre une femme libre et une femme esclave parait faible L’esclavage des femmes, qui n’est pas considérée comme tel, s’apparenterait plutôt à un travail domestique. L’historienne met l’accent sur la capacité de gestion commerciale des femmes africaines qui s’oppose à leurs image soumise et passive instaurée.

Durant la période coloniale, le statut des paysannes s’est dégradé. Les femmes se voient surchargées au niveau du travail donné avec, notamment, une hausse de la culture vivrière. Pour les femmes restées à la campagne, le travail s’accroît tandis que d’autres migrent pour la ville. La volonté de fuir les misérables conditions se répand et pousse aux départs vers l’urbain. La Seconde Guerre mondiale encourage cette migration. L’historienne souligne l’influence de la religion sur le comportement des femmes : ces dernières ont dû lutter et résister à l’autorité masculine pour imposer leur point de vue et leur désir d’autonomie. Elles partent pleines d’ambition pour une vie nouvelle sans condition restrictive, ordonnant une manière singulière de vivre. Les femmes apparaissent progressivement comme essentielles par les revenus qu’elles dégagent et qui ont tendance à surpasser ceux du conjoint. Ainsi, le troisième chapitre met en évidence cette quête d’indépendance. Le modèle de la femme indépendante capable de subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille sans dépendre d’un homme émerge et s’affirme de plus en plus. Pendant la période coloniale, il est compliqué pour les femmes d’accumuler un pécule personnel. Au cours des années 1950 un grand nombre d’entre elles effectuent plusieurs activités et travaux manuels afin de pouvoir gagner plus d’argent et se débrouiller économiquement. Les femmes se font plus nombreuses que les hommes au sein des villes africaines et cette affluence s’accompagnent de nouvelles problématiques.

De nombreuses coutumes africaines interdisent les rapports sexuels hors mariages et les jugent moralement indécents et immoraux. Dans une société où le mariage est la seule reconnaissance pour les femmes, ces dernières ne valent rien lorsqu’elles disposent de leurs corps. La prostitution prend davantage d’ampleur durant la colonisation et la plupart des prostituées travaillent à leur propre compte. Cette activité prend cependant une tournure tragique avec l’apparition du sida : à Nairobi, 80% des prostituées sont séropositives en 1990. La femme libre l’est est de moins en moins face à l’ampleur que prend la prostitution. C’est une nouvelle forme de traite des femmes.

D’après l’autrice, le secteur industriel aurait peu recouru au travail des femmes à cause de leur manque de compétences et de la peur des grossesses et du congé maternité. En Afrique du Sud, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les ouvrières noires remplacent les ouvrières blanches mais l’apartheid les rejette hors des villes et renforce l’instauration d’une hiérarchie. Aujourd’hui, en Afrique du Sud, le travail des femmes noires dans l’industrie est une réalité moderne conséquente.

Catherine Coquery-Vidrovitch établit un bilan de ce qui a réellement changé pour les femmes africaines depuis la colonisation. Les femmes, qui autrefois s’instruisaient uniquement par le biais des figures féminines familiales, se voient obtenir une éducation avec la généralisation de l’enseignement élémentaire des filles dans les années 1950. En 1980, presque les trois-quarts des femmes sont alphabétisées, à certaines exceptions près. L’éducation engendre une phase d’émancipation de la femme qui s’instruit et apprends à s’exprimer dans une optique de planifier un avenir selon ses propres envies. La femme africaine moderne apparait tardivement dans la vie politique mais ses premières actions sont ancrées dans l’histoire : les rebellions face aux colonisateurs, les révoltes, la monopolisation des marchés dans une optique de pression. Les femmes luttent pour conserver et obtenir leurs droits. Socialement et politiquement, les femmes sont en train de trouver leurs marques. Les femmes africaines  s’expriment de plus en plus dans tous les domaines, notamment dans celui de la création à travers l’art et la littérature, en permettant  de les montrer sous un nouveau jour avec le statut de chef de famille, à la campagne comme à la ville, militante, chef d’entreprise etc

En conclusion, l’autrice pose la question de l’émancipation des femmes africaines dans des sociétés où les coutumes pèsent encore lourdement. Les femmes gagnent en autonomie et sont de plus en plus impliquées dans la vie active, autrefois monopolisée par l’homme, mais, en étant justement trop actives, elles n’ont plus de temps pour elles-mêmes.

Appréciations

L’œuvre se distingue par la richesse et la diversité de ses approches. L’autrice nous captive en ne rendant pas compte de la femme africaine dans son unicité et ses préjugés mais en offrant une variété fine d’exemples, de traditions et de cultures permettant d’enrichir nos connaissances et de satisfaire notre curiosité. Ce refus de généraliser permet de percevoir le sujet dans toute sa complexité, l’Afrique noire sous tous les angles. Catherine Coquery-Vidrovitch n’esquive pas les sujets qui peuvent être perçus comme tabous, comme la prostitution, le sida ou l’excision, ce qui renforce cette optique de dévoilement des tréfonds de l’histoire des femmes africaines sans en omettre les détails les plus sordides, ce qui est stimulant. J’ai énormément apprécié cet ouvrage qui m’a permis d’en découvrir davantage sur des cultures dont je ne soupçonnais pas l’existence. Il explique synthétiquement et parfaitement une histoire qu’on ne partage pas assez, une histoire qu’on oublie. Le dernier axe qui se base sur la perception de la femme africaine moderne m’a particulièrement plu par les nombreuses évolutions qu’il est possible de constater avec les premiers chapitres mais également la tonalité qui insuffle de l’espoir quant aux nouvelles générations et à la prise en mains de leurs avenir. L’autrice ne nie pas la difficulté à changer les évènements du passé mais permet de rendre compte des capacités de ces femmes qui luttent au quotidien ou qui ne sont même pas consciente des libertés qu’elles peuvent avoir. Son écriture favorise la lecture d’un sujet qui apparait lourd et dense par ses évènements, facilite la compréhension malgré l’usage d’un vocabulaire soutenu. Cette étude apparait alors davantage accessible parce qu’elle permet de partager une histoire aux concernés, aux ignorants et aux curieux. Ce style intègre tout le monde et renforce cette volonté de Catherine Coquery-Vidrovitch à vouloir apprendre et à faire découvrir ces nouvelles perceptions au plus grand nombre. Ce livre peut être conseillé à tout public, son caractère informatif est presque oublié tant les exemples nous bercent tout le long de l’œuvre. Je recommande fortement cette lecture qui ne peut qu’enrichir ses connaissances et attiser plus de curiosité.

 

Compte rendu de lecture réalisé par Oumou Sissoko, étudiante en hypokhâgne (2021-2022) au Lycée Albert Schweitzer du Raincy (Seine-Saint-Denis) dans le cadre d’un travail de réflexion en histoire.