Les éditions Nevicata recèle des merveilles dans leur collection L’âme des peuples. Ces petits opus présentent en 90 pages ce qu’il y a à savoir sur une ville, une région, un pays. Un journaliste essayiste est chargé de faire le tour de la question avant d’interviewer des références sur l’espace en question. Pour le cas de Bordeaux, Anne-Marie Cocula, professeure d’histoire moderne à Bordeaux 3, François Dubet, le sociologue de la jeunesse et de l’école et Hervé Le Corre, un des grands noms du polar français sont amenés à porter un regard sur la ville qu’ils habitent. C’est passionnant, précis, stimulant. Voilà un bel outil pour aller au-delà de l’image de Bordeaux, belle endormie réveillée il y a 20 ans par des travaux de rénovation et de réhabilitation, et de quelques symboles (le vin, la « bourgeoisie », les souvenirs de l’esclavage), et comprendre pourquoi et comment cette ville est devenue une des destinations préférées de week-end.

L’ensemble n’a rien d’un guide touristique : pas de promenade guidée mais une présentation très personnelle d’un lieu mobilisant de nombreuses références. Le rapport des 3 M (Montaigne, Montesquieu, Mauriac) à la ville est analysé pour comprendre l’image de tolérance véhiculée par la ville mais également celle d’une ville où l’entre-soi bourgeois domine encore (via des cercles très fermés, tels que le club de tennis Villa Primrose depuis 1897). Les épisodes marquants de l’histoire de Bordeaux sont rappelés tels que le scandale lié au trafic de vin d’Algérie en 1973 ayant touché le grand négociant Lionel Cruse des Chartrons mais aussi l’empreinte laissée par les 48 années de règne de Chabans-Delmas et le rôle joué par Alain Juppé ayant redonné son lustre à la ville sale et triste. L’ensemble est remis dans le contexte vinicole, ayant marqué l’espace dès le début de notre ère, l’essor des superficies viticoles sous l’occupation anglaise avant les crises de surproduction des années 1980, puis le rachat de châteaux par des investisseurs chinois. Les emblèmes du renouveau (tramways, la cité du vin, la gentrification des quartiers centraux et des bassins à flots) et ses limites (l’étalement urbain de la CUB et ses encombrements routiers) ne sont pas éludés.

Cette collection, vendue au rayon des guides touristiques, mérite d’être connue des géographes qui y trouveront matière à alimenter leur connaissance du terrain et à enrichir leur commentaire de carte topographique. Changez vos habitudes, allez butiner au rayon Voyages !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes