Si, depuis 1922 et l’entrée en vigueur du « tariff act », les œuvres d’art pouvaient être importées librement et n’étaient pas taxées à leur entrée aux Etats-Unis, ce n’est pas le cas d’une des sculptures de Constantin Brancusi en 1927 (4 000 dollars de taxes, p.36). Face à cette erreur de la part des douanes qui considèrent l’objet comme manufacturé et utilitaire, il décide de porter plainte. S’ouvre alors le procès Brancusi contre les Etats-Unis qui donne son titre à ce roman graphique d’une grande poésie et d’une grande justesse.
Depuis l’Harmory Show de 1913, qui avait fait entrer les avant-gardes sur le sol américain, aucun évènement (hormis le ready made de Marcel Duchamp Fontaine refusé par la Société des artistes indépendants à New York en 1917) n’eut le même retentissement dans le monde de l’art que ce procès.
Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ?
Arnaud Nebbache ouvre sa narration sur les années durant lesquelles Brancusi était l’élève d’Auguste Rodin. Il nous permet de constater les désirs d’émancipation de l’artiste. Ensuite, il nous plonge dans le New York de la fin des années ‘20 où nous rencontrons Marcel Duchamp en grande discussion avec le directeur de la galerie Brummer qui doit accueillir une grande exposition de Constantin Brancusi. Par la suite, le procès Brancusi contre l’Amérique s’ouvre. Il est cinglant et apparait comme une sorte de plaidoyer pour l’art moderne. Marcel Duchamp, que nous retrouvons ici, fidèle témoin et rapporteur du procès, demeure un véritable soutien au sculpteur Brancusi. Il analyse et transmet chaque minute du procès à son ami, qui, retourné en France, s’inquiète. Les interrogations portent sur la formation de Brancusi, ses travaux, ses œuvres mais aussi la technique utilisée. L’œuvre intitulée L’Oiseau dans l’espace, achetée par le photographe Edward Steichen, est-elle un original ? Se pose alors la question du tirage. Est-ce une série ou non ? Par ailleurs, est-ce un oiseau ? Pour l’acheteur, bien sûr, « ses formes évoquent l’esprit de l’oiseau, l’expression de l’oiseau » (p.89). Mais qu’est-ce que le sentiment ? Est-il partagé par tous ? Non, car ses détracteurs pensent que « comparer cette pièce à une œuvre revient à insulter la sculpture formelle » (p.105).
Arnaud Nebbache, virtuose, nous offre des cases d’une grande justesse et des envolée (au propre comme au figuré) grâce à des aplats et des couleurs, peu nombreuses et bien choisies. Il nous transporte des volontés de Brancusi à la réalité du procès et nous plonge également dans l’atelier de l’artiste qui s’attelle à la réalisation de La colonne sans fin, nous permettant d’observer Brancusi à son travail mais aussi d’entrevoir ses angoisses et son désir, toujours vivant malgré les difficultés, de créer (même s’il demeure parfois incompris). Les dernières pages sont une véritable merveille car vibrantes et poétiques.
Véritable pépite, à conseiller à de très nombreux lycéens et à étudier !
Qu’est-ce-que l’art ? Plus qu’une affaire juridique, il s’agit, ici, de déterminer ce qu’est une œuvre d’art, et, au-delà, quelle est la place de l’art abstrait. L’intention de l’artiste ? Sa notoriété ? Le titre de l’œuvre ? Son tirage ? Ce roman graphique interroge diverses notions travaillées en spécialité histoire des arts ou encore en arts plastiques. Il interpelle les avant-gardes, la place de l’artiste, son statut ou encore la notion de reproduction. En philosophie ou en spécialité HLP, il offre l’opportunité de se questionner sur les notions du beau et de l’art à travers les époques.
Ce roman graphique, intelligent, bien mené et efficace, nous invite à la rencontre : Auguste Rodin, Jean Prouvé, Peggy Guggenheim, Fernand Léger ! L’auteur a su dépasser les contraintes du procès pour nous plonger dans les questionnements menés par les artistes mais aussi par les collectionneurs de l’avant-garde artistique.
A lire comme un cadeau, rempli de merveilles visuelles, il nous apporte des réponses et pléthores d’interrogations sur ce qu’est et ce qui détermine une œuvre d’art.