Biographie d’Aristide Briand très commode d’usage, rédigée par un fin connaisseur de sa vie et de sa carrière politique
Briand est un personnage toujours présent dans notre histoire du XXe siècle, mais on oublie souvent qu’il fut Président du Conseil pendant dix-huit mois au cours de périodes cruciales de la Grande Guerre, qu’il a participé à la construction d’une gauche parlementaire et il reste finalement assez peu connu en dehors de son rôle de « pèlerin de la paix » et de ses efforts qui semblent aujourd’hui tellement vains et prématurés pour bâtir des relations européennes autres que la guerre. C’est à retracer l’histoire d’une vie plus que bien remplie que s’attache Christophe Bellon, qui a consacré de nombreuses années à étudier Briand, auquel il a consacré sa thèse en 2009.

En six chapitres, ce petit livre de la collection « Tribuns » rédigé par un des meilleurs connaisseurs de la vie et de l’action d’Aristide Briand présente à la fois les éléments essentiels qui permettent de comprendre l’homme et sa façon d’agir, tout en fournissant selon le principe de la collection, de nombreux exemples de l’éloquence de Briand.

La jeunesse du héros de Christophe Bellon est traitée par « le marin contrarié », le rêve d’horizon lointains s’arrêtant au naufrage dans lequel périt son oncle. Né à Nantes, ce fils de cabaretier (ce qui provoqua les assimilations les plus outrancières de Maurras quant au milieu dans lequel il avait été élevé), bon élève au point d’aller à Paris étudier le Droit, commença à rédiger des articles dans des journaux de sa région d’origine. C’est par ces doubles biais qu’il entra en contact avec des milieux politiques socialisants ou socialistes et il mûrit grâce à ses expériences parisiennes ou à Saint-Nazaire même où il fut un éphémère conseiller municipal, expérience politique (incluant les duels caractéristiques d’une époque où un article provoquait assez facilement l’envoi de témoins), expérience professionnelle par son inscription au barreau de Saint-Nazaire. En 1893, après un acquittement prononcé en deuxième instance qui clôt une affaire sentimentale particulièrement visible puisque sa maîtresse était alors l’épouse d’un notable, il quitte Saint-Nazaire pour Paris, et va mieux s’intégrer désormais aux luttes nationales.

Le deuxième chapitre, qui couvre une période plus courte (1893-1902), « le militant du socialisme réformiste »permet de mieux connaître les années de maturation d’un homme qui, bien que très engagé dans le socialisme, considère la révolution impossible. D’autres voies sont défendues par le jeune orateur, vite remarqué, dans les différents Congrès, notamment le principe de la grève générale et la recherche, déjà, de moyens d’actions qui correspondent à une conception à la fois « pacifique et légale ». Il devient ensuite le chroniqueur des questions ouvrières dans la Lanterne, journal dans lequel il se distingue par sa modération sur la question laïque. Aux côtés de Jaurès pour demander la révision du procès de Dreyfus contre l’avis de socialistes comme Guesde, Viviani ou Millerand, il s’engage aux côtés du même Jaurès dans la question de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, thème sur lequel se retrouvent une bonne partie des républicains et participe aux tentatives d’unification du mouvement socialiste.

Peu à peu, ce militant à l’éloquence efficace, désormais bien rodé aux luttes diverses, occupe une place proche de celle de Jaurès. Parachuté à Saint-Etienne, il devient député à quarante ans et c’est par son entrée au Palais Bourbon en 1902 que s’ouvre le troisième chapitre « le père de la laïcité moderne ». Très rapidement membre de la commission de la laïcité, il y déploie une efficace activité surtout à partir de sa désignation comme rapporteur temporaire. En neutralisant les extrêmes, il réussit à présenter un projet sinon consensuel, tout au moins qui reste acceptable par le plus grand nombre. Ce travail de presque deux années débouche sur un projet de loi en mars 1905, finalement adopté après trois mois et demi de rudes discussions et de concessions pour faire voter en juillet 1905 un texte qui affirme notamment la liberté de conscience, et le fait que la République ne subventionne aucun culte. Après la confirmation du texte par le Sénat, les débuts de la mise en application, notamment par les inventaires, provoque des troubles allant jusqu’à l’émeute et la position du Pape entraîne des difficultés supplémentaires. Il est donc logique que le principal artisan de la loi finisse par se trouver chargé de son application, comme ministre des cultes à partir de mars 1906 , chapitre IV « Le promoteur d’une République apaisée 1906-1914 », poste dans lequel il manifeste toute la souplesse possible, cherchant un impossible terrain d’entente avec l’Eglise catholique et contribuant à construire peu à peu la « laïcité à la française ».

Les résultats de son action dans la séparation de l’Eglise et de l’Etat l’amènent en juillet 1909 à la présidence du Conseil ce que Christophe Bellon interprête comme le recours dans une situation sociale tendue à l’homme qui avait pu apaiser autant qu’il était possible la question des cultes. Son action est décrite comme « le Gouvernement de la démocratie sociale », menant à son terme un texte de 1906 sur les retraites et souhaitant déjà la participation des salariés à la propriété de leur entreprise, faisant plusieurs textes sociaux mais limitant les syndicats aux entreprises en excluant les fonctionnaires. Les bons résultats de son gouvernement « de juste milieu » entraîne aux élections de 1910 une majorité très favorable à son action mais diverses difficultés l’amènent à quitter son poste de chef de gouvernement à la fin de l’année. Son soutien à Poincaré lors de l’élection présidentielle de 1913 le ramènent à cette fonction jusqu’aux élections de 1914. Entré dans le gouvernement d’Union sacrée de Réné Viviani comme Garde des Sceaux, après le départ du gouvernement à Bordeaux qu’il a regretté, il a assuré périodiquement la présence gouvernementale à Paris, notamment avec Marcel Sembat.

Son retour comme chef du gouvernement (Ve chapitre, « Le chef de guerre ») est marqué par sa volonté d’affirmer la prééminence du pouvoir civil sur le Grand Quartier Général, son souci de tenir à Verdun , devenu symbole, et par l’organisation de liaison entre l’exécutif et les parlementaires, en séances à huis-clos chaque fois que nécessaire. La chute de son gouvernement, provoquée par le ministre de la guerre, Lyautey, va renvoyer Briand à son rôle de député, tenu à l’écart du gouvernement par l’animosité de longue date de Clémenceau.

Christophe Bellon ne donne pas plus de place qu’aux autres moments forts de la vie de Briand à son rôle de « Pèlerin de la paix », titre du VIe chapitre.
Il rappelle la fermeté de son action dans le paiement des réparations de guerre (« prendre l’Allemagne au collet ») et il insiste non sur l’idéalisme supposé d’un homme politique angélique dont l’action aurait été désavouée par les faits mais sur son pragmatisme, qui lui fit comprendre de façon précoce que seule une Europe pacifiée, dans laquelle le couple franco-allemand tiendrait la première place arrêterait l’enchaînement infernal des guerres. Son analyse le poussa donc à prêcher la paix (ce qui lui valut le Prix Nobel de la Paix en 1926) au rapprochement avec l’Allemagne, puis à un projet d’Union européenne qu’il défendit. Son œuvre diplomatique plus que compromise après 1930 par la crise économique et la montée des extrêmes, Briand disparut en 1932 peu de temps après avoir démissionné du Quai d’Orsay.

La place particulière de Briand, homme politique totalement identifié au parlementarisme mais très difficilement classable fait l’objet de la conclusion de Christophe Bellon auquel la maîtrise de son sujet permet à la fois concision et précision.
Un petit livre bien utile donc, qui permet de disposer non seulement d’une biographie d’Aristide Briand, de nombreux extraits de ses discours, même s’ils sont brefs, mais aussi de revenir sur la longue carrière de cet homme politique qui ne se résume pas à Locarno ainsi qu’au pacte Briand-Streseman et à travers cela de montrer , même rapidement, la IIIe République en fonctionnement.