En 1992, Serge Berstein et Pierre Milza, dont tous les étudiants et professeurs ont lu, apprécié et utilisé les livres et les manuels scolaires, ont publié aux éditions Complexe un « Dictionnaire des fascismes et du nazisme ». J’utilise depuis près de 20 ans ce dictionnaire et je peux affirmer que l’ouvrage tient les promesses de la quatrième de couverture. Une fois n’est pas coutume, c’est avec elle que j’ouvre mon compte-rendu : « A travers les hommes qui firent son histoire, les théories qu’il s’efforça de mettre en œuvre, les institutions des États où il régna, ses pratiques politiques, économiques, sociales, les persécutions qui le marquèrent d’un sceau ineffaçable, ce dictionnaire restitue le fascisme dans toutes ses dimensions. Mais cet ouvrage tente aussi de comprendre et d’éclairer sa nature véritable, ses origines et ses antécédents, l’importance de sa pratique totalitaire et les éléments qui font un régime spécifique, irréductible aux régimes autoritaires traditionnels. Il n’oublie ni les débats historiographiques suscités par le phénomène fasciste, ni ses variantes, ni l’imprégnation qu’il exerce sur les mouvements et régimes autoritaires traditionnels (…) Événements, personnages, analyses théoriques, historiographie du sujet traité sont présentés sous forme d’articles suivis d’une bibliographie spécialisée ».
Quantité de livres et d’articles ont été publiés depuis 1992 sur cet immense sujet dont l’historiographie a été largement renouvelée. C’est donc avec un vif intérêt que je m’apprêtais à découvrir ce que je pensais être la nouvelle édition de ce dictionnaire.
Grande fut ma déception, car cet ouvrage est strictement le même que celui que les éditions Complexe ont publié en 1992. Grande mon irritation, car non seulement rien ne mentionne qu’il s’agit d’une simple réimpression d’un ouvrage vieux de vingt ans, mais, plus grave, quelques petits additifs à la bibliographie finale ou aux bibliographies de fin d’articles peuvent laisser croire qu’il s’agit d’une œuvre nouvelle.
Ce dictionnaire est une réimpression de l’édition de 1992
Pas une phrase, pas un mot n’ont été changés dans l’avant propos (d’une remarquable clarté) qui définit le fascisme en quelques paragraphes : fascisme et autoritarisme, fascisme et totalitarisme, unité ou pluralité du fascisme, existence ou non d’un fascisme français. Aucune trace du renouvellement historiographique de ces vingt dernières années.
Il en va de même des articles dont le texte n’a pas été changé et dont les références bibliographiques les plus récentes datent du début des années 1990. Pas une ligne n’a été changée à des articles aussi fondamentaux que « Hitler », « Mussolini », « Camps de concentration » (références bibliographiques de 1954, 1968 et 1973), « SS » (pas une seule référence bibliographique postérieure à 1970), « Femmes dans le 3e Reich » (référence bibliographique la plus récente de 1991), « La Cagoule » (deux références bibliographiques de 1970 et 1978), etc.
Une apparence de nouveauté
Il arrive que quelques références bibliographiques postérieures à l’édition de 1992 soient ajoutées, en particulier à l’importante bibliographie thématique de fin d’ouvrage. Mais elles sont rares (une soixantaine sur un millier de références) et, surtout, le texte n’en tient pas compte. On aurait voulu faire croire qu’il s’agit d’un ouvrage neuf qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Ainsi l’article « Mussolini » cite-t-il la biographie publiée par Pierre Milza en 1999… mais pas un mot du texte de l’article de 1992 n’a été changé ; il ne cite pas et ne tient pas compte des travaux de l’historien Emilio Gentile, travaux cités dans la bibliographie générale cependant ! Les ouvrages fondamentaux de Ian Kershaw sur Hitler sont cités dans la bibliographie mais l’article n’en tient pas compte et reproduit à l’identique celui de 1992. L’article « Blitzkrieg » est reproduit à l’identique, ignorant les travaux de l’historien allemand Karl-Heinz Frieser qui ont complètement renouvelé l’approche de cette tactique. L’article consacré à Marcel Déat ignore la biographie de Jean-Paul Cointet publiée en 1998 ; on peut multiplier les exemples. Une exception : un article « Einsatzgruppen », entièrement nouveau, appuyé sur une bibliographie récente.
La comparaison de la liste des entrées dans les deux éditions fait apparaître une dizaine d’articles nouveaux. Ce sont des articles biographiques mineurs ; cependant deux entrées annoncent des articles sur un thème profondément renouvelé depuis 20 ans : « Génocide » et « Shoah ». Malheureusement, il n’y a pas d’article : dans les deux cas, on ne lit qu’un renvoi à l’article « Solution finale de la question juive » qui lui date de l’édition de 1992, et ne comporte aucune référence bibliographique postérieure à 1972. A ce niveau, on peut vraiment s’étonner que des historiens de cette envergure aient permis que leur texte soit présenté comme tenant compte des « débats historiographiques ».
Une pratique regrettable
Pour le dire encore plus clairement : les articles ne tiennent pas compte d’ouvrages récents dont la bibliographie laisse croire qu’ils tiennent compte ! Curieusement, le lecteur est averti (p. 47) que « certains articles de cet ouvrage ont été précédemment publiés » par Pierre Milza et Serge Berstein chez un autre éditeur en 1985 et 1986. Pourquoi ne pas avoir ajouté que l’intégralité de ce dictionnaire a été publiée en 1992, aux Editions Complexe, alors dirigées par André Versaille, et que seule la bibliographie a été partiellement mise à jour ?
Très clairs et très pédagogiques, remarquables en 1992, les articles de ce dictionnaire ignorent la production historiographique de ces vingt dernières années. Souhaitons que l’éditeur se montre plus explicite sur la nature des ouvrages qu’il édite ou réédite. Souhaitons aussi la parution prochaine d’une vraie nouvelle édition remise à jour de ce bon dictionnaire de 1992 !