PRÉSENTATION

Né en 1949, Song Yongyi est un auteur et historien chinois, spécialiste de la Révolution culturelle. Il vit et travaille aux États-Unis à l’Université de l’État de Californie. Dans sa jeunesse, il a été garde rouge “rebelle” à Shanghai. Au début de la Révolution, de 1966 à 1968, il faisait partie des jeunes qui soutenaient inconditionnellement Mao. C’est à partir de 1968 qu’il s’est mis à douter des véritables buts de la Révolution. Les destructions de la culture, en passant par l’éducation et les familles, remettaient en cause les idéologies auxquelles il pensait croire. Il fut emprisonné durant quatre ans pour avoir organisé des groupes de lecture d’ouvrages interdits, qui ne reflétaient pas l’idéologie maoïste. A la fin de la Révolution, il entre à l’université et devient professeur dans les années 1980. C’est en 1989 qu’il décide d’émigrer aux États-Unis.

Très rapidement, Song Yongyi décide de constituer une base de données sur la Révolution culturelle, spécialement sur les massacres qu’elle a déclenchés. Avec une équipe de chercheurs historiens, il crée sa banque de données avec plus de 20 000 documents historiques sur la période. Son but premier était de permettre aux jeunes générations de se souvenir de cet événement et en faire un sujet de mémoire collectif car c’est un sujet encore sensible aujourd’hui en Chine et un domaine d’études défendu. En 1999, lors d’un voyage en Chine pour sa documentation sur la Révolution culturelle, il a été arrêté et détenu quatre mois avant que Pékin n’annonce officiellement son emprisonnement. Grâce à la mobilisation de la communauté internationale, il a été finalement relâché et expulsé. La contribution de Song Yongyi à la lutte contre la censure sur la Révolution culturelle lui a valu plusieurs récompenses honorifiques. Ses œuvres sont principalement en rapport avec la Révolution culturelle. Il a écrit et compilé plusieurs de ses recherches pour en faire des ouvrages, comme La Révolution culturelle: une bibliographie, 1966-1996, paru en 1998.

Le présent livre porte sur l’étude des massacres perpétrés durant la Révolution culturelle et retrace les tueries de masse des Gardes rouges, puis par l’armée de Mao Zedong en 420 pages. En ce sens, l’ouvrage constitue une véritable enquête afin de rétablir la vérité sur ces drames, tragédies et  génocides pour reprendre les mots de l’historien. Ouvrage collectif paru en 2002, l’ouvrage rassemble les textes de huit spécialistes Un avant-propos de l’historien est présent, dans lequel il relate les grandes étapes de la Révolution culturelle avec notamment le début de la révolte des Gardes rouges. Les textes sont traduits et publiés par Gallimard en 2008 avec une préface signée de la sinologue Marie Holzman. L’ambiance et la tonalité du livre sont ressenties dès la couverture. Le rouge, couleur du communisme, rappelle le Grand Timonier et sa politique; rappelle le sang, celui de ces millions de personnes tuées.

RÉSUMÉ

Le premier chapitre commence avec le meurtre de la famille Huang, que l’auteur Li Xiang qualifie de tragédie. En effet, dès le début de la lecture, le caractère profondément cruel et criminel de cette révolution est souligné. Ce premier chapitre sert avant tout à mettre l’accent sur les victimes. Ces personnes, souvent des familles entières, tuées sur de fausses accusations ou sur leur comportement dit antirévolutionnaire. Les Gardes rouges se ruaient sur les cibles qu’on leur désignait. Les victimes sont molestées, humiliées, couvertes d’encre noire, exposées à la foule devant laquelle elles doivent courber la tête en signe de culpabilité.

Le second chapitre, écrit par Yu Luowen, décrit la violence des Gardes rouges dans le district de Daxing notamment, au cours duquel 325 personnes ont été tuées durant le mois d’août rouge. Ce massacre serait à l’origine de la violence des Gardes rouges et du début de la Révolution culturelle en 1966. Dans ce chapitre, l’auteur revient sur les méthodes d’abattage qui comprenaient notamment le battage, le fouet, l’étranglement, le piétinement, l’ébullition ou encore la décapitation. Ce qui fait la particularité de ce chapitre est le fait que Yu Luowen ait vécu la révolution et qu’il utilise certaines sources de son frère, lui-même emprisonné pendant la période.

Le troisième chapitre de l’historien Ding Shu s’intitule l’événement du 23 février au Qinghai. Il retrace principalement l’attaque, par l’armée et les rebelles du 18 août, du quotidien du Qinghai, l’un des premiers massacres de la Révolution culturelle perpétré par l’armée. Les rebelles révolutionnaires du 18 août s’étaient emparés du pouvoir dans la région et imposaient leurs lois.

Le drame du peuple mongol, survenu à partir de 1967, est le quatrième chapitre, écrit par Wu Di. L’auteur met l’accent sur la population mongole durant la Révolution culturelle et son extermination. Il évoque notamment l’extirpation du parti mongol, le “Parti révolutionnaire populaire de Mongolie-Intérieure”, par les autorités chinoises. Il revient d’abord sur l’histoire du parti puis le début de ce génocide, comme il le dit. Tout partirait d’une réunion des communistes chinois, la réunion de l’hôtel Qianmen du 22 mai 1966, qui accusait le parti mongol d’être contre le PCC et contre Mao. Se met alors en place la dictature des masses dans le pays; le parti, les intellectuels puis les populations mongols sont surveillés. Il révèle un épisode du massacre massif en Mongolie intérieure assez inconnu du public.

Le chapitre cinq est le chapitre le plus long. Il retrace les différentes tueries survenues dans la province de Hunan et a été écrit par Zhang Cheng. Le massacre se déroula dans le sud de la province et donna la mort à des milliers d’habitants. La plupart des victimes étaient qualifiées d’ennemis de classe, appartenant aux quatre catégories noires, c’est-à-dire les propriétaires terriens, les réactionnaires, les paysans riches et les intellectuels. Zhang Cheng évoque d’abord le contexte et les lieux des massacres avant de parler de la création et des débuts de deux organisations révolutionnaires qui s’affrontaient quotidiennement. D’un côté, l’Alliance rouge et de l’autre, l’Alliance révolutionnaire. L’Alliance rouge était  constitué de jeunes étudiants, de citadins, d’artisans, de petits intellectuels et d’une minorité de cadres, bref de gens assez bien éduqués. La violence des conflits qui opposaient les deux factions s’intensifia au cours de la Révolution culturelle. Tuer, massacrer, liquider, voilà les mots qui décrivent la situation des villages de Hunan. La Chine baignait déjà dans le chaos et le district de Dao, situé aux confins du sud du Hunan, n’allait pas faire exception. A la fin du chapitre, l’écrivain revient sur le développement de la Chine dans un monde mondialisé, mais qui reste sourd face à son passé. Cette Révolution culturelle est “un héritage fait de larmes et de sang” qu’il ne faut pas oublier et remémorer pour obtenir une réelle justice.

Le chapitre six se présente comme une enquête de Zheng Yi sur le massacre de Binyang dirigé par l’armée chinoise, de juillet à août 1968. Pour son enquête, l’auteur utilise notamment comme source les annales de la Révolution culturelle du district de Binyang. Ce chapitre revient de manière chronologique sur l’événement, l’auteur décrit à chaque date les événements importants de cette tuerie. Le massacre qui ensanglanta Binyang fut mis au point en à peine trois jours par les autorités, et notamment par Wang Jian Xun, directeur du comité révolutionnaire. Les tueries de masse sont produites envers ceux qu’on appelle les ennemis de classe et qui avaient des discours antirévolutionnaires. En un rien de temps, la folie meurtrière des Gardes rouges plongea la population de Binyang dans la terreur. Partout dans le district s’organisaient des séances d’exécution comme exemple à la population. Au total, ce sont 3 883 personnes qui ont été tuées dans le district de Binyang.

Le chapitre sept, écrit par Xu Yong, retrace la période de la révolution culturelle dans la province du Guangxi. Le chapitre se centre notamment sur une personne en particulier, Wei Guoqing, homme politique et militaire du Parti Communiste chinois. Il évoque également les bombardements et les tueries survenus dans la ville de Nanning.

Le dernier chapitre sur le génocide des musulmans du village de Shadian a été écrit par Ma Ping. Le massacre de Shadian est un massacre qui a eu lieu en 1975 dans la province du Yunnan, plus particulièrement dans la ville de Shadian. Dans cette partie, l’auteur décrit premièrement les différends qu’il existait entre les musulmans du village, les Hui, et les Chinois communistes. C’est une politique antireligieuse que met en place le Parti Communiste chinois envers cette ethnie. Se manifestant par l’interdiction de la prière pendant le travail, elle s’accentue au début de la Révolution culturelle avec l’installation dans le village de brigades de propagande qui s’en prenaient à la population musulmane. Les Gardes rouges assassinaient les religieux musulmans, détruisaient les mosquées, tout ce qui touchait à l’Islam. On estime à au moins 1 000 personnes, que ce soit femmes, hommes ou enfants, tuées par l’armée communiste chinoise. A la fin du chapitre, l’auteur revient sur la fin de ce massacre et sur l’exposition de ce drame. La vérité est loin d’être admise par les autorités chinoises selon lui et est transformée pour effacer les crimes de certains dirigeants.

APPRÉCIATIONS

Tout cet ouvrage de Song Yongyi est tourné vers une finesse du détail incomparable. Le long travail de recherches se fait ressentir au fil de la lecture. Chaque texte donne à voir un massacre de plus, une violence de plus sur un sujet dont on sait peu. Les différents exemples de massacres nous permettent de ne pas faire une généralité sur ce qui se passait durant la période. Chaque événement, drame, est singulier, malgré quelques ressemblances dans les folies meurtrières, ce qui rend l’ouvrage singulier. L’authenticité et le détail de l’ouvrage se retrouvent aussi dans les données transmises. Étant donné que le gouvernement chinois interdit aux chercheurs chinois d’étudier ce domaine de l’histoire de la Chine, il n’y a pas d’accès public aux documents qui sont apparus pendant la Révolution culturelle. Cette collection de textes est donc précieuse pour quiconque voudrait en savoir plus sur le sujet.

De manière plus générale, j’ai apprécié le livre. La particularité qui m’a le plus intéressé est qu’on ne lit pas qu’une seule et même voix mais plusieurs. Nous n’avons pas seulement le point de vue de Song Yongyi et sa plume mais également celle d’autres chercheurs. La difficulté d’une recherche sur ce sujet ne réside pas seulement dans la multiplicité de ses facettes, mais également dans la fiabilité des sources disponibles. Et avec ses différentes sources, Song Yongyi donne à voir aux plus curieux une autre réalité. J’ai tout de même trouvé le livre assez difficile et long à lire. L’abondance des noms propres, notamment de lieux et de régions, accentue cette difficulté. Cela joue en la faveur de la précision des récits mais peut perdre le lecteur quelquefois. Les textes sont avant tout descriptifs avec peu d’analyses. Par ailleurs, la description de la violence des Gardes rouges envers les populations peut mettre mal à l’aise et choquée le lecteur. Ces parties étaient aussi assez difficiles à lire.

Compte rendu de lecture réalisé par Victorine Michaud, étudiante en hypokhâgne (2021-2022) au lycée Albert Schweitzer du Raincy (Seine-Saint-Denis) dans le cadre d’un travail d’initiation à la recherche historique.