SAM est une revue d’architecture suisse qui propose ici une démarche artistique intéressante : une histoire de la photographie d’architecture, à partir du cas de l’architecture suisse. Le cœur du sujet n’est pas ici l’architecture mais la photographie d’architecture les cartels présentent d’abord le nom des photographes avant ceux des architectes. L’objectif est d’étudier comme les photographes présentent l’architecture dans leurs œuvres et de montrer les évolutions. Nicéphore Niepce n’a-t-il pas été le premier à réaliser une photographie d’architecture : la vue de la fenêtre de son atelier à Saint-Loup-de-Varennes ?

L’ouvrage débute par une chronologie qui reprend les dates importantes pour comprendre ce médium : de sa genèse à la création de Flickr en 2004. La demande faite par Herzog et Meuron en 1991 à quatre photographes de photographier leurs œuvres pour la Biennale d’architecture de Venise est révélatrice « of the beginning of a renewed artistic exploration of architecture photography ». Pour en juger, la partie centrale du magazine se compose de doubles pages en couleurs sur papier glacé proposant au lecteur de voir comment la photographie met en scène l’architecture. Ainsi, une structure de béton installée dans une extension du cimetière de Bern est mise en lumière par Gaston Wicky (il joue sur les reflets sur l’eau, les diagonales, le mélange minéral-végétal, sur l’ombre et la lumière). Une photographie d’un journaliste d’architecture (photographe du dimanche) est mise en regard. Elle fait pâle figure même si la construction est intéressante. Le mauvais temps y est peut être aussi pour beaucoup mais force est de constater que la structure n’est pas aussi majestueuse. Elle semble vieillie. On a là la différence entre photographie professionnelle et celles des autres ! La photographie professionnelle est ici plus esthétique. Elle met en lumière comme le fait la photographie de mode.

Toutefois, cette manière de faire n’est pas la seule. Peter Zumthor est un architecte suisse qui confie, depuis la fin des années 1980, à Hans Danuser la mission de photographier ses réalisations. Il accepte que Danuser présente ses œuvres par mauvais temps (brouillard), comme peut le faire aujourd’hui Bjarne Riesto. Robert Franck, la légende vivante de l’histoire de la photographie du XXème siècle, s’est lui aussi essayé à la photographie d’architecture. Survolant la chapelle de Mogno (Suisse) en hélicoptère, il casse les conventions de la photographie d’architecture, faisant figurer sa femme (de dos !) au premier plan. Les pales de l’hélico sont présentes dans le champ de sa photographie. Il montre la chapelle au moment de sa construction « at the wrong time and from the wrong angle ». Présenter l’architecture dans son environnement n’a rien d’évident, non plus. C’est pourtant le parti pris par Walter Mair pour faire voir un complexe résidentiel le Musikerwohnhaus à Zurich (1997), par exemple.

Cette tendance ne domine pas toutefois. C’est un autre parti qu’a pris Walter Mair pour photographier le Mehrfamilienhaus Rondo (Zurich, 2007) construit par Graber Pulver. L’objet de l’attention du photographe, ici, est l’escalier central de cet immeuble d’habitation. Le photographe joue sur l’aspect sculptural de l’escalier à tel point que, parmi toutes ces lignes, on a du mal à savoir de quel élément il s’agit. Assez fascinant ! On retrouve cette approche esthétisante avec les travaux de Ralph Feiner (photographie de la cave de Erweiturung Weingut Gantenbein à Fläsch en 2008).

Le plus souvent dans ces photographies d’architecture, l’Homme est absent (cf. Ecole professionnelle de Visp, 2009), même si quelques photographes font le choix (comme Walter Mair) de montrer ceux qui utilisent le lieu : les élèves de la Schulhaus Leutschenbach. L’étalement urbain intéresse aussi les photographes. Le fait de cadrer leur image, non seulement sur l’architecture mais aussi sur le paysage environnant (champs, forêt) participe à la dénonciation de l’avancée de la ville sur l’espace rural (voir Wohnüberbauung Klee, Zurich, 2011 par Ruedi Walti).

« The age of experimentation is back : the exhibition at ETH Zurich’s Department of Architecture and the simultaneously published monograph by the Basel architecture office not only conventional architecture photographs, but also images which convey atmospheres, taken by photographer who also works for the theatre. » : Mathilde Agius. L’architecture devient sous l’œil du photographe un théâtre de marionnettes !

Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes