Bruno Modica est chargé de cours en relations internationales à l’IEP de Lille dans le cadre de la prépa-ENA

Traitant de façon très explicite de la question de médiévale au programme du Capes et de l’agrégation, l’ouvrage de Béatrice Caseau-Chevallier correspond parfaitement à ce que l’on doit attendre de lui. Une mise au point précise, la plus complète possible, sur le sujet. On imagine bien que cet ouvrage sera largement parcouru par les candidats sérieux et que son contenu se retrouvera dans les copies soumises aux correcteurs.
En fait, ces manuels, car on peut les désigner ainsi, qui annoncent dès leur intitulé qu’ils traiteront des questions posées aux concours constituent le socle minimum à partir duquel se construira la réflexion qui, dans la copie ou lors de l’oral, fera la différence.

Byzance a été au programme du Capes et de l’Agrégation en 1980-1981, quasiment sous le même intitulé. Ayant le privilège de l’âge, la question qui m’a été posée est de savoir si la recherche dans la perception que nous avons de Byzance et de sa société a changé en un quart de siècle, pour autant que nous puissions en juger.
L’ouvrage de Bétrice Caseau-Chevallier, maître de conférences à Paris IV-Sorbonne est strictement consacré à une réflexion sur la société byzantine. Moins sans doute à l’économie même si celle-ci est sous-jacente dans l’analyse des groupes sociaux.

Réflexion historiographique

De ce point de vue l’auteur ne se différencie pas fondamentalement dans sa problématique de celle de ses précurseurs, les historiens de l’école soviétique, marqués par la vision marxiste de l’histoire, qui ont beaucoup travaillé, pour des raisons de proximité historique sur l’État Byzantin. Cela ne fait pour autant, soyons très clair, de l’auteur de cet ouvrage un crypto-marxiste loin s’en faut. L’étude des forces sociales comme composante des infrastructures des sociétés humaines a été déjà défendue par les historiens de l’école des annales. Par contre, dans les années qui ont suivi 1968, sans doute en réaction, l’histoire culturelle, celle des mentalités, est revenue en force. Elle a pu d’ailleurs traduire par excès, un appauvrissement de la réflexion historique.

Organisé en onze chapitres le manuel balaie toutes les composantes sociales de la société byzantine pendant cette période qui commence pendant la crise iconoclaste avec l’Empereur Constantin V Copronyme et qui s’achève avec la prise de Constantinople par les croisés sous le règne d’Alexis V Moutzouphlos. La succession des chapitres donne une idée à elle seule de l’organisation sociale de Byzance. La cité de Constantin qui, après la chute de l’Empire romain d’Occident incarne a elle seule l’héritage hellénique est organisée autour de l’Empereur, porteur de la pourpre et Basileus. L’Église lui est subordonnée même si elle manifeste parfois des velléités d’indépendance. On retrouve cette même logique, et en cela l’histoire de Byzance est aussi intéressante au-delà des préoccupations tournant autour des concours, dans l’histoire de la Russie et notamment dans les relations tumultueuses des Tsars et des Patriarches. C’est sans doute dans cette histoire des relations entre les Popes et les Empereurs byzantins que se trouve la réponse à cette question : pourquoi l’Église orthodoxe russe n’a-telle jamais joué le rôle de l’Église catholique en Pologne, des Églises protestantes en RDA ?

Le rôle de l’Empereur, chef de guerre

Mais l’Empereur sacré, devant lequel on se prosterne, (proskynèse) dispose aussi de deux autres puissants leviers. L’argent, qui permet de lever des armées et de corrompre ses adversaires et la puissance militaire. Les officiers forment un groupe social prestigieux et la carrière militaire est un excellent moyen de progresser dans un empire qui est constamment en guerre. Byzance a dû en effet résister pendant la période à plusieurs menaces des arabes aux tucs, en passant par les slaves de diverses catégories. L’Empereur, comme son prédécesseur sous l’Empire romain d’occident est aussi un chef de guerre, ce qui l’expose aussi à ses prétoriens. Basile II, le bularoctone s’est illustré par une cruauté bien peu chrétienne envers ses adversaires et il n’a pas été le seul ! Dans le même temps, cette armée est organisée pour son recrutement sur une base territoriale, avec les thèmes, formés par un repli sur les provinces lors de la défaite de Yarmouk en 636 devant les arabes. L’organisation militaire a permis de qualifier Byzance d’Empire militarisé ce qui est excessif du fait de la nature même de ce recrutement territorial où les stratiotes, les soldats des thèmes, autonomes quand à leur équipement étaient attachés à leur provinces respectives.
Par contre, des régiments spécialisés, et de plus en plus souvent des mercenaires étaient plus liés à leur chefs, et, de façon plus globale à l’Empereur qui les payait surtout à artir du XIe siècle avec les Comnènes. L’évolution des modes de combat, cavalerie lourde avec les cataphractaires, feu grégeois et navires de guerre ont imposé à l’Empire la pratique d’une ponction fiscale « moderne ». L’entretien des troupes était assuré par un impôt spécifique prélevé en nature sur les paysans. De ce point de vue, Byzance est en avance sur les monarchies occidentales où des armées royales permanentes ne se constituent que bien plus tard. Dès cette époque d’ailleurs la fluidité sociale se fige dans le recrutement des officiers qui constituent de véritables dynasties permettant, comme pour Léon V d’atteindre le pouvoir suprême.

Aristocrates et paysans

L’aristocratie Byzantine ne repose pas directement sur une définition précise. Le terme désigne les puissants, les gens d’influence, les « bien nés. » De ce point de vue une accessibilité à cette catégorie existe, y compris pour les étrangers, qualifiés d’etnikoi. Deux familles aristocratiques ont pesé dans l’histoire jusqu’à atteindre la pourpre impériale, les Phocas avec Nicéphore et les Comnènes et la série des Alexis. Les premiers seraient d’origine géorgienne tandis que les seconds seraient macédoniens. Plus peut-être qu’en Occident à la même époque la fortune aristocratique n’est pas seulement foncière. Elle doit beaucoup à la faveur de l’Empereur et aussi aux liquidités qui permettent d’acheter des influences.

Au bas de l’échelle on retrouve le monde paysan à propos duquel l’auteur présente les différentes hypothèses de dénombrement. Celles-ci varient entre 7 et 10 millions au début de la période et 9 et 18 millions en 1204.
Ce monde rural qui supporte le poids de l’entretien de l’armée et qui nourrit les villes vit de façon bien chiche. Pourtant ce monde byzantin, héritier des traditions romaines développe une agriculture sophistiquée associant la vigne et l’arboriculture avec des techniques agricoles sophistiquées.
A ce propos, l’auteur revient aussi sur la tradition historiographique russe, celle d’avant 1917 dans laquelle les auteurs voyaient dans la commune rurale byzantine l’ancêtre du Mir. Dans son histoire de l’Etat Byzantin, l’ouvrage de référence de référence de cette question pour les agrégatifs du millésime 1980, Georges Ostrogorsky développe largement cette hypothèse. Les slaves seraient à l’origine ou en tout cas les moteurs du développement rural byzantin et il n’est pas étonnant de ce fait de trouver dans la commune libre de petits propriétaires de Byzance une antécédence du mir russe. L’auteur, à la lumière des travaux archéologiques plus récents évoque pour sa part le rôle des défrichements qui, comme en Occident ont permis le développement agricole et de ce fait soutenu l’Empire.

L’ouvrage est donc très complet; les autres chapitres traitent du clergé, rapidement évoqué plus haut dans ses relations avec le pouvoir impérial, de la très intéressante question du monachisme orthodoxe et de la société de Constantinople dans toutes ses composantes. On y apprend notamment que la population y semble bien plus alphabétisée qu’en occident à la même époque, et, qu’au-delà du chiffre bien supérieur à toutes les autres villes d’Europe, une vie urbaine très riche s’y développe, même pendant les années les plus difficiles marquées par la persistance de la peste justinienne qui sévit dans l’Empire de façon sporadique pendant près de deux siècles.
Le manuel est complété par un lexique très complet, une table des monnaies et des Empereurs et d’une abondante bibliographie. Cela en fait un manuel de référence pour un préparationnaire mais en même temps, et même si l’intérêt pour l’Empire byzantin dans les concours s’est un peu effacé avec le temps et l’âge un bel outil de réflexion sur un Empire d’Orient, qui fascine vu d’Occident, par son exotisme et en même temps sa proximité.

© Clionautes – Bruno Modica