Lucien X. Polastron, expert des arts du livre et de la calligraphie publie ce beau livre aux éditions Actes Sud en collaboration avec l’imprimerie nationale. Ouvrage volumineux aux riches illustrations, ce livre est aussi une mise au point scientifique fouillée sur un art que l’auteur estime mal compris. Pour lui, l’écriture au pinceau chinoise est abusivement qualifiée de calligraphie. Loin d’être une écriture figée et répétitive, définitivement établie comme l’alphabet occidental, Polastron nous la décrit comme une pratique artistique et culturelle vivante et en perpétuelle évolution, « reflet parfait du cosmos ».
La première partie de l’ouvrage est un rappel historique savant sur la calligraphie, qui commence dans la plus lointaine antiquité chinoise et se perpétue jusqu’à aujourd’hui, mais aussi un « mode d’emploi » de cet art chinois. Bien que s’adressant aux spécialistes et aux sinophiles, Lucien X. Polastron tient à rester compréhensible pour les néophytes. Il détaille donc les évolutions de la calligraphie chinoise, qui accompagnent les évolutions politiques et sociales millénaires de la Chine. Les supports changent : dos écaillé des tortues, stèles de pierres, livres, toiles… Le pinceau, tout d’abord simple morceau de bambou, va ensuite se doter de poils de lièvres puis de chèvres. Malgré ces transformations techniques, l’art reste. La calligraphie, en effet, évolue autour de trois styles, apparus sous les premiers empereurs, qui s’imposent et se répondent : le caoshu, vif et plein de folie, le xingshu, ordonné et populaire, et le kaishu, sévère et fondamental
Ensuite, l’ouvrage détaille les vies de cent grands calligraphes retraçant leurs biographies et relevant leurs « traces », ces mots au pinceau, exemplaires de leur art. Ces « vies d’hommes illustres » sont classées selon un ordre alphabétique, semblant indiquer que l’art de la calligraphie chinoise est totalement indépendant des contingences de la chronologie, transcendant et hors temps. Cette partie est tout de même éclairée par un rappel succinct des grandes dates de l’histoire de la Chine venant éclairer la compréhension historique de ces différentes notices biographiques.
Enfin, la dernière partie de l’ouvrage dresse un panorama des usages quotidiens et contemporains de la calligraphie, toujours présente dans la société chinoise du XXème siècle. Bien que confrontée aux menaces que représentent pour sa survie l’usage du Pinyin et de l’anglais, elle est encore aujourd’hui bien vivante, se retrouvant sur les murs de nombreux monuments publics chinois mais aussi dans l’art contemporain ou bien dans l’intimité des chambres d’hôtels luxueuses de Shanghai.
Ce livre, qui se destine tout particulièrement aux amateurs d’art, contient de nombreuses informations et documents qui viennent enrichir la connaissance d’une pratique centrale de la civilisation chinoise, et fournit des exemples concrets d’artistes, notamment sous la Chine des Han, tels Cai Yong (132-192), premier calligraphe majeur de l’histoire, et sa fille et disciple, Cai Yan.

Guillaume Bellicchi ©