Comment un combat secondaire livré dans une guerre lointaine et oubliée est-il devenu la glorieuse carte de visite d’un corps d’élite prestigieux, et l’incarnation modèle du sacrifice militaire ? Pour décrire cette transfiguration, l’auteur, spécialiste de l’histoire de la Légion Étrangère (il est l’auteur du Que Sais Je ? consacré à celle-ci), associe judicieusement l’histoire à la mémoire. Les « fana-milis » apprécieront la relation détaillée de ce fragment d’histoire bataille centré sur l’événement, tandis que les historiens seront davantage sensibles à la lente élaboration de la mémoire épique qui s’y enracine.
De l’Histoire…
La participation de la Légion à l’expédition du Mexique résulte des antécédents algériens de ce corps encore mal assuré de sa pérennité. Camerone est sa première affaire sérieuse sur ce nouveau théâtre. Le déroulement factuel de l’engagement est restitué de façon très précise. La banale mission d’ouverture d’itinéraire au profit d’un convoi de siège qui a été assignée au détachement Danjou tourne mal. Retranchés dans l’haciendad de Camarón (graphie espagnole exacte du lieu du combat), les légionnaires, dont une partie sont encore novices mais encadrés par des chefs et des vétérans aguerris, mènent une lutte acharnée jusqu’à épuisement des munitions. Animés par un sens aigu du devoir et de la discipline et soutenus par l’espoir de l’arrivée des secours, ils subissent de lourdes pertes. Plus de la moitié de l’effectif est tué ou meurt de ses blessures, dont presque tous les cadres. Faits prisonniers, les survivants sont échangés quelques semaines plus tard. Les Mexicains comptent 2 à 300 morts.
L’analyse tactique et stratégique de l’épisode souligne les faiblesses initiales qui ont préfiguré le combat. La négligence du commandement supérieur envers le renseignement et les mesures de sécurité est un signe caractéristique du dédain mal placé des professionnels de la guerre en Europe envers un adversaire mexicain jugé peu redoutable. Si le petit fait d’armes de Camerone est une défaite tactique évidente, il n’en permet pas moins un succès stratégique : l’acheminement à bon port du convoi de siège dont la 3e compagnie reconnaissait l’itinéraire. Son arrivée rend possible la prise de la ville de Puebla, ouvrant à l’armée expéditionnaire française la route de Mexico.
…À la mémoire
L’enracinement de Camerone au centre de l’identité légionnaire est beaucoup plus lent et tardif que ne le supposerait le profane. Il suit le fil de la lente idéalisation progressive d’un moment culte. Estompant et exagérant la portée de l’action réelle accomplie par les combattants de 1863, le récit héroïsé de l’engagement devient la référence mémorielle du corps d’élite, et par extension le symbole du sacrifice militaire. Son émergence du riche patrimoine des exploits légionnaires s’effectue entre les deux guerres mondiales, et prend un élan décisif à partir de la commémoration du premier centenaire de la création de la Légion. L’existence d’une relique explique sans doute la sacralisation militaire de Camerone, fondée sur le pouvoir des traditions. La présentation de la main articulée du capitaine Danjou devient le rite central de la prise d’armes organisée à chaque anniversaire du 30 avril à partir de 1938. Le développement de ce cérémonial commémoratif a été conçu par le commandement comme un outil de cohésion d’un corps en forte croissance.
Des cartes, un cahier iconographique, des références bibliographiques et un index éclairent et complètent utilement le sujet. Deux petits regrets perturbent cependant l’intérêt pris à la lecture de cette synthèse précise et très accessible au grand public. Ainsi, la réflexion sur la construction mémorielle de Camerone aurait sans doute gagné à prendre aussi en compte l’impact de l’iconographie (par exemple les tableaux assez fameux réalisés par les peintres d’histoire Jean-Adolphe Beaucé et Édouard Detaille, d’ailleurs reproduits dans le cahier d’illustrations). Plus net est le désagrément résultant des scories et petites erreurs matérielles qu’une relecture aurait permis d’effacer aisémentComme le nom du général de Lorencez écorché en Lorencz, les fluctuations d’identité de certains légionnaires (Paul ou Louis Morzycki ? Charles ou Jean-Dominique Schaffner ?), l’erreur sur l’officier protégé par le sacrifice du légionnaire Catteau (p.101) ou encore les coquilles des p.147 et 149..
© Guillaume Lévêque