CR par Stéphane Moronval,

Nées de la volonté de leur fondateur de publier des ouvrages centrés autour de Napoléon et de ses campagnes, les éditions Bernard Giovanangeli comptent aujourd’hui une petite centaine de titres. Si elle n’est plus exclusive, la place accordée dans le catalogue à la mémoire combattante (à travers la publication de nombreux récits d’acteurs, de témoins des événements) et aux études militaires reste prépondérante, avec tout de même une relative diversification des thèmes abordés : certes, les titres consacrés au Premier Empire demeurent nombreux (particulièrement par le biais des Editions du Grenadier, d’abord indépendantes, aujourd’hui réintégrées avec le titre de collection), mais B. Giovanangeli a parallèlement réorienté sa production vers les conflits du Second Empire et de 1914-1918.

L’initiative est heureuse : l’historiographie du Second Empire (1852-1870), longtemps délaissée, livrée aux hagiographes ou aux détracteurs, connaît en France depuis quelques années un profond renouvellement. Ce regain d’intérêt n’est pas sans rejaillir sur les aspects militaires du règne de Napoléon III, qui ont fait l’objet de publications relativement récentes, telles celles de F.Roth et P.Milza sur la guerre de 70, d’A. Gouttman sur les guerres de Crimée et du Mexique. Déjà producteur, en 2006, d’un bel ouvrage sur la guerre franco-allemande (1870 : les soldats et leurs batailles), coédité avec le Ministère de la Défense, Bernard Giovanangeli réitère donc aujourd’hui avec un album de même format qui embrasse l’ensemble des campagnes militaires menées par la France de Napoléon III. Rédigé par un collectif d’auteurs avec lesquels l’éditeur a pris l’habitude de collaborer, il traite successivement de celles-ci dans l’ordre chronologique, après une longue introduction sur « Napoléon III et sa politique » due à la plume de B.Giovanangeli lui-même.

Sur tous les continents

Audacieuse et personnelle, rendue possible par sa toute-puissance politique, appuyée sur une armée revigorée par son expérience africaine et le souvenir du Premier Empire et sur une flotte puissante, la politique étrangère de Napoléon III entraîne pendant 18 ans l’implication de la France dans une série de conflits et d’expéditions. Henri Ortholan, lieutenant-colonel, Saint-Cyrien ayant servi dans le génie avant de devenir conservateur au Musée de l’Armée, auteur de nombreux ouvrages (dont L’armée du Second Empire, 2010), revient sur deux des plus emblématiques d’entre eux. La Guerre de Crimée (p.34-57) est le premier conflit engagé par la France contre une autre grande puissance européenne (la Russie) depuis 1815. Eclatant à la suite d’une complexe querelle diplomatique bien rapportée par l’auteur, elle donne lieu de mars 1854 à octobre 1855 à une série d’opérations en Mer Noire, et particulièrement autour de Sébastopol, ainsi qu’à un épisode méconnu en Baltique, le siège de Bomarsund (relaté par Stéphane Faudais p.58-63). Son issue victorieuse, sanctionnée par le traité de Paris, consacre le retour de la France au premier plan en Europe. Trois ans plus tard, en vertu du principe des nationalités qu’il applique de façon purement idéologique, Napoléon III apporte son soutien au Piémont-Sardaigne contre l’Autriche. La campagne d’Italie qui s’ensuit (p.64-83) est marquée par les victoires de Magenta et Solférino, avant de connaître par la volonté de l’Empereur une fin précoce qui mécontente son allié. Néanmoins, l’Empire atteint là l’apogée de son prestige. Celui-ci est par ailleurs renforcé par une série de succès extra-européens. Walter Bruyère-Ostells, maître de conférences en histoire contemporaine à l’IEP d’Aix-en-Provence, traite de trois d’entre eux. En Algérie (p.14-27), Napoléon III poursuit la prise de possession inaugurée en 1830, par le biais d’opérations militaires (soumission du sud-algérien et de la Kabylie jusque 1857) et d’une politique d’intégration visionnaire, dont les manifestations, avec leur cortège d’avancées et d’échecs, sont clairement présentés par l’auteur. Au Sénégal (p.28-33), Protet et surtout Faidherbe (auquel succède Pinet-Laprade) renforcent de façon décisive la main-mise française. Sous mandat des puissances européennes, un corps expéditionnaire français intervient en 1860 pour pacifier un Liban déchiré par les heurts inter-communautaires (p.100-107). L’Extrême-Orient est aussi le théâtre de deux campagnes victorieuses relatées par Christophe Rollet. La volonté des Occidentaux de s’ouvrir le marché chinois débouche, cette même année 1860, sur un véritable intervention militaire franco-britannique qui débouche sur la prise de Pékin (p.84-91). Plus au sud, la protection des chrétiens molestés sert de prétexte à la prise de contrôle progressive (1858-1867) de la Cochinchine (p.92-99).
Là s’achève l’ère des succès : l’expédition du Mexique (1862-1867) donne encore lieu à de beaux faits d’armes, mais se clôt par un cinglant et coûteux échec politique ; Jean-François Lecaillon, docteur en histoire, revient (p.108-119) sur ce conflit auquel il a consacré une partie de ses recherches. La protection militaire apportée à l’Etat papal contre l’Italie (qu’il a contribué à réunifier) matérialisée sur la champ de bataille de Mentana en octobre 1867 (récit d’H.Ortholan, p.120-127) vient encore en témoigner : les ambiguïtés et les contradictions de la politique étrangère de Napoléon III sont réelles, et finissent par lui aliéner tout soutien des autres puissances européennes. Trois ans plus tard, la France se retrouve seule face aux Etats allemands auxquels elle a sottement déclaré la guerre. Eric Labayle rappelle (p.128-153) les prémisses et les péripéties des grandes batailles d’août-septembre 1870, qui entraînent l’effondrement de l’Empire.

Honneur au courage (finalement) malheureux

Avec Conflits du Second Empire, les éditions Bernard Giovanvangeli offrent donc un beau travail de vulgarisation sur un sujet qui reste méconnu du grand public. Le tableau tracé est globalement complet (n’y manquent que les prises de possession menées dans le Pacifique -particulièrement en Nouvelle-Calédonie-, peut-être pas mentionnées parce qu’essentiellement pacifiques). Même s’il ne peut fatalement aller très loin dans le détail des opérations, le propos des auteurs, enrichi de quelques citations (curieusement non attribuées), est assez dense, clair et accessible ; et le récit des faits militaires est généralement bien étayé par une analyse de l’arrière-plan politique qui les conditionne. Tout cela, comme la conclusion apportée à l’ouvrage par H.Ortholan (p.154-157), brosse à grands traits les caractéristiques de l’outil militaire utilisé par Napoléon III : une capacité d’intervention portée à l’échelle internationale, mais selon des objectifs qui resteront toujours relativement limités ; une troupe de réelle valeur, desservie par une pensée stratégique inexistante ou improvisée et une tactique qui reste sommaire.
Lisible car largement typographié, le texte de l’ouvrage est rehaussé par des illustrations de grand format et de grande qualité : reproductions de tableaux, certains très « classiques », d’autres beaucoup moins représentés (on appréciera par exemple de trouver, aux côtés de son incontournable représentation de l’affrontement de Montebello exposée au Musée de l’Armée, une autre œuvre de Philippoteaux consacré au volet « français » de la célèbre bataille de Balaklava), mais aussi nombreuses photos d’époque ; vu le caractère synthétique de certaines légendes, cela n’en fait que d’autant plus regretter l’absence d’une table des illustrations similaire à celle figurant dans le précédent ouvrage consacré à la guerre de 1870-71. Par ailleurs, une ou deux cartes permettent, pour chaque campagne, de mieux localiser les événements.

Complété par une bibliographie des ouvrages francophones parus sur le sujet, l’album permettra donc une très bonne approche d’une période faste et charnière de l’histoire militaire française.

Stéphane Moronval Copyright Clionautes.