Gabriel WACKERMANN (ouvrage collectif sous la direction de), « Canada, Etats-Unis, Mexique», Ellipses Edition Marketing S.A. Paris, 2012, 447 pages

Compte rendu par Jacques MUNIGA

Compte rendu par Jacques MUNIGA

Pas moins de vingt-trois auteurs, et des plus connus, ont participé à cet ouvrage collectif dans la collection « concours du CAPES et de l’AGREGATION ».

Un livre qui a l’ambition de constituer un « cours complet » sur la question. Mais un livre qui présente également de nombreuses dissertations illustrées de cartes et de croquis nous dit-on. Un outil « indispensable » pour les candidats et le formateur à ces concours mais probablement aussi pour les enseignants du secondaire qui souhaitent mettre leurs connaissances à jour.

Il est vrai que la table des matières est impressionnante, bien structurée. Les auteurs s’interrogent sur l’entité de l’Amérique du Nord avant de passer à la question démographique et sociale puis à celle de l’environnement sans omettre de s’intéresser à celle de l’urbanisation et de la structuration des transports. Enfin, changeant d’échelle, les auteurs traitent de l’ALENA pour finir sur la question de l’Amérique du Nord face à l’extérieur.

Un très beau programme qui, en plus, comprend sept dissertations entièrement traitées avec, parfois ce que nos sommes tentés de nommer des illustrations. Nous nous en expliquons.

Hormis l’apport scientifique apporté par cet ouvrage et sur lequel nous reviendrons, il faut souligner l’incohérence de ce qui est annoncé, tant sur la couverture que dans le résumé à savoir : un cours complet et des dissertations, largement illustrées de cartes et croquis ». En feuilletant rapidement le livre, le lecteur aura très vite compris que la virgule placée après dissertation est judicieuse parce qu’effectivement nombreuses sont les dissertations sans croquis ni cartes (ce que le candidat au concours aurait certainement souhaité).
Mais au-delà, il n’y a aucune table des cartes, des croquis ou autres tableaux ce qui constitue assurément un manque pour ce type d’ouvrage qui se veut être un outil !

Et bien plus encore, à l’heure où chacun insiste sur l’importance des schémas et croquis en géographie, on note avec regret que sur les sept dissertations, deux seulement proposent un croquis. Trois ne proposent aucune « illustration » et pourtant, avec des sujets comme « métropolisation des villes états-uniennes et mondialisation » il y avait de quoi faire ! Enfin, une dissertation intitulée « les perspectives de l’Amérique du Nord : une ‘Mexamérica’ ? » nous est agrémentée de deux graphiques, l’un circulaire et l’autre en barre. On est en droit de se demander comment un candidat au concours pourrait les reproduire dans le temps imparti ?

Quant aux deux croquis, l’un concerne la dissertation « les Etats-Unis et le pétrole » (page 70). Le lecteur se rendra très vite compte qu’il ne s’agit que d’une carte faite à la main répertoriant les principaux gisements d’hydrocarbures, les principaux ports pétroliers, les principaux centres de raffinages etc. Quel dommage alors que la première partie de la dissertation annonce : « les Etats-Unis dont les compagnies pétrolières sont puissantes sont à la fois un producteur important de pétrole ainsi que des importateurs majeurs avec une forte influence sur leur propre espace. ». Et que dire de la troisième partie de la dissertation intitulée : « Le pétrole est devenu aujourd’hui l’une de leurs préoccupations géopolitiques majeures et l’une des clés de leur stratégie internationale », un schéma au moins à défaut de croquis s’imposait !
Pour le deuxième croquis, le lecteur découvre une légende bien hiérarchisée avec trois parties comprenant chacune deux sous parties. Mais il sera effrayé par le nombre de figurés : quatre figurés de surface (dont deux en hachures !) ; quatre figurés linéaires ; sept figurés ponctuels et sept figurés de flèches ! Et le tout pour un résultat graphique des plus médiocres !

Sur ce point il faut le déplorer car, au vu de la qualité et de la renommée des auteurs, le lecteur était en droit d’attendre des illustrations géographiques digne de ce nom. Comment peut-on, avec de tels exemples « briller » au concours ?

Nonobstant ce qui vient d’être dénoncé, il n’en demeure pas moins que l’ouvrage, lui, brille par ses qualités scientifiques indubitables.
Dès l’introduction, Gabriel Wackermann renouvelle la question lorsqu’il nous dit que l’adjectif « américain » a depuis longtemps remplacé le terme « États-Unis ». Une équivoque qui d’après lui se serait ancrée dans l’usage et les mentalités entre les notions d’Amérique du Nord et d’Amérique ou de puissance américaine. Il affirme même que les Etats-Unis se sont autodéclarés ‘l’Amérique’ et qu’ils revendiquent être le seul pouvoir politique à avoir le droit de décider au nom de l’Amérique toute entière. Mais nous dit l’auteur, « le monde a cessé de fonctionner ‘à l’heure américaine’. Les pays nantis doivent impérativement composer avec les grands émergeants, comme ceux-ci ont dû le faire précédemment avec le dollar et la livre sterling ». Si tous les pays du monde, même la Chine, ont peu ou prou adopté l’économie de marché de type américain, beaucoup ont été pris au piège de cette imitation et ont subi, par ricochet, les effets de la crise.

C’est sous cet angle que Gabriel Wackermann s’interroge dans la première partie de l’ouvrage : l’Amérique du Nord est-elle une entité ?
L’auteur analyse un espace qu’il qualifie de ‘fort diversifié et complexe’ qui s’étend du Nord Canada jusqu’au Sud du Mexique et sur lequel la pression ‘Nord anglo-saxon’ s’exerce fortement. Il nous précise d’ailleurs que cette ‘configuration territoriale’ est une création ex-nihilo de la puissance des Etats-Unis « elle-même déclencheuse d’une trajectoire mondiale dès lors que son économie est devenue la première du globe ». Ce qui amène Gabriel Wackermann à nous présenter « le concept et son évolution » en quelques pages bien documentées.
Une introduction que Michel Mazet poursuit en traitant de « l’Amérique du Nord : construction des territoires et des grandes aires culturelles » où l’on découvre une organisation géoéconomique centrée autour des Etats-Unis. Puis, Evelyne Gauche analyse la diversité et les changements dans les espaces ruraux nord-américains. Elle nous présente ce géant agricole avec ses évolutions successives qui, selon elle, l’ont amené au statut de « carrefour entre nord et sud ».
Enfin reprenant l’essentiel des données de ces chapitres (cours) précédents, Michel Nazet tente une dissertation sur le sujet « Unité et diversité de l’Amérique du Nord ». Cet exercice débute avec « une question de méthode » qu’il faut saluer. Mais c’est une dissertation qui, nous l’avons déjà évoqué plus en avant, ne propose aucun schéma ni croquis. Et pourtant !

Et cette première partie se poursuit avec un chapitre écrit par Gabriel Wackermann sur le « poids des Etats-Unis ». Un poids qui s’apparente davantage à la puissance, terme qui n’est utilisé que dans la quatrième partie de l’exposé. Et, dans la sixième l’auteur évoque « la domination » ce qui sous-tend donc une forme de puissance. Alors, renouvellement de vocabulaire plus que de données ? Probablement. Il n’en demeure pas moins que ces quelques pages se révèlent être une synthèse de qualité. Et, Michel Nazet, sur le même modèle que précédemment décrit, tente une deuxième dissertation sur le sujet « Les Etats-Unis et le pétrole » dont nous avons déjà souligné la pauvreté de « l’illustration ».
Enfin, Gabriel Wackermann termine cette première partie par un exposé intitulé « l’américanisation ». Des pages très intéressantes qui renouvellent le point de vue sur la question notamment lorsque l’auteur écrit : « l’américanisme est, en effet, l’expression même de structures socio-économiques, donc aussi culturelles et géopolitiques, fondées sur l’idéologie d’un marché nécessairement pervers parce qu’orienté vers le profit devenu hautement spéculatif destructeur de l’essentiel des valeurs à vocation humaine ».

Outre la pertinence de cette approche, on notera la présence, hors texte, d’encarts citant des articles ou des extraits de livres. Et, il faut souligner qu’à la fin de chaque chapitre, les auteurs proposent une orientation bibliographique riche et variée dans laquelle le lecteur pourra puiser pour poursuivre l’approfondissement de la question.

Dans une deuxième partie assez classique, les auteurs nous présentent « la question démographique et sociale en Amérique du Nord ». Du peuplement aux évolutions géodémographiques, avec des données renouvelées à grand renfort de tableaux et de graphiques en tout genre, Gabriel Wackermann et Gérard-François Dumont nous offrent une synthèse complète et riche. Synthèse qui débouche sur une dissertation présentée par Gérard-François Dumont sur le sujet « les perspectives de l’Amérique du Nord : une ‘Mexamérica’ » selon le même procédé précédemment décrit. Une dissertation, nous l’avons déjà souligné plus en avant, accompagnée de deux graphiques, l’un en barres et l’autre circulaire. Quel étudiant pourra suivre cet exemple ? Aucun ! Alors pourquoi ne pas avoir proposé une dissertation « modèle » ?

Puis, Philippe Haeringer, sous le titre « une découverte de la mégalopole américaine (1955-2010) » nous soumet une série de textes construits sur la trame de souvenirs. Présentation originale qui pourra sans nul doute servir l’enseignant pour une approche différente de la mégalopole, vivante et variée. Et enfin, avec une courte synthèse, David Giband nous présente « pauvretés et inégalités en Amérique du Nord : enjeux et défis autour de la question sociale ». Beaucoup trop bref, ce chapitre renvoie vers l’ouvrage écrit par l’auteur lui-même aux Editions Ellipses « Géographie sociale des Etats-Unis ».

La troisième partie toujours introduite par Gabriel Wackermann s’intitule « La question environnementale en Amérique du Nord : milieux naturels et humains ». Devenue incontournable ces dernières années, la question environnementale, trop longtemps négligée, occupe ici une place de choix. Quand Stéphane Héritier présente « les parcs nationaux en Amérique du Nord : enjeux territoriaux » avec une impressionnante orientation bibliographique (plus d’une cinquantaine de référence pour seulement dix-neuf pages de synthèse !), Pierre Angelelli et Pascal Saffache nous proposent « la gestion intégrée des zones côtières : l’exemple des îles antillaises anglophones » avec la même cascade de références bibliographiques.
Puis, Jean-Pierre Husson et Denis Mathis nous présentent respectivement « les territoires de faible densité en Amérique du Nord » et « les répercussions de l’évolution des systèmes et des paysages agraires sur l’environnement et l’économie agricole » quand Jean-Pierre Paulet traite des « territoires nordiques du Canada ». Des synthèses courtes, renouvelées avec une orientation bibliographique « honnête », sans excès.

La quatrième partie toujours introduite par Gabriel Wackermann s’intitule « urbanisation et structuration des transports ». Un angle classique pourrait-on dire. Et pourtant non. Dès le premier chapitre, Gérald Billard nous propose une synthèse : « vers l’achèvement du processus de métropolisation en Amérique du Nord ? ». Un titre qui ne doit pas être trompeur. Il ne s’agit pas d’un frein à l’urbanisation puisque l’auteur nous dit que cet espace entame « une entrée dans l’ère de la mégalopolisation ». Il y aurait donc des espaces de plus en plus étendus que Jacques Chevalier analyse sous le titre de « des villes sous tensions ». Des villes dans lesquelles, compte tenu de leur étalement, tous les risques sont présents et amplifiés, qu’ils soient de caractère sociétal, environnemental ou liés aux risques technologiques. Des villes américaines démesurées qui sont décryptées par Franck Chignier-Riboulon. Quant à Jean-Pierre Paulet, il s’intéresse davantage aux banlieues qui marqueraient nous dit-il, la fin d’une époque avant de nous proposer dans un deuxième chapitre une analyse approfondie sur « les villes canadiennes et le système urbain ». Puis, à travers deux derniers chapitres, Jérôme Verny et Jacques Marcadon nous présentent respectivement « le rôle structurant des transports et de la logistique dans l’ALENA » et « l’Amérique du Nord, le transport maritime et l’activité portuaire ». Tous deux apportent des éléments nouveaux sur une question déjà ancienne à savoir la maîtrise de ce vaste espace par la structuration des moyens de communications. On pourra simplement regretter que la dissertation accompagnant cette partie, intitulée « métropolisation des villes états-uniennes et mondialisation », ne soit illustrée ni de schémas ni d’un croquis. Et pourtant !

La cinquième partie intitulée « ALENA et diversités étatiques » nous dresse un tableau de l’hétérogénéité de cet espace. Puis, Anthony Tchekemian et Thomas Pitaud nous proposent un chapitre sur « l’agriculture états-unienne et ses mécanismes de soutien. L’exemple du coton » suivi par Christian Montès avec son chapitre « désindustrialisation et essor du tertiaire aux États-Unis : les mutations de la géographie économique. Deux synthèses qui ne déméritent pas mais dont on a du mal à cerner la relation directe avec l’ALENA. Il faudra donc comprendre qu’au sein de l’ALENA il y a des diversités qui sont ici analysées. Certes, mais on aurait davantage été en droit d’attendre un changement d’échelle ! Le dernier chapitre de cette partie que nous présente Michel Nazet sous le titre « le Mexique contemporain : itinéraire historique et économique d’un rattachement de l’Amérique du Nord » se fonde, nous semble-t-il, plus dans la logique attendue de changement d’échelle. Ce qui pourrait ravir le lecteur si la partie ne s’achevait pas sur cette dissertation « le Mexique reste-t-il un état sous influence ? » sans schémas ni croquis ! Et pourtant !

Et pour finir, la sixième partie semble véritablement prendre le parti du changement d’échelle puisqu’elle s’intitule « l’Amérique du Nord face à l’extérieur ».
Effectivement, le lecteur, ici, n’est pas en reste puisque plusieurs angles d’attaques de la question nous offrent des synthèses de qualité aux titres accrocheurs comme « la place de l’Amérique du Nord dans la géoéconomie mondiale » par Michel Battiau ou « regards géopolitiques de l’Amérique du Nord sur l’Europe d’Alain Joyeux.

En conclusion, nous avons avec cet ouvrage de 447 pages, une vue complète et renouvelée sur la question. N’oublions pas qu’il s’adresse en particulier aux étudiants et formateurs préparant le CAPES et l’AGREGATION mais aussi aux enseignants soucieux « d’être à jour ». L’ouvrage a donc sous cet aspect atteint son but. Et pourtant !

A l’heure où la géographie reste encore la mal-aimée dans nos écoles, à l’heure où toutes les directives imposent (à juste titre) des schémas et des croquis, comment peut-on accepter qu’un tel ouvrage en soit dépourvu ? Comment comprendre ces maladroites illustrations qui ne respectent pas le minimum de la sémiologie graphique ? Comment peut-on, ici, donner le goût de la géographie à des étudiants qui devront l’enseigner à des élèves du secondaire ? A l’heure de l’internet, de google-maps, la géographie s’inscrit dans l’espace réel que l’on peut traduire avec des schémas et des croquis. Une expression graphique qui ne remplace pas l’écrit mais qui l’accompagne !