François de Lannoy, rédacteur adjoint de la revue Moyen Âge vient de publier Carcassonne, hier et aujourd’hui. Ce livre, centré sur la restauration de la Cité, s’appuie sur la mise en relation de photographies anciennes, issues des Archives départementales de l’Aude, avec des photographies récentes, pour montrer les différentes étapes de la restauration. Il s’attache aussi à faire comprendre les choix et enjeux de la restauration, en évoquant les polémiques autour de la couverture des toits des tours, de la reconstitution du Pont levis de la porte Narbonnaise etc. Cet ouvrage clair et pédagogique, abondamment illustré, est accessible à tous.

L’auteur : historien et journaliste

François de Lannoy, est l’auteur d’une thèse d’histoire sur L’administration préfectorale de la Manche sous le Consulat et l’Empire dirigée par Jean Tulard et soutenue en 1992. Rédacteur en chef adjoint des magazines Moyen Âge et 39/45 des éditions Heimdal, il a publié de nombreux articles sur le Moyen Âge, l’Empire et la Seconde guerre mondiale. Habitant à une heure de Carcassonne il s’est naturellement intéressé à la capitale audoise et son histoire. Après avoir publié La Cité de Carcassonne (2004) et Forteresses en Pays cathare (2005) aux éditions Heimdal, il vient de publier aux éditions Ouest France une petite monographie sur La Croisade albigeoise et le Carcassonne Hier et aujourd’hui.

Confronter des images anciennes et contemporaines

Carcassonne Hier et aujourd’hui se présente comme le premier ouvrage d’une nouvelle collection dont le principe est de confronter des images anciennes et contemporaines des mêmes lieux. Un principe déjà mis en œuvre par d’autres éditeurs et qui se révèle très pédagogique. Les Guides conférenciers de la Cité de Carcassonne font usage de ce même principe sur les tablettes numériques qu’ils montrent aux visiteurs.
Ce principe est mis au service d’un objectif expliqué ainsi dans l’avant-propos : «Chaque année la Cité de Carcassonne est parcourue par une multitude de visiteurs, venus parfois de très loin pour admirer le plus bel ensemble de fortifications antiques et médiévales conservées en Europe. Devant la beauté de cet ensemble dans un état de conservation exceptionnel, ces visiteurs peuvent s’interroger sur ce qui appartient réellement aux périodes anciennes ou aux restaurations-reconstitutions effectuées sur le monument depuis le milieu du XIXe siècle. L’objectif de cet ouvrage est d’essayer de répondre à cette question en retraçant l’histoire de la restauration de la Cité par Viollet-le-Duc et ses successeurs et en évoquant les polémiques et les interrogations que ces interventions suscitèrent jusqu’à une période assez récente. (…) des photos comparatives montreront les différents éléments des fortifications avant et après les restaurations (sans oublier les « dérestaurations » du XXe siècle.)»

Un ouvrage centré sur la restauration de la Cité

De fait l’ouvrage est centré sur la restauration de la Cité et n’aborde donc pas la ville basse (souvent oubliée des visiteurs comme des livres) et ne développe qu’un aspect de l’histoire de la ville.
L’introduction trace en grandes lignes l’histoire de la ville depuis l’Antiquité. Elle est illustrée par la vue perspective de la ville en 1462, qui, comme le rappelle François de Lannoy, aura une influence déterminante sur le choix des restaurateurs. Si cette image est bien connue des spécialistes elle est rarement reproduite et donc peu connue du grand public. Sa place dans ce livre est donc tout à fait judicieuse. (En marge de ce compte-rendu on peut s’étonner à ce propos que cette image n’ait fait l’objet d’aucune étude critique : elle est utilisée comme une représentation fidèle de la réalité du XVe siècle, notamment par les archéologues et dessinateurs de bandes dessinées. Mais un examen plus poussé montre qu’elle n’est pas aussi fiable : le dessinateur n’a pas dessiné l’abbaye Notre Dame, n’a représenté que 8 des 14 arches du Pont vieux…)

Les restaurateurs et les exclus de la Cité

Le chapitre suivant : Le renouveau de la Cité : les précurseurs, met en valeur le rôle déterminant de Jean-Pierre Cros-Mayrevieille, un érudit local, dans la sauvegarde et l’étude de la Cité. François de Lannoy s’appuie ici sur plusieurs publications récentes cités en bibliographie. Vient ensuite Viollet-le-Duc restaure la Cité (1844-1879) qui nous livre une chronologie très précise des travaux du célèbre architecte. Dans Les successeurs de Viollet-le-Duc l’auteur décrit l’achèvement de la restauration par Boeswillwald, un élève de Viollet-le-Duc souvent oublié. Un chapitre est consacré ensuite au dégagement des lices, en marge des restaurations. Depuis le XVe siècle l’espace entre les deux enceintes a fait l’objet d’aliénations par les domaines. Un véritable quartier s’est donc développé, appuyé sur les deux enceintes et encore habité au XIXe siècle par une population très pauvre de tisserands. L’élimination de ces maisons est décidée à la fois pour mettre en valeur les fortifications, souvent mutilées par divers aménagements privés et pour se débarrasser d’habitations insalubres. Les photographies permettent de mesurer l’avancement des travaux de démolition. De ce quartier disparu ne subsiste que le pavement de la rue qui vient d’être restauré en 2013.

Enjeux et polémiques autour d’une restauration

Les deux derniers chapitres sont consacrés aux polémiques nées autour de la restauration. Certains romantiques préfèrent les ruines aux restaurations qualifiées par Taine de décors d’opéra. Des érudits locaux tel Jean-Pierre Cros-Mayrevieille évincé par Viollet-le-Duc, portent un regard critique sur les choix archéologiques de l’architecte. On reproche surtout aux restaurateurs d’avoir couvert les tours d’ardoise, donnant une allure peu méridionale à la Cité. Pourtant les études historiques et archéologiques confirment l’utilisation de l’ardoise, comme de la tuile plate, de la tuile canal et de la lauze, dans la Cité au Moyen Âge. Ces polémiques conduisent à des dérestaurations, pas toujours justifiées, et au remplacement sur certaines tours de l’ardoise par de la tuile canal ou de la tuile bourguignonne. La diversité actuelle des toitures est peut-être plus conforme aux divers états que la Cité a connu au cours de l’histoire cependant, conclut François de la Lannoy, « depuis le classement des fortifications au patrimoine mondial de l’Unesco dans l’état imaginé par Viollet-le-Duc, cette diversité est susceptible d’être mise en cause. » Cet exposé des polémiques permet plus généralement aux lecteurs de mieux comprendre, à travers l’exemple de Carcassonne, les enjeux et les choix des restaurateurs. Car restaurer ce n’est pas seulement préserver ou reconstituer mais aussi détruire, en privilégiant une époque sur une autre.

En conclusion

Au total le livre de François de Lannoy, clair et bien illustré, accessible à tout public, se révèle d’un grand intérêt pédagogique. On regrettera cependant que le format de l’ouvrage (19,5 x 19,5 cm) soit un peu petit : certaines photographies auraient méritées d’être publiées dans un format plus grand. On regrettera aussi que l’auteur n’ait utilisé qu’un seul fonds de photographies anciennes, celui des Archives de l’Aude, alors qu’il en existe plusieurs autres tout à fait complémentaires. On regrettera enfin l’absence de plan où les différentes phases de la restauration ainsi que les noms des différents édifices auraient pu être positionnés.
Gauthier Langlois, 26 mai 2013.

  • Pour en savoir plus : un petit complément sur la restauration de la Porte Narbonnaise et ses abords sur le site Paratge.