Une histoire de crânes, sorcières, croisés, paysans, prisonniers, soldats, ouvrières, militants, touristes et brebis…
Présentation
Philippe Artières, né en 1968, est un historien français, directeur de recherche au CNRS. Il soutient en 1996 une thèse sur la médicalisation des écritures ordinaires au XIXe siècle, sous la direction de Michelle Perrot. Depuis, il développe des recherches diverses, croisant la philosophie, la littérature, l’anthropologie criminelle, en suivant deux axes distincts : les fonctions sociales des archives dans nos sociétés contemporaines et l’écriture de l’histoire. Il envisage les archives comme un objet d’étude à part entière, utilisant l’expression « archives mineures » pour qualifier les archives qui relèvent de la vie ordinaire. D’autre part, il explore les différentes formes d’écriture de l’histoire en questionnant le rapport entre le récit historique et la littérature. Son œuvre s’articule notamment autour d’écrits criminels et il publie à ce sujet de nombreux ouvrages dont Le Livre des vies coupables : Autobiographies de criminels (1896-1909) en 2000. Philippe Artières travaille beaucoup avec d’autres chercheurs en sciences sociales et il fonde, avec le sociologue Jérôme Denis et l’anthropologue David Pontille, le site Scritopolis, qui regroupe des « petites enquêtes sur l’écrit et ses mondes ». Une figure majeure de son travail est Michel Foucault sur qui il écrit de nombreux ouvrages, dont Le Groupe d’information sur les prisons : archives d’une lutte, 1970-1972, qui rassemble des informations sur ce mouvement d’action et d’information initié par le philosophe. Artières est également président du Centre Michel Foucault depuis 1995, et parallèlement à son travail de recherche, il intègre le Conseil National du Sida et co-fonde l’association Sida-Mémoires. En 2013, alors qu’il est pensionnaire à la Villa Médicis, il publie Vie et mort de Paul Gény, sur l’histoire de son aïeul philosophe jésuite, assassiné à Rome en 1925. Parmi ses principaux ouvrages se trouvent également, en collaboration avec Michelle Zancarini-Fournel et écrit en 2008, 68, une histoire collective (1962-1981), Le dossier sauvage, paru en 2019, et, en 2021, Le Peuple du Larzac. Une histoire de crânes, sorcières, croisés, paysans, prisonniers, soldats, ouvrières, militants, touristes et brebis…
Dans Le Peuple du Larzac, Philippe Artières part des événements de 1971, moment de contestation d’une centaine de paysans face au projet d’extension d’un camp militaire, pour faire l’histoire généalogique du plateau du Larzac. Ce dernier devient, avec le mouvement des agriculteurs, un symbole de résistance face à l’arbitraire politique. Artières retrace l’histoire entière du causse depuis les premiers peuplements, et met en relation les événements passés à celui de la révolte paysanne pour montrer que le Larzac fut, tout au long de son histoire, un lieu d’invention collective d’une vie en communauté, libre, solidaire et égalitaire. L’historien procède de manière chronologique mais ne cesse de faire référence à la lutte de 1971, ce qui demande des interruptions régulières pour expliquer la façon dont les contestations agricoles s’appuient sur l’histoire plus ou moins ancienne du Larzac. Il ordonne ainsi son ouvrage en six grandes parties, allant des origines, depuis quatre millénaires, aux événements les plus récents en passant par les trois figures les plus célèbres du plateau, les Templiers, le pastoralisme et la lutte contre l’extension du camp militaire. Chaque partie annonce une idée argumentée et illustrée par des chapitres. Pour amener ses exemples, l’auteur mobilise des études menées par des chercheurs, des travaux dans plusieurs domaines scientifiques, mais également des ouvrages littéraires, ce qu’il trouve dans les archives, recueils, témoignages, photographies, documents iconographiques. Il s’est donc appuyé sur les recherches préalables sur le Larzac, notamment celles de Pierre-Marie Terral, ainsi que sur les Archives de l’association d’aménagement du Larzac, La Main Chaude, conservées aux archives départementales de Millau. À L’exception de l’anthropologue Jean-Luc Bonniol qui interroge la façon dont le passé du Larzac est utilisé dans le présent, Philippe Artières est le seul à mettre en relation les études des différentes époques du peuple larzaçois.
Résumé
Dans l’ouverture, l’historien explique qu’il s’est aventuré à écrire l’histoire du Larzac depuis quatre millénaires, à la fois pour son attachement personnel au plateau et pour sa place majeure dans un contexte mondial de lutte. Si, aujourd’hui, le Larzac est le nom d’une lutte menée par des agriculteurs, il est doté d’un caractère contestataire plus large et son peuple, loin d’avoir une identité figée, n’est pas réductible à la mobilisation politique dont il fut le théâtre. L’auteur construit son histoire à partir de travaux interdisciplinaires, allant de l’archéologie à l’ethnologie, passant par l’historiographie contemporaine. Cet agencement d’études diverses permet de défendre la thèse de l’historien selon laquelle le Larzac est un laboratoire où se sont inventées des vies collectives, faisant interagir humains, animaux, végétaux, objets et gestes.
Dans une première partie, l’auteur envisage le Larzac à sa surface, là où son histoire commence. Il retrace ses caractéristiques paysagères, comme ses nombreuses couleurs et sa place centrale à l’intersection de cinq rivières. Il observe la morphologie et liste les érosions successives pour expliquer la façon dont s’est formé le sol, puis se penche sur les végétaux du causse. Le Larzac est en premier lieu l’invention des hommes, sans lesquels le décor n’y aurait pas été si désertique. Un premier lieu d’habitation et d’exploitation de matières premières du Paléolithique moyen est découvert, l’abri des Canalettes, où se trouvaient deux types de combustible, le bois et le lignite, ce dernier utilisé pour ses avantages qu’avaient repéré les hommes. Il y a donc une forme d’autonomie du Larzac dès la préhistoire, où les populations sont une première illustration de la gestion différenciée et non contrainte des combustibles, technique développée selon leurs besoins. Les trouvailles d’une nécropole abritant 500 tombes du IIe siècle supposent la présence d’une magie féminine à cette époque, puisque dans une des tombes se trouve un texte surnommé « le plomb magique du Larzac » qui offre une liste de noms et est considéré comme l’une des premières archives féminines abritées dans une sépulture. Le peuple du Larzac serait issu d’un métissage entre les Celtes et les Ligures, deux peuples opposés, ce qui rejoint l’idée que personne n’est originaire du Larzac mais qu’on y est toujours venus d’ailleurs. De plus, la trouvaille de quatre menhirs représentant des divinités relie le Larzac à d’autres espaces d’Europe, des statues similaires ayant été trouvées aux environs de Munich. Les premiers hommes dont les archéologues esquissent le portrait physique sont ceux d’une population des Treilles présente à partir de 2500 avant notre ère, qui témoigne de l’entrée dans le pastoralisme en représentant l’agencement humain et animal sur le modèle du troupeau. L’histoire du Larzac est amorcée et, depuis ses origines, le peuple y est autonome et s’inscrit dans l’histoire préhistorique européenne.
La deuxième partie aborde l’arrivée romaine et le développement de la vie collective. De nouveaux protagonistes sont sur le causse, à commencer par l’Empire romain qui s’y est établi malgré une forte résistance. La découverte de graffites informe de l’utilisation des langues latine et gauloise, et de l’ampleur de la production de poteries très demandées. Avec cette fabrique et ses potiers, le Larzac entre dans l’histoire mondiale en exportant dans tout l’Empire. L’auteur fait ensuite un saut dans le temps de deux millénaires jusqu’à l’arrivée des Templiers sur le Larzac. Au XIIe siècle, l’implantation de l’Ordre de la Milice du Temple se fait à Sainte-Eulalie et les occupants obtiennent de plus en plus de pouvoir, ce qui est entièrement lié aux épisodes historiques ayant eu lieu de l’autre côté de la Méditerranée. Ces pèlerins structurent la vie du causse et concentrent les pouvoirs économiques à la commanderie de sainte Eulalie, notamment avec le développement d’une activité fromagère et la construction des principaux villages. Cet ordre prend fin au XIVe siècle mais son œuvre a une grande importance dans son évolution, après celle des Romains, et est fortifiée par les Hospitaliers dont il est ensuite question, avec l’ordre charitable créé par Gérard de Martigues à Jérusalem. Dans le contexte des guerres de religions, le Larzac catholique est attaqué par des protestants, les « Parpaillots », qui montent un siège dans La Cavalerie et commettent des crimes dans les villages alentours. Cependant le Larzac catholique ne cède pas et ce motif a été repris lors de la lutte de 1971 pour défendre l’idée que le Larzac est un territoire de paix et non de guerre. Après cette résistance catholique, les Hospitaliers ont prospéré dans la paix jusqu’à la Révolution française. Le chercheur évoque enfin « la vie pauvre », qui était majoritaire sur le Larzac, puisque malgré les implantations des Hospitaliers et de paroisses, la plupart des habitants payent difficilement l’impôt royal et la population connait une grande classe prolétaire cultivant la terre. Cependant le Larzac est préservé de cette très grande pauvreté grâce à des espaces communaux qui le rendent attirant et font de lui une terre d’immigration.
La troisième partie pose la question des rapports de force et de l’organisation par la vie pastorale, les brebis étant des actrices importantes dans l’évolution des terres et faisant partie de la lutte, comme le rappelle la photographie du 25 octobre 1972 montrant un troupeau aux pieds de la Tour Eiffel. Elles survivent depuis des millénaires à de nombreuses maladies, freinées par la découverte en 1881 du vaccin contre la « fièvre charbonneuse » par Pasteur, ainsi qu’aux loups grâce au berger. Au XIXe siècle, la race de la Lacaune est celle qui répond le mieux aux conditions du Larzac. Ces brebis ont toujours été sédentaires, leur vie sur le Larzac est rude, entre promiscuité, reproduction imposée, circulation limitée et spoliation de leur lait. Avec la création de laiteries en 1877, tout un réseau de fromageries se forme, entrainant la mécanisation du travail, formant un véritable trust à la tête du Roquefort en 1911, société qui témoigne du développement d’une gestion capitaliste, amorcée par l’élevage intensif de brebis. En 1925, avec la première loi sur l’Appellation d’Origine Protégée, le prix et la consommation du fromage augmentent dans toute l’Europe avec l’arrivée du chemin de fer, l’Amérique du Nord en devient le premier importateur. Ce sont des femmes qui trient les fromages à leur arrivée dans les caves de Roquefort et elles sont victorieuses d’une célèbre grève aux revendications de meilleures conditions de travail en 1907. L’idée d’un syndicat pour faire face aux patrons est initiée par la militante Antoinette Cauvin et voit le jour rapidement. De plus, l’industrie du Roquefort laisse des peaux de nombreux agneaux tués, ce qui constitue l’industrie gantière que Philippe Artières mentionne ensuite. Dans les années 1930, la main-d’œuvre est majoritairement féminine et l’industrie de gants occupe la deuxième place en France en termes d’employés. Les gants sont très à la mode et exportés dans l’Europe jusqu’à ce que le marché chute en 1935 à cause de l’augmentation des prix des barrières douanières.
Dans une quatrième partie, Philippe Artières aborde le temps des camps, pendant lequel une partie des habitants du Larzac deviennent des prisonniers. Une société disciplinaire est mise en place en 1856 avec l’ouverture de la colonie de Luc sur la commune isolée de Campestre dans le but d’un « redressement de l’enfance irrégulière », soit une détention de mineurs. Cette colonie apparaissait comme une structure modèle mais les conditions de vie y sont extrêmes comme en témoigne l’ouvrage L’enfance dans les fers de Lucien Boissy. Les enfants y sont entassés dans des dortoirs, avec de nombreuses maladies contagieuses, leur travail est dangereux et certains instituteurs ont des comportements obscènes. En 1902, à La Cavalerie, un camp d’entrainement militaire est inauguré et érigé en vitrine pendant la Première Guerre mondiale par le gouvernement et l’armée, renvoyant une image de soldats instruits et obéissants. Le 22 juillet 1929, des individus plantent un drapeau sur lequel est écrit « À bas la guerre. Ouvriers et soldats fraternisez », et encouragent les soldats à se révolter contre l’ordre militaire. Le Larzac devient alors le théâtre de plusieurs rebellions, le lieu d’une prise de conscience, également le lieu de refuge de nombreux Espagnols qui fuient la guerre civile. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le Larzac est bien moins choisi par la résistance que le sont ses terres voisines, et est même le lieu en 1942 d’une des premières rafles anti-juives. Après la capitulation allemande, le camp devient un lieu de « dénazification » et garde des prisonniers militaires allemands. Puis, en 1959, dans un contexte de lutte pour l’indépendance de l’Algérie, le camp devient un lieu d’enfermement des Algériens français, répartis selon leur dangerosité supposée, et rassemble rapidement 3 750 prisonniers. Mais le FLN prend le contrôle des bâtiments dès 1959 et y mène des actions de plus en plus puissantes. À l’été 1961, les tensions entre les autorités françaises et les internés sont en hausse, ce à quoi s’ajoutent les actions d’habitants des métropoles. Cet internement des Algériens fait connaitre le camp, ainsi que l’arbitraire qui y est pratiqué, ce qui fait venir de nouveaux acteurs de la lutte et pousse la culture de la contestation. Après la libération des Algériens peu après les accords d’Évian, le camp accueille silencieusement des harkis et leur famille. Le 1er octobre 1962, le camp ferme et les familles sont emmenées vers un autre camp, certaines décident de rester et de mener des travaux forestiers. Enfin, Philippe Artières évoque le retour à un « petit » camp militaire consacré à l’armée de terre, appellation volontairement ironique, puisque dès la réhabilitation du camp, dans un contexte de guerre froide, de grands investissements y sont faits et des débats débutent sur la question de son extension. Entre 1971 et 1975, des débats ont lieu à Paris autour d’un projet de loi sur l’agrandissement du camp et résonnent en rumeurs sur le causse, ce qui inquiète ceux mobilisés autour de la notion de paix. Ainsi le projet d’extension du camp transforme une terre en danger en un causse de résistance qui ne souhaite pas devenir une base de l’impérialisme occidental. La défense des terres agricoles devient la cause d’une communauté en devenir.
La cinquième partie relate l’évènement central du livre, le soulèvement paysan qui résonne dans le monde et qui commence par l’annonce, le 28 septembre 1971, de l’extension du camp militaire, menaçant quatorze mille hectares de terre. Une première résistance se fait lors de la grande manifestation du 6 novembre 1971 sur le causse, suivie de la création de l’Association pour la sauvegarde du Larzac et de son environnement, et du journal Gardarem lo Larzac, qui permet une connaissance de l’activité agricole sur la zone d’extension. Une grande vague de soutiens se forme, notamment dans le journal Le Monde, des pétitions circulent à travers toute la France et les actions s’intensifient, notamment avec le jeûne de dix jours orchestré par l’Italien Lanza Del Vasto au printemps 1972. Un serment est signé par 103 agriculteurs le 28 mars 1972, permettant une réelle appropriation des revendications par les travailleurs de la terre, qui souhaitent également inventer les instruments d’une lutte, par exemple avec la presse locale comme le journal Midi Libre. Dans un contexte d’émergence de la nouvelle presse, des journaux comme Libération ou Charlie Hebdo soutiennent la lutte. Cette communication permet, à Pâques 1973, l’opération « Fermes ouvertes », où montent sur le causse des milliers de personnes qui découvrent la réalité du plateau, masquée par les principaux médias. Lors du mouvement « Tous au Larzac », période la plus connue de la lutte, l’écriture et la constitution d’archives photographiques deviennent centrales et le Larzac se solidarise avec d’autres mouvements dans le contexte mondial des années 1970, notamment avec les paysans du Sahel et les Amérindiens étatsuniens. Des grands événements politiques et culturels s’organisent sur le plateau, comme la « marche sur le Larzac » à l’été 1973 à laquelle participent soixante mille personnes, ou le rassemblement autour de la cause des peuples du Sahel alors que la France fait la guerre au Tchad. Le plateau accueille de nouveaux acteurs de domaines différents, que ce soit les ouvrier.e.s de la fabrique de montres LIP, le socialiste François Mitterrand, les universitaires de l’association Larzac-Université ou encore des artistes du cinéma et du théâtre, notamment la metteuse en scène Ariane Mnouchkine. Avec cette mobilisation s’affirme une forme d’existence collective mais le mouvement commence à s’essouffler, notamment à cause de difficultés économiques, de conflits au sein même de la lutte et de la perte en popularité du Larzac avec de nouveaux combats qui prennent le devant de la scène, dont les actions humanitaires pour le Vietnam. De plus en plus de terres sont rachetées par l’armée avec des ordonnances d’expropriation des terres agricoles, ce qui pousse les derniers paysans encore engagés à occuper avec leurs familles le pied de la Tour Eiffel à l’hiver 1980. Le conflit amorce sa fin le 24 février 1981 lorsqu’est votée une loi pour une extension réduite et se clôt complètement avec, la même année, l’élection présidentielle de François Mitterrand qui engage en moins d’un mois l’abandon du projet d’extension et les procédures en cours. C’est seulement quatre ans après l’élection de Mitterrand que sont confiées, à la société civile des terres du Larzac, les six mille hectares achetés par l’armée.
Dans la sixième partie, il est question des nouveaux modes de vie dans le Larzac devenu prospère dix ans après la lutte, avec une augmentation du nombre d’habitants et de paysans. Mais le syndicalisme agricole continue et des actions sont encore menées, notamment par José Bové, comme le démontage du McDonald de Millau en 1999, en réaction aux sanctions économiques américaines qui surtaxent différents produits européens comme le Roquefort, et contre les multinationales que McDonald représente, causes d’un affaiblissement des agriculteurs. En 2003, 250 000 personnes manifestent contre les politiques néolibérales et la libéralisation des services. Depuis les années 2000, le souvenir de la lutte et le symbole de résistance sont effacés par une remise au goût du jour de l’histoire médiévale des Templiers et un tourisme patrimonial se développe autour d’une nouvelle identité du causse comme espace naturel, classé en 2011 au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Cependant la mémoire de la lutte reste sauve, notamment avec la sortie en 2011 du film Tous au Larzac, avec des commémorations du début du mouvement, ou encore avec l’œuvre de l’historien Pierre-Marie Terral qui a consacré sa thèse aux années de lutte. Dans un épilogue provisoire, Philippe Artières explique que le causse est devenu harmonieux, un flux régulier, conformément aux conditions du libéralisme, notamment avec l’inauguration de l’autoroute Méridienne, la A75. Dans le camp du Larzac, la 13e demi-brigade de Légion étrangère s’installe, menant des travaux prévus jusqu’à 2023.
Le livre se conclut après une traversée dans toute l’histoire du Larzac, celle d’un peuple, d’enfants, de femmes, d’hommes, de brebis, d’anonymes. Le Larzac n’appartient à personne sauf à celles et ceux qui veulent y travailler et y vivre. Il est une terre d’un imaginaire collectif, dont on ne peut faire l’histoire qu’en convoquant une certaine poétique, à côté de toute la recherche historique. Enfin, l’auteur compare le Larzac à Notre-Dame-des-Landes, comme un espace où la terre est à la fois une matière et un lieu de vie, où la lutte face aux attaques n’est pas une simple résistance mais une construction à part entière. Ce que montre l’histoire du Larzac, c’est que son peuple n’a pas une identité figée mais construit sans cesse une « Zone en devenir ».
Appréciation
Cet ouvrage aborde l’histoire d’un peuple d’une manière particulière, par une mise en relation constante avec les événements des années 1970. L‘auteur établit toute l’histoire du Larzac avec un point de vue particulier dans le but d’expliquer les événements de la lutte contre l’expansion du camp, étant l’élément central de son livre. Il entreprend chacun des faits avec le regard de 1971, ce qui propose une certaine lecture de l’histoire du Larzac, sûrement très différente de toutes celles faites auparavant ou qui se feront encore. D’une manière plus globale, ce livre montre que l’histoire d’un peuple peut être lue de différentes manières selon ce que l’auteur souhaite exposer. Il s’agit ici de montrer le caractère résistant du peuple, particulièrement fort dans les années 1970. Philippe Artières tente donc de retrouver cet aspect dans plusieurs moments historiques. Il va jusqu’à considérer l’utilisation du lignite par les premiers hommes comme une conscience des bienfaits de cette matière, une ingéniosité précoce, la capacité du peuple à être autonome et à résister aux obstacles environnementaux.
Autour de ses recherches d’historien, le chercheur mène un travail d’agencement des différents éléments pour amener à réfléchir sur de nombreuses questions. Il interroge notamment la notion de peuple, qui dans ce livre prend diverses formes, la plus importante pour l’auteur étant celle des années 1970, puisqu’elle est le reflet d’une prise de conscience collective, d’une volonté d’agir ensemble. L’ouvrage montre en quoi le peuple du Larzac n’a pas d’identité figée, est toujours en interaction avec son temps et cela touche à des questions que l’on peut se poser pour tout peuple. Il mène également une réflexion sur la façon de faire l’histoire, notamment lorsqu’il évoque comment peuvent être masqués les éléments de lutte par un passé plus traditionnel de l’époque médiéval. C’est une façon de montrer que tout évènement ne devient pas historique, qu’il faut pour cela maintenir un réseau alimentant la mémoire de ce qui s’est passé, comme par exemple avec les graffitis « Gardarem lo Larzac » sur le causse. Il montre également l’importance des archives, bien qu’elles ne soient pas toujours des documents accompagnés d’une longue étude. Ce sont en effet des documents de la vie quotidienne, anodins, comme des journaux, des tracts, des affiches, des cartes postales, des extraits littéraires, qui en disent beaucoup sur l’histoire d’une région précise, comme c’est le cas ici. Cela peut se lire dans le contexte du travail de l’auteur sur les « archives mineures ». Enfin, Philippe Artières le dit lui-même, il y a une part d’imaginaire dans l’histoire du Larzac, une sorte de mythe collectif qui s’est créé autour de la lutte relativement récente, et qui a mené à considérer le Larzac comme une terre de résistance depuis toujours. Plusieurs fois, l’auteur dit, à propos d’un fait qui n’est pas certain, que nous aimons le penser, ou qu’il est coutume de le croire. Cela fait échos à la façon dont il conçoit de faire de l’histoire, en lien avec l’écriture littéraire.
Compte rendu réalisé par Maëlle Piriou, étudiante en hypokhâgne (2022-2023) au lycée Claude Monet de Paris, dans le cadre d’une initiation à la réflexion et à la recherche en histoire.