Plus de trente contributeurs se sont attelés à cette tache dans cet ouvrage. Précisons qu’on n’y trouvera pas que du neuf, car certains passages sont des reprises d’articles de blogs et de l’indispensable magazine « Sciences humaines ». Il est difficile de rendre compte dans le détail d’une telle masse tant les regards sont multiples, mais c’est finalement plutôt bon signe.
Se repérer dans l’ouvrage
Soulignons d’abord le côté très pédagogique, j’entends par là structuré, de l’ouvrage. Dans l’introduction les maitres d’œuvre du livre dressent d’abord le panorama en trois temps mais prennent ensuite le temps de revenir sur chacun et de commenter chacun des chapitres, et même chacun des articles. Pour le lecteur, c’est une aide précieuse et il peut, de suite, se rendre à l’article qui l’intéresse plus particulièrement. Ensuite, un rapide tour d’horizon de vocabulaire permet de préciser des termes comme « histoire globale, histoire connectée » et d’autres expressions approchant. Le tout est servi également par un glossaire, quelques repères chronologiques bien venus sur les dynasties chinoises par exemple, une bibliographie et des index sur les notions, noms de personnes et de lieux : très pratique pour visualiser efficacement tout ce qui concerne la Chine ou Sumatra.
Un patchwork et trois temps
L’ouvrage assume clairement le fait d’être un patchwork, éclaté y compris dans les modes de rédaction. Vous trouverez donc à la fois des articles de synthèse, des comptes-rendus de livres et des documents utilisables dans le cadre d’une approche de l’histoire globale au niveau scolaire. Cela pourra en décontenancer certains, car cette fragmentation des propos pourrait paraître contradictoire avec l’idée de synthèse. Néanmoins, on retiendra plutôt la fécondité qui émerge de toute cette diversité. Les articles sont parfois aussi très rapides et on est presque frustré : ainsi en est-il pour le thé ou le café : considérons plutôt cela comme des mises en bouche qui donnent envie d’aller plus loin. Les auteurs choisissent en tout cas de commencer par du concret dans la première partie car s’il y a histoire globale c’est donc qu’il y a échanges.
La deuxième partie s’intéresse à » regarder autrement le passé ». Enfin, dans une dernière partie sont abordés les nouveaux enjeux. Les trois grands temps sont précédés d’un mini sommaire qui structure et rappelle les articles qu’il contient.
La fabrique du monde
Christian Grataloup rappelle que le sucre est une des motivations des voyages des Ibériques. L’entrée est particulièrement pertinente et est reliée à la question notamment de l’esclavage. Dans tous les articles sur les produits les auteurs rappellent que c’est bien plus qu’un produit qui circule à chaque fois, et que les conséquences sont multiples. Ainsi en est-il pour le thé avec le développement de la porcelaine pour le boire. On aborde ensuite des personnages comme Abrahan ben Jiyu ou des espaces comme le passage du sud-est.
Dans un deuxième temps de cette première partie, les auteurs s’intéressent aux « religions et empires comme fabrique de l’universel ». Relevons notamment l’article de J H Bentley qui inscrit la globalisation dans un temps long. Timothy Brook livre un article sur la Chine à prolonger par la lecture de son dernier ouvrage.
Regarder autrement le passé
Cette partie propose un rassemblement de contributions particulièrement convaincantes. Trois sous- thèmes l’organisent dont » quand l’histoire s’écrivait ailleurs ». Philippe Beaujard rappelle le cheminement des plantes de l’Asie à Madagascar à travers l’exemple du riz ou du safran. C’est dans cette partie qu’on retrouve un utile compte-rendu du livre de S Gruzinsky sur son livre « L’aigle et le dragon ». Plusieurs articles revisitent le poids de l’Asie dans l’histoire comme celui intitulé » du galion de Manille aux porte-conteneurs chinois ».
Le tournant global
Il est temps alors de réfléchir aux liens entre « marché, capitalisme et mondialisation ». C’est une partie plus théorique dans son ensemble. Olivier Pétré-Grenouilleau livre une analyse sur les historiens français et l ‘histoire globale en rappelant qu’ « ils l’ont surtout abordée afin de poursuivre de vieilles querelles » ! On découvre également des personnages étonnants comme Tesla. Lisez l’article qui est consacré à ce génie de l’électricité, et notamment le tableau qui récapitule ses douze anticipations ! La question climatique est aussi une question globale. Jean-François Mouhot y revient et là aussi on pourra lire un compte-rendu du livre majeur de J R McNeill » Du nouveau sous le soleil ».
Et l’école dans tout cela ?
Il faut signaler le dernier temps du livre qui pose la question de l’histoire globale et de l’école. Reconnaissons aussi que cette question est déjà suggérée à plusieurs reprises dans l’ouvrage. Ainsi, Catherine Coquery-Vidrovitch rappelle que l’Afrique a une histoire qui ne commence pas au moment où les Européens la découvrent. Les récents programmes de collège témoignent, à leur façon, d’une vision un peu moins européanaocentrée.
Vincent Capdepuy plaide d’abord pour l’histoire globale. Elle est mondiale car le monde en est toujours l’horizon. Elle est aussi réticulaire et polycentrique. Il donne sept propositions pour intégrer cette dimension à nos enseignements. Il y a là un vrai apport, car en plus de la matière de base, il se livre à une rapide mise en perspective de ces documents et de leur utilisation possible. Ainsi en est-il avec ceux autour de 1432 et des Chinois à la Mecque. Cela permet de dessiner le fait qu’il y avait d’autres histoires possibles. On suivra donc, si ce n’est déjà fait, le blog qu’il anime http://blogs.histoireglobale.com
Cet ouvrage est donc particulièrement utile, livrant un état des lieux, ouvrant des envies d’approfondir tel ou tel point, et la dernière partie conclut de façon très convaincante l’ouvrage. Il est temps à présent de digérer tout cela et de relever le défi de l’histoire globale appliquée à l’histoire scolaire.
© Jean-Pierre Costille Clionautes.