Marc Abélès est un anthropologue français, qui s’intéresse à la politique et aux lieux de pouvoir. Il a travaillé sur une société particulière en Éthiopie mais est surtout connu pour deux ouvrages portant sur notre pays. L’un entend saisir le politique au niveau d’un département : Jours tranquilles en 89. Ethnologie d’un département français. L’autre étudie un lieu de pouvoir important avec des yeux différents : Un anthropologue à l’Assemblée[1]. Appartenant à une des générations profondément marquées par les événements de mai-juin 1968, il a aujourd’hui l’âge de revenir sur son passé. Cependant, il ne nous livre pas un regard nostalgique d’un « ancien soixante-huitard » revenu de tout mais à partir de son parcours il réfléchit aux évolutions politiques et aux mouvements sociaux qui ont, selon lui, marqué les cinquante dernières années en France[2]. Amateur d’eau tiède attention, l’auteur, en plus d’être anthropologue, d’avoir été éveillé à la politique en 1968, a milité après le printemps 1968 et a même rejoint le Parti communiste français dont il a été membre un temps certain et où il a tenté d’animer une revue ouverte, aux vues parfois peu orthodoxes, Dialectiques. Ce dont, d’ailleurs, il ne se cache pas. Il semble, d’ailleurs persister, de nos jours, à exercer un œil critique envers les choix politiques du gouvernement. Un œil engagé, un regard d’anthropologue, une expérience à l’étranger et une écriture très agréable autant d’éléments qui donnent à ce petit livre une tonalité stimulante.

                Quand il  évoque mai 1968, l’auteur n’oublie pas le sentiment partagé par beaucoup, et pas seulement les étudiants ou les lycéens, mais aussi sa grand-mère, le père d’un ami… que les possibles s’ouvraient, qu’on pouvait se remettre en cause. Il présente une des suites de ce mouvement  avec l’ouverture de l’université de Vincennes qui, rappelle-t-il, a permis à des salariés non-diplômés d’obtenir une formation de très haut niveau. Dans l’après 68, il rejoint le PCF et avec des amis lancent une revue, qui connut un écho significatif (des milliers d’exemplaires vendus !!!), et se signalait par une démarche ouverte, trop d’ailleurs pour le PCF. Ses études d’anthropologie commencent par un travail sur une communauté fort exotique, à la solidarité importante et aux traditions ancrées : les Rouergats de Paris. Quelque temps plus tard, il s’installe en Éthiopie et découvre auprès des Ochollo une expérience démocratique très particulière qu’il déchiffre peu à peu et qui s’exerce sur des places « publiques » avec des modalités singulières. Plus tard, c’est dans un département français qu’il va s’efforcer de suivre les rites, les gestes, la « politique au ras du sol », présentés dans un chapitre intitulé « Ailleurs près de chez soi ».

                Cet intérêt scientifique pour la politique, un engagement maintenu, même si l’auteur s’est éloigné du PCF, et des expériences dans des sociétés diverses l’ont amené à suivre attentivement les évolutions politiques et les mouvements sociaux qui se sont développés depuis le début des années 2000. Concernant la France, il cherche le nouveau mais aussi les continuités entre le mouvement « Nuit debout » (déjà un peu oublié par nombre de commentateurs) et celui des « Gilets jaunes »[3].  Ceux-ci mais aussi les Printemps arabes, Occupy Wall street ou les Indignés  ont, selon lui, « concrétisé la même quête d’un dispositif de parole propice à l’exercice démocratique » (p. 16-17). Hommes et femmes s’expriment sur les places publiques, les gens s’écoutent et tentent, certes maladroitement, de manière laborieuse et sans que cela débouche forcément, de « faire émerger de nouvelles formes politiques ». Ce qui stimule la curiosité de l’auteur. Celui-ci, qui considère que le mouvement de mai malgré « son caractère désordonné » lui a enseigné la patience, affirme, dans sa conclusion, toujours vouloir « transformer le réel, tout en gardant le regard rivé sur l’utopie ».

Un ouvrage qui se lit très bien, et qui intéressera les amateurs d’histoire du temps présent et ceux qui pensent que les mouvements sociaux nous apprennent quelque chose sur notre monde.

[1] L’auteur de cette note le confesse, il n’a pas encore lu le premier mais avait beaucoup apprécié le regard distancié porté sur l’Assemblée nationale.

[2] Notons qu’un autre auteur, ancien de l’extrême-gauche, a récemment écrit un livre dont le titre est proche,  Pierre Cours-Salies, À la prochaine… De mai 68 aux gilets jaunes, Paris, Syllepse, 2019.

[3] Évidemment, les différences de composition sociologique de ces deux mouvement ne lui ont pas échappées.