Géohistorien & cartographe, chercheur associé au Laboratoire GREMMO (Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient)
Cataclysme est un titre que l’on peut qualifier de trompeur, en particulier dans la première partie qui s’apparente à un réquisitoire contre l’Homme. Le balayage tant chronologique du premier homme à l’élection de Donald Trump que géographique : Europe, Asie, Amérique, même si l’Afrique est presque oubliée en font une tentative d’histoire mondiale. Voilà un ouvrage au ton journalistique qui repose néanmoins sur une documentation solide, une bibliographie récente en anglais et en français.
Un livre pour l’été.
Dans son introduction l’auteur présente ses intentions : une histoire globale des rapports homme-nature non sans un certain penchant pour la formule choc. Il découpe la chronologie en 7 révolutions : biologique avec l’apparition du premier homo, cognitive des chasseurs, agricole au néolithique, morale avec la naissance des religions, énergétique ou industrielle, numérique et enfin évolutive entre nanotechnologies et humanité augmentée.
Et Singe conquit le monde
Nous sommes les enfants du climat et La fin des éléphants. Après une vulgarisation des acquis de la paléoanthropologie et des hypothèses concernant l’évolution des homos vers la bipédie notamment le climat, l’auteur décrit les premiers hommes somme des superprédateurs grâce au langage et les destructeurs des gros animaux. Omnivores ils seraient capables de s’adapter à différents environnements. Le feu est une seconde étape dans la domestication de la nature. L’évolution humaine est assez bien documentée mais le choix d’un vocabulaire racoleur : « singe est l’héritier d’un homicide collectif », « L’Australie où comment flamber un continent» (p. 65) est assez désagréable.
L’auteur développe l’idée que l’homme est le grand destructeur, le ton accusateur : « L’humain est l’espèce invasive ultime » rend la lecture assez indigeste. Si ce parti pris d’accusation est très présent dans cette première partie il est moins marqué dans d’autres chapitres.
Le pacte du blé, le moment où le « singe » a modifié la génétique du blé. L’intérêt de ce chapitre est dans un tour du monde des débuts de l’agriculture du blé, du riz, du maïs, Asie, Europe , Amérique, l’Afrique est pourtant oubliée.
Effondrements, tel est le titre de ce chapitre consacré à l’âge des métaux. L’auteur y évoque le naufrage d’un navire vers 1300 sur la côte turque, Otzi, Homère, une occasion de redécouvrir l’âge du bronze dont la fin est marquée par la disparition de grandes entités politiques : empire hittite, royaume d’Assyrie, de Babylone, Mycènes ; chutes multifactorielles qui affectent les flux économiques du monde alors qu’apparaît l’âge du fer et l’écriture.
Et Singe domina la nature
Quand les dieux montrent la voie, c’est l’occasion pour l’auteur de parcourir les grands textes du Mahâbhârata à ceux de KongfuziConfucius, des philosophies qui expliquent le monde et proposent des enseignements de vie. C’est aussi l’émergence des monothéismes : Akhenaton, Zoroastriens, et les trois religions du Livre. C’est un panorama spirituel entre le milieu du 2e millénaire avant J.C. et l’ère chrétienne que nous propose l’auteur.
Tout empire périra, c’est à cette époque que naissent les grands empires nés de la guerre, du commerce, de la diffusion de la pensée. Le chapitre 6 commence par un étonnant paragraphe sur l’éléphant d’Alexandre à Hannibal avant d’aborder la monnaie ce qui conduit l’auteur à un retour en arrière. Trois modèles politico-sociaux sont présentés : Rome empire de citoyens, la Chine empire de fonctionnaires, Inde – Iran empires de délégués. Le chapitre se termine par un bilan environnemental.
Après l’été, l’hiver, la chute des empires est analysée selon un schéma emprunté à Ibn Khaldoun : des cycles impériaux et la violence des communautés. L’auteur décrit ensuite une Europe devenant chrétienne, la grandeur puis la chute de Byzance et la naissance du monde musulman, à la fois aux plans religieux, politique, agronomique. Cet « hiver » comme indiqué dans le litre du chapitre est pourtant marqué aussi par des temps forts : migrations bantoues en Afrique, puissance et essor de la dynastie Tang en Chine avant que ne déferlent depuis l’Asie centrale Gengis Khan et ses cavaliers.
L’histoire environnementale refait son apparition avec un paragraphe sur le climat et le volcanisme.
Hasards biologiques, tel est le titre d’un chapitre consacré à la découverte de Christophe Colomb. L’auteur dresse un portrait élogieux des Amérindiens : « civilisation dense, innovante, adaptée à son milieu » au point d’avancer l’idée que la forêt amazoniènne « entière était un jardin, jusqu’au XVIe siècle », peuples anéantis par les épidémies apportées par les conquistadors. L’auteur fait un retour sur les grandes pandémies européennes plus anciennes dont la grande peste et un détour par la paludisme et la fièvre jaune dont l’arrivée est attribuée aux esclaves africains. Il nous montre le rôle géopolitique du moustiquesujet à la mode : Géopolitique du moustique d’Erik Orsenna, Fayard, 280 p. et abandonnant toute chronologie dérive jusqu’à la grippe espagnoles et Ebola.
Aléas démographiques. Le neuvième chapitre entraîne le lecteur vers les échanges de plantes, d’animaux entre les deux rives de l’Atlantique à commencer par le tabac, échanges volontaires ou non que l’auteur qualifie d’ «altération définitive de l’ensemble des biotopes mondiaux». Un autre exemple d’emprunt est développé celui des chevaux et leur utilisation par les Indiens comanches. L’Asie a aussi profité des ces échanges botaniques en acclimatant la patate douce. Enfin avec le cas du sucre on aborde l’histoire mondiale et violente d’un produit.
Et Singe transforma la terre
Les promesses du vif-argent. De retour en Amérique, la recherche de l’eldorado offre l’occasion de parcourir les Andes et les mines du Potosi : extraire les métaux, polluer au sel et au mercure, un poison connu depuis l’antiquité. Mais l’argent est aussi une denrée monétaire dans le monde entier comme le montre les échanges entre l’Amérique espagnole et la Chine.
L’auteur décrit ensuite les débuts du capitalisme à l’échelle européenne en prenant exemple sur le port de Delft et poursuit avec le poids des deux puissances asiatiques : Inde et Chine ce qui introduit une présentation de la révolution militaire des armes à feu.
Quand la terre s’enrhuma est l’évocation du petit âge glaciaire que l’auteur date du XIIIe et XIXe siècle en raison de son apparition en Chine dès 1261. L’auteur relie guerres et météorologie défavorable à l’aide de divers exemples pris en Europe comme en Asie..
Mourir pour la forêt, avec ce titre l’auteur abandonne encore une fois la chronologie en commençant par la présentation de la communauté bishnoï en Inde. Le retour vers la fin des grandes glaciations nous entrainent jusqu’en 2030.
Même s’il présentent un intérêt les exemples dans l’empire britannique des Indes et en Chine n’ont qu’un rapport lointain avec la forêt comme le paragraphe sur l’East India Company qui traite plus du capitalisme, de la course coloniale du XIXe siècle ou le quinquina rapporté par les jésuites.
L’énergie sans limites. Le chapitre s’ouvre sur la pollution de l’air avant un développement sur l’essor des énergies fossiles qui ont permis l’industrialisation, la croissance démographique et la multiplication des transports et des déplacements. « Singe s’est rendu maître du temps et de l’espace » malgré des voix invitant à la prudence : Hong Liangji philosophe chinois 1746-1809 ou Malthus. L’auteur pose la question de la relation entre énergie et démocratie, énergie et politique.
Le frisson de la catastrophe Partant de l’éruption du Tambora Indonésie- 1815 et de ses conséquences météorologiques l’auteur développe l’idée que cet événement est la dernière marque de la puissance de la nature remplacée désormais par la marque de l’activité humaine. Il décrit une autre menace à partir de l’orage solaire de 1859 analysé par Carrington, la menace solaire qui perturberait fortement tous les systèmes électriques et électromagnétiques beaucoup plus répandus aujourd’hui qu’au XIXe siècle.
Le lecteur se retrouve ensuite sur l’Île de Pâques, symptôme des rapports homme – milieu avant une évocation de la disparition des espèces : rhytineMammifère sirénien de l’océan Pacifique, exterminé par une chasse excessive, au XIXe s. et autres baleines et de l’écosystème de Patagonie.
L’auteur aborde ensuite le réchauffement climatique mais le brassage des références de Gilgamesh aux monocultures coloniales en Afrique ne favorise pas la compréhension du phénomène.
Le temps de la démesure est celui à la fois de la croissance démographique de la population mondiale et de l’artificialisation de l’agriculture. L’auteur développe le cas de Fritz Haber, inventeur des gaz de combat et de la synthèse de l’azote. Le ton volontiers sensationnel très présent en début d’ouvrage retrouve ici sa place avec les évocations associées de la Shoah, la bombe atomique, le stalinisme et ses purges, la révolution culturelle chinoise et une énumération de désastres écologiques. Le détour par la fiction permet selon l’auteur une meilleure compréhension du réel.
Le troupeau aveugle ou aveuglé par l’internet, un univers décrit comme saturé de communication serait marqué par la modification de ses comportements par accélération du temps, mutation des rapports à l’information, externalisation toujours plus poussée de la mémoire, privatisation des données personnelles. L’auteur s’appuie sur l’analyse du sociologue André Vitalisprofesseur émérite à l’université de Bordeaux-III. Il est notamment l’auteur de [footnote]Informatique, pouvoir et libertés (Economica, 1981, 1988) et d’une étude sur les enjeux de la protection des données en France, publiée dans un ouvrage collectif, Global Privacy Protection (E. Elgar Publishing, 2008)[/footnote].
Dans le denier chapitre Quelle humanité demain ? l’auteur plonge dans la science fiction avec le roman de Norman Spinrad : Jack Barron et l’Éternité pour mettre en avant un futur fait de nanotechnologies, de transhumanisme, d’invasion par les substances chimiques possiblement mutagènes, d’intelligence artificielle et de clonage. On a quitté le domaine de l’histoire pour une description militante de la crise écologique du début du XIXe siècle avec une description des évolutions récentes de la Chine où une classe moyenne toujours plus nombreuse conduit à la pollution. Quelques références aux dernières observations en matière de climat amène aux solutions prônées par la journaliste canadienne Naomi KeinTout peut changer. Capitalisme et changement climatique, Coédition Actes Sud/Lux, 2016
Un ouvrage ambitieux mais l’auteur, par goût du sensationnel perd parfois le fil d’un raisonnement résolument pessimiste.