L’intention de l’auteur « dégonfler la baudruche des excès littéraires et tordre le cou aux idées reçues pour rétablir la réalité de la piraterie comme de la course.
Dès la protohistoire, le besoin de matières premières a suscité des échanges par mer. Le contrôle par les puissances politiques s’est heurté aux piratesLe mot vient du grec : « peirates », non sans exemples de collaboration.
La mer antique, bien sans maître ou bien commun ?
De l’âge du bronze datent les premières traces de piraterie. L’Égypte du XIIIe siècle av J-C eu à lutter contre les « étrangers de la mer » comme le montrent les papyrus sous Ramsès II et Ramsès III.
Dès l’époque d’Homère une « piraterie d’État » est utilisée dans la guerre économique et en représailles, elle coexiste avec une piraterie de prédateurs des mers qui prospère avec le développement des échanges à travers la Méditerranée : attaques des comptoirs phéniciens et grecs. Les textes anciens permettent de localiser les principales bases des pirates. Le terme grec désigne à la fois l’audace, le brigandage et la violence.
A partir du VIe siècle av J-C, une répression se met en place en même temps que les premiers éléments d’un droit de la mer.
L’auteur montre le développement de la piraterie notamment à l’époque hellénistique et la réponse répressive de la République romaine. César lui-même a été victime des pirates près de Mytilène. Pompée conduisit une véritable expédition contre les Ciliciens car leur activité entravait l’ensemble de l’économie romaine, en particulier le ravitaillement de Rome.
De la désagrégation romaine à la féodalité
C’est avec à la fin de l’Empire romain, à la fois, la condamnation de la piraterie par l’Église et les raids des Goths en mer Noire et en mer Egée, au IIIe siècle, des Picts en mer du Nord au Ve siècle.
Cette période est marquée par les « pirates » vikings (VIe-XIe s.), pillards des côtes. Mais peut-on les assimiler à des pirates ?
L’auteur décrit les différentes vagues vikings, l’instrumentalisation faite par la chrétienté et les conséquences tant politiques que sociales de ces raids.
Vers la codification de la course au Moyen Âge
La féodalité terrienne tenait pour marginales les populations côtières, excluait le monde des marins.
Au temps des croisades la Méditerranée offrit à certain un terrain d’exploits comme Guynemer de Boulogne à la tête d’une flotte de marins flamands, frisons et danois qui s’illustra près de Tarse en portant assistance à Baudouin sans parvenir à réhabiliter les pirates aux yeux de l’Église.
Aux XIIe et XIIIe siècles se met en place en Méditerranée une pratique juridique ; le « droit de marque » : droit pour la victime de se dédommager sur la nation du coupable, considérée comme co-solidaire.
Au Moyen Age l’instauration de royautés plus fortes (France, Angleterre) fait évoluer le regard sur la piraterie ; à la fois menace et protectrice des côtes. Petit-à-petit l’activité des corsaires se distingue de celle des pirates même si les exemples : Eustache Buskes ou les frères Vitaliens montrent qu’un même individu pouvait passer de l’une à l’autre.
La piraterie se développe parallèlement à l’essor du commerce (exemple des vins de Bordeaux vers l’Angleterre au XIVe s.). La distinction entre navire marchand et navire pirate n’est pas toujours facile.
La France de Philippe IV fut le premier État médiéval a disposé d’un arsenal, en aval de Rouen. L’auteur détaille le long processus de mise en place d’une justice des affaires maritimes. La différence entre piraterie et guerre de course n’est pas aisée. La course en mer devint, à la fin du Moyen Age, un ascenseur social, un moyen de faire fortune.
La Méditerranée, un théâtre à part VIIe-XVIe siècle
L’auteur rappelle les évolutions politiques du monde méditerranéen avec dans un premier l’expansion musulmane. Les îles ont joué un grand rôle comme frontières mais aussi repère d’une piraterie berbère et de renégats chrétiens, dans la partie occidentale de la Méditerranée. La partie orientale est le lieu de conflit entre marine byzantine et marine abbasside.
Au XIe siècle, le monde est perturbé par les croisades et l’essor des marines commerciales génoise, vénitienne… Les îles occidentales (Sicile, Malte) furent reprises et d’anciens pirates devinrent comtes comme Guglielmo Grasso, pirate génois et Comte de Malte. L’action de ces pirates s’inscrit autant dans les rivalités économiques des villes italiennes que dans la lutte contre le monde musulman.
Au XIIIe siècle, avec l’entrée en scène des Ottomans, la situation évolue comme à Chypre où s’installent les Hospitaliers.
Le déplacement de l’intérêt vers l’Atlantique eut pour conséquence un recul des conflits officiels en Méditerranée et l’essor de la guerre de course et de la piraterie selon les lieux et les moments. Pour caractériser la piraterie l’auteur donne l’exemple de Barberousse, corsaire musulman, qui écuma la Méditerranée depuis les côtes du Maghreb et avec le soutien du sultan ottoman Selim 1er. Face à la menace de Dragut, un nouveau corsaire au service de SolimanQuand les Turcs régnaient sur la Méditerranée, Charles Quint apporta son soutien aux Hospitaliers pour le contrôle du détroit de Sicile. Les événements montrent l’imbrication des pirates et des autorités politiques jusqu’au traité de paix de 1573 entre Venise et l’Empire ottoman.
L’explosion commerciale de l’Occident à la Renaissance
Dans ce chapitre l’auteur aborde l’« alliance impie » et infructueuseFrançois 1er échoue à s’emparer de Gênes de François 1er et Soliman qui permet à Berbarousse d’hiverner à Toulon.
La concurrence maritime entre puissance européenne se dé)lace vers l’Atlantique opposant Espagne et Portugal aux autres Européens ce qui donne des occasions de s’illustrer dans la guerre de course à des marins comme Jehan Ango.
L’auteur aborde rapidement le soutien royal à des marins officiels ou non : Jacques cartier, François Le Clerc ou le corsaire huguenot Jacques de Sores. C’est dans ce contexte de tensions religieuses que des tentatives d’installation (Floride, Brésil) sont soutenues par Coligny et que la guerre de course se développe contre les navires espagnols de retour d’Amérique. Henri IV relance les interventions océaniques (Dugua de Mons en Acadie, Champlain) mais aussi en Méditerranée avec la création des « Echelles du Levant ».
L’Angleterre élisabéthaine n’est pas absente grâce à ses « Sea Dogs » à la fois commerçants, négriers et pirates comme John Hawkins ou Francis Blake en Atlantique quand d’autres rejoignent les rangs barbaresques.
L’auteur présente les évolutions des régences barbaresques et montre le rôle des beys dans l’organisation de la piraterie, une activité prédatrice.
Les corsaires barbaresques pouvaient être d’origine européenne comme John Ward, au service du Bey de Tunis ou Simon Dansa, un Néerlandais auprès du Bey d’Alger et de nombreux Italiens, ce qui conduisit au développement d’une contre-course chrétienne dans laquelle l’ordre de Malte jouait un grand rôle.
La France de Louis XIII et Louis XIV devint une puissance maritime tant en Méditerranée qu’en Atlantique avec une flotte nationale qui rendait moins utile le recours aux corsaires.
Le temps du grand désordre des océans
Ce sixième chapitre débute en Extrême-Orient, dans les mers de Chine et du Japon où les marchands-pirates nombreux sont liés à la contrebande qui s’est développée dans le contexte du repli de la Chine sous les Mings. Les Tankas (pêcheurs pirates chinois) et les Wakos (bandits japonais) devinrent puissants au XVIe siècle, ils étaient les intermédiaires incontournables des marchands européens portugais ou hollandaisLa préhistoire de la compagnie des Indes orientales 1601-1622, Guillaume Lelièvre, Presses universitaires de Caen, 2021.
Une autre grande région est marquée par la piraterie au XVIIe siècle ; les Caraïbes. Flibustier, corsaire ou pirate ne faisaient qu’un si on en croit le dictionnaire de Furetière, pratiquant tout à tour pour le roi ou pour leur compte.
L’auteur développe l’image romanesque et exagérée dans la littérature. Il montre la complémentarité des flottes officielles et corsaires au temps de Richelieu mais aussi des Stuarts. Les guerres européennes favorisèrent un âge d’or des pirates dans la mer des Caraïbes. Leur vie était plutôt mouvementée : Barbe-Boire, Miguel Enriquez ou Samuel Bellamy souvent immortalisés par la littérature (Robinson Crusoé). Alain Blondy aborde en détail cette littérature qu’il confronte à la réalité.
Le renouveau de la course au Grand Siècle
Dans l’Atlantique Nord il ne s’agit pas de flibusterie mais de guerre de course dans le même contexte des conflits entre les puissances européennes (guerre de la Ligue d’Augsbourg, guerre de succession d’Espagne). La guerre de course est beaucoup plus contrôlée dès 1659, l’auteur parle de codification « inter-nationale » (p. 211) qui définit un véritable contrat affretement qui précise le partage du butin et le sort des équipages malheureux.
Alain Blondy dresse le portrait de quelques grands corsaires de Louis XIV et montre leur carrière de la course à l’officier de marine : Jean Bart, Dugauy-TrouinMémoires de Duguay-Trouin, Corsaire du Roi-Soleil, René Duguay-Trouin, Nouveau Monde éditions, collection Chronos, 2021,Jean Doublet. Quelques exemples montrent à l’inverse le passage vers la guerre de course : Claude Forbin-Gardanne, Jean-Baptiste du Casse.
Un paragraphe est consacré à la mise eu pas des Barbaresques en Méditerranée.
La course au temps des Lumières
C’est une suite de la période précédente avec de nouveaux terrains : en mer Baltique (opposition Russie/Suède), à Terre-Neuve autour de la pêche à la morue. Pourtant la guerre de course n’est plus aussi rentable malgré le retour des hostilités entre la France et l’Angleterre (guerre de 7 ans).
L’auteur évoque les influences françaises et anglaises en Méditerranée occidentale et l’arrivée de nouveaux acteurs : les Habsbourg en Adriatique, les corsaires gréco-moscovites. Le cas de Malte retient l’attention et les Barbaresques reprennent de l’importance.
Le renouveau corsaire sous la Révolution et l’Empire
Qui dit temps politiques troublés dit aubaine pour les armateurs en course. L’auteur aborde les temps révolutionnaires du côté parisien puis les conséquences aux Antilles et face aux États-Unis.
Sous l’Empire on peut parler de contrôle politique de la guerre de courses (Surcouf).
En Méditerranée les années 1800-1830 marquent le déclin de la piraterie, les flottes nationales, y compris étasunienne, s’opposent aux pirates de Salé, Mogador ou Tripoli.
Un nouvel espace de piraterie se développe dans le Sud-Est asiatique.
Survivance de la course et de la piraterie jusqu’à nos jours
Après la réorganisation du droit maritime, suite à la guerre de Crimée, la guerre de course est abolie non sans résistance et résurgences (guerre de Sécession). Dans ce nouveau contexte la guerre est engagée contre la piraterie chinoise.
Le paragraphe sur la guerre maritime durant les deux guerres mondiales paraît hors-sujet. Peut-on parler de piraterie à propos du torpillage du LusitaniaUn crime de guerre en 1915 ? Le torpillage du Lusitania, Gérard Piouffre, Éditions Vendémiaire, 2015, ?
La tentative de tableau de la piraterie aujourd’hui telle qu’elle est définie par la SDN en 1937 est bien peu documentée.
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Le pari d’une histoire exhaustive de l’Antiquité à nos jours était difficile à tenir. Le choix d’un traitement chronologique n’était peut-être pas le plus pertinent ?
Un ouvrage qui ouvre des horizons mais demeure inégal.