Berg international Éditeurs. 2009. 212 pages
Encore une fois, cet éditeur qui figure en bonne place sur le site des Clionautes publie un ouvrage surprenant et même dans une certaine mesure dérangeant. Ce dictionnaire des messies juifs est rédigé avec un humour corrosif qui fait du bien. Devant les évolutions des représentants « autorisés » d’une communauté qui peut se passer d’eux, cet ouvrage permet de relativiser bien des certitudes sur le judaïsme et ses trajectoires historiques.
On sait que dans le judaïsme comme dans d’autres monothéismes le retour au fondamentalisme semble important. Mais cet ouvrage remet clairement les choses en perspective et montre que les femmes et les hommes de foi ont pu trouver en eux-mêmes des ressorts étonnants pour contester le dogme que l’on voulait leur imposer. Le Messie se meut au sein de l’orthodoxie, mais en même temps il la conteste. Il est homme et représente l’espérance en une rédemption prochaine mais il assume sa part d’humanité. Parfois très au delà du religieux…
Alors, qui sont ces messies, au nombre de trente deux présentés dans l’ordre chronologique ?
Ce sont, pour la plupart, des mystiques apocalyptiques, des érudits, mais il y a aussi parmi eux des exaltés ou même des charlatans comme on en trouve au sein des trois religions du Livre, ces dernières se référant à un sauveur venu ou à venir, qu’il se nomme Mashiah, Christ ou Mahdi. Et l’Islam, surtout chiite est aussi un messianisme.
Les Messies et la Résistance
Dans le judaïsme, c’est au début du 1er siècle, alors que des troubles majeurs comme l’occupation du royaume de Judée par les Romains viennent confirmer pour certains l’imminence de la « fin des temps », qu’interviennent nouveaux prophètes, thaumaturges et « envoyés » de Dieu voulant accélérer la marche de l’histoire vers un monde meilleur. Le Christ est l’un d’entre eux, même s’il semble avoir mieux réussi que d’autres. Il est le seul à avoir fondé une religion, mais l’on sait bien que c’est surtout à Paul de Tarse que l’on doit le développement du christianisme. Sans lui et ses capacités d’organisateur, bien des choses auraient sans doute été différentes.
Shimon Bar Kochba, quelques décennies après Jesus de Nazareth, en 135, leve une armée contre Rome. Il était peut être le chef de guerre que les zélotes attendaient. Une notice lui est consacrée et elle mérite le détour.
Siméon Bar Kochba est appelé « Le Fils de l’Étoile » 132 de l’ère commune) associe son nom à l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire juive. Il est le symbole de la résistance juive face à l’occupation romaine, mais aussi face à l’hellénisation rampante et à ce titre il s’inscrit dans l’imaginaire national. Yankel Mandel s’interroge donc sur cette personnalité, entre bandit de grands chemins ou héraut de l’indépendance nationale. On apprendra que, dans la plupart des cas, la perfection physique est une des qualités requises à la fonction messianique. Le Christ n’ a pas échappé à cette exigence. Il semblerait qu’au tournant du premier et du deuxième siècle de l’ère « commune » précise-t-on, une révolte générale couve. Le Fils de l’Étoile s’en fait le promoteur.
Au Moyen Age, d’autres Messies se manifestent comme David Ha Evouni, protégé du pape Clément VII qui propose une croisade contre es Turcs menée sur fond de réconciliation entre le Roi de France et l’Empereur.
Charlatans et illuminés
Sont but était aussi de tenter de faire révoquer l’édit d’expulsion des juifs d’Espagne. David HaRéouvéni se présentait à Rome au moment opportun pour négocier ce projet d’alliance stratégique, à une époque troublée où les Turcs progressaient inéluctablement au coeur d’une Europe déchirée par les conflits politiques et religieux. « Byzance aux chrétiens, propose-t-il, ainsi que l’Arabie, et la Terre sainte aux juifs ».
D’autres comme Jacob Frank au XVIIIe siècles ont incité leurs fidèles à la trangression de tous les interdits afin de hâter la fin des temps. Jacob Frak a fondé une secte en Pologne qui a servi en partie à alimenter les mythes anti-juifs. Cet étrange messie exigeait de ses fidèles qu’ils se livrent à des orgies pour lui prouver leur attachement. Le dernier Messie signalé par l’auteur est le Loubavitcher de Brooklyn dont les adeptes attendent toujours le retour sur terre.
À l’évidence, cet ouvrage n’est pas une oeuvre d’historien, même si une abondante bibliographie est proposée. C’est davantage un exercice de style qui permet de comprendre la diversité du judaïsme, peut-être sous un angle inédit mais qui ne saurait se substituer à une étude plus rigoureuse de ce monothéisme fondateur.
On appréciera pourtant ici un glossaire particulièrement utile permettant de connaître bien des aspects de la religion juive. L’auteur est davantage un linguiste connaissant bien les textes qu’il cite en référence mais il ne se hasarde pas, avec raison, a resituer dans leur contexte ces mouvements messianiques. Le volume de l’ouvrage ne le permet pas et cela n’en constitue pas la finalité première.
C’est dans les annexes que l’on trouve quelques remarques surprenantes autant qu’intéressantes sur le sionisme dont le fondateur est comparé à Moïse. En quelques pages l’auteur présente le contexte intellectuel et religieux de cet Autriche de la fin du XIXe siècle ou Théodor Herzl donne corps à la doctrine sioniste. De ce point de vue, Yankel Mandel répare une injustice en relativisant le rôle de celui qui apparaît peut-être un peu trop rapidement comme le fondateur d’un des mouvements nationaux les plus importants du XXe siècle.
Mais la finalité de cet ouvrage est sans doute de susciter la curiosité sur le judaïsme en tant que tel et sur ce que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de dérives sectaires. L’auteur fait le choix d’en rire, le recul du passé l’y autorise et on serait tenté de le suivre
© Bruno Modica