Comment l’empire colonial français a-t-il participé à la Grande Guerre ? Quelle histoire ? Quelle mémoire aujourd’hui ?
Un premier ouvrage de synthèse avait été publié en 2018 Combattants de l’empire – Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, Philippe Buton, Marc Michel (dir.), Editions Vendémiaire. Plusieurs chapitres sont repris ici par les mêmes auteurs.
C’est sans doute dans l’étude des commémorations et de la mémoire que se trouve l’originalité de cet ouvrage.
Dans son introduction générale François Cochet rappelle les conditions d’élaboration de cet ouvrage et les thématiques déclinées en six grandes parties qui regroupent le travail de pas moins de quarante-neuf historions présentés en fin de volume.
Le choix de réunir des articles variés est un atout mais ces contributions étalées dans le temps n’échappent pas à de nombreuses répétitions.
Mobiliser et combattre, les forces en présence
Christian Benoit rappelle l’étendue de l’empire colonial français en 1914 et les statuts de ces territoires. Les dénominations : troupes coloniales, troupe d’outre-mer peinent à décrire toutes les réalités du fait des statuts juridiques différents des hommes qui les composent : citoyens, sujets indigènes, étrangers.
Dès l’entrée en guerre tout est consacrer à la défense de la métropole comme le montre la mobilisation progressive dans les colonies et la présence des coloniaux dès les premiers combats de la bataille des frontières. L’auteur décrit la levée de nouvelles troupes et l’arrivée progressive des hommes sur le front.
Le bilan des mobilisés est mal aisé à établir, avec 5,65 % des hommes engagés l’auteur récuse l’idée de « chair à canon ».
Marc Michel se demande si l’Afrique est le continent oublié de la Grande Guerre. Il évoque les combats violents aux frontières des colonies allemandes (Togo, Kameroun, Région du lac Tanganica, Sud-Ouest africain allemand). Une guerre en Afrique qui ne fut ni voulue par les puissances européennes en conflit, ni préparées. Marc Michel décrit très brièvement les combats qui sont présentés plus loin par Raphaëlle Walter (p.195 – 202) et Stéphane Richemond (p. 203 – 211). Il montre le recrutement, la participation à l’effort économique mais aussi la perte, pour l’Allemagne de ses colonies partagées entre les vainqueurs, les premières manifestations d’un nationalisme radical (Egypte, Tunisie).
Après ces deux articles généraux, les autres contributions proposent un éclairage sur tel ou tel point précis.
Jean Martin décrit la place des Maghrébins dans l’Armée d’Afrique, 173 000 combattants au total. Outre les Algériens, l’auteur montre la mobilisation des Tunisiens et Marocains dans les troupes, les travailleurs algériens employés dans les usines. Il évoque les tentatives de débauchage par les Allemands.
Bahija Simou revient de façon plus spécifique sur la participation marocaine. Le Maroc où la résistance était encore très présenteRévolte des Tabors, désastre français d’El Helhri-13 novembre 1914 va pourtant, à partir du soutien du sultan Moulay Youssef et de la réorganisation des troupes, participer activement au conflit de la bataille de la Marne. Le Maroc envoie vers la France huit millions de quintaux de productions agricoles en 4 ans.
Antoine Champeaux s’intéresse aux troupes indigènes africaines, comoriennes, malgaches et indochinoises. Il n’intègre pas dans son propos les soldats originaires des vieilles coloniesSur ce sujet La Caraïbe et la Première guerre mondiale, Société d’histoire de la Guadeloupe, colloque 19-20 mai 2014 – Bulletin de la société d’Histoire de la Guadeloupe n° 168 mai-août 2014 ni les citoyens des « Quatre communes » sénégalaises. Après un rappel de la création des troupes coloniales et un tableau de l’empire en 1914, il décrit la mobilisation selon les différentes régions de l’empire. Il présente un bilan très précis : 485 071 mobilisés sont venus combattre en Europe, 74 942 sont morts ou disparus. Les pertes sont, selon l’auteur, comparables à celles des métropolitains. Les soldats furent décorés, honorés ; Antoine Champeaux évoque leur place dans les nécropoles et les monuments érigés tant en métropole (Nogent-sur- Marne)Antoine Champeaux n’évoque pas les pérégrinations du Monument aux Héros de l’Armée Noire de Reims analysé par Cheikh Sakho dans Combattants de l’empire – Les troupes coloniales dans la Grande Guerre, Philippe Buton, Marc Michel (dir.), Editions Vendémiaire, 2018 que dans l’empire (Bamako, Dakar). Au lendemain du conflit émergent des revendications politiques et une mémoire combattante.
Jean-Yves Bertrand-Cadi consacre son article au bataillon Somali, recruté dans une région en tension à partir de la milice crée en 1910 par le gouverneur Pierre Pascal. Issas et Afars en sont dans un premier temps exclus du fait de leur opposition traditionnelle. L’auteur montre la complexité de ce bataillon. Un article qui, au-delà de la question de la Première Guerre, éclaire sur cette région hautement conflictuelle de la Corne de l’Afrique.
Hélène Grandhomme évoque le Sénégal de Blaise Diagne et son combat pour l’assimilation politique.
C’est Jean Martin qui se charge de décrire la mission Diagne de recrutementSur ce sujet voir le compte-rendu de la table ronde L’Afrique dans la Grande Guerre. Les photographies de la mission de recrutement Blaise Diagne, RVH Blois 2018.
Benoit Beucher aborde cette même mission dans le pays voltaïque entre loyauté des Mossis, acquise après leur révolte de 1908 et rébellion (guerre du Volta-Bani, 1915). Dans ce contexte difficile l’auteur décrit les préparatifs et les déplacements de la mission, l’attitude des chefs mossis et la réorganisation de la colonie après la guerre.
Michel Bodin retrouve, pour les soldats indochinois, les mêmes questions : recrutement, effectifs, engagements. Il n’occulte pas les résistances (province de Thai Nguyen en 1917, région de Diên Biên Phu en 1918).
Antoine Champeaux présente les batailles du front de l’Yser: Ypres et Dixmude et la participation des Tirailleurs sénégalais.
Raphaëlle Walter consacre sa contribution au Gabon dans la Grande Guerre. Une forme d’exportation du conflit en terre africaine dont les violents combats sont rappelés sur le monument aux morts de Cocobeach.
Stéphane Richemond évoque, grâce à des documents iconographiques fruits de recherches récentes, une autre colonie allemande, le TogoSur cet épisode une bonne BD peut être utilisée avec des élèves : Les Dogues noirs de l’empire – La Force noire, Massiré Tounkara (ill.), Christophe Cassiau-Haurie (sc.), L’Harmattan, coll. « L’Harmattan BD », 2020 : forces en présence, hostilités dont la bataille de Kra.
La mobilisation aéronautique s’est faite non pas avec des soldats coloniaux mais l’aviation a été employée dans les colonies, Afrique du Nord (en 1916 Maroc, Sud tunisien, Aurès) pour impressionner les tribus insoumises. L’aviation fut aussi utilisée au Sahara où des observateurs « indigènes » furent formés. Jean-Baptiste Manchon. Il montre la difficile mise en place de l’escadrille indochinoise.
François Lagrange s’intéresse au contrôle postal des troupes « indigènes ». L’organisation ne permet pas un contrôle spécifique. L’auteur recherche alors ce que les contrôles révèlent de l’opinion des soldats sur leurs camarades étrangers (ruses) et « indigènes ». Il montre comment une rumeur anti-annamite en 1917, contemporaine des mutineries, a longtemps perduré contre toutes les troupes « indigènes ».
Produire, l’effort de guerre
Cette deuxième partie est introduite par Jean Martin : les colonies ont contribué à l’effort économique en fournissant de la main-d’œuvre, environ 185 000 travailleurs (Algériens, Indochinois) et des denrées (oléagineux, caoutchouc, fer, phosphates).
Dominique Barjot mesure la contribution de l’outre-mer. Il rappelle l’importance de l’effort tant en matière d’armement que de ravitaillement. Il montre les conséquences monétaires et financières (recours à l’emprunt, bons de la défense nationale). Le développement de la production d’armement nécessitait une reconversion industrielle, la construction d’installations énergétiques (barrages) et un recours à une main-d’œuvre toujours plus nombreuse : soldats rappelés à l’arrière, étrangers (Espagnols, Alsaciens-Lorrains). L’outre-mer a été largement mise à contribution : denrées alimentaires arrivant d’Algérie par exemple. L’auteur insiste sur la désorganisation des économies de l’Afrique noire. Il chiffre l’effort en main-d’œuvre des différents territoires. Il aborde le renouvellement historiographique concernant les actuels DOM-TOM.
A son tour Julie d’Andurain s’intéresse aux DOM-TOM pour montrer la place des soldats issus des « vieilles colonies ». Elle met en lumière les dernières recherches universitaires.
Eric Deroo étudie l’Indochine dans la Grande Guerre: mobilisation de la « force jaune », les tirailleurs Linh Tâp auxquels il faut ajouter les travailleurs Linh Thomobilisés également durant le second conflit mondial, Pierre Daum, Ysé Tran en ont témoigné dans L’empire, l’usine et l’amour « travailleurs indochinois » en France et en Lorraine, Créaphis éditions, 2019 dans les usines d’armement. Il montre les conditions politiques, sociales et culturelles de cette mobilisation et propose un bilan des efforts économiques.
Eric Deroo voit la guerre comme la première migration de masse vers la métropole. Il tente d’en évaluer les effectifs de 1914 à 1918. il montre aussi les conditions de vie dans plusieurs régions françaises, de rencontres et/ou d’affrontements avec les travailleurs français, ainsi que les conséquences après la guerre.
Avec Alain Tirefort le lecteur part en Chine, au Kouang-Tchéou-WanVoir Antoine Vannière, Kouang Tchéou-Wan, colonie clandestine – Un territoire à bail français en Chine du Sud (1898-1946), Les Indes savantes, 2020, territoire cédé en bail à la France en 1898. L’auteur décrit les réalités de ce territoire et mesure l’impact de la Grande Guerre.
Jean-Jacques Fadeuilhe tourne le regard vers la Côte d’Ivoire et son chemin de fer. Après un tableau de la colonie, l’auteur décrit les exportations de bois, caoutchouc et huile. Il montre le rôle du chemin de fer Bouaké – Grand Bassam y compris dans l’acheminement des recrues et mesure les effets économiques aux différents moments du conflit.
Dominique Barjot s’intéresse à la Belgique. Pour l’économie belge la guerre fut un poids énorme, par exemple pour la multinationale Solvay. Les effets de cette désorganisation de l’économie sont ressentis dans l’après-guerre avec un repli colonial, opportunité pour le développement économique du Congo belge auquel vient s’ajouter l’ancienne colonie allemande, le Ruanda-Urundi. L’auteur développe l’exemple de l’exploitation du cuivre.
Soigner, le soutien médical des contingents d’outre-mer
C’est à Olivier Farret qu’est confié l’introduction de cette troisième partie qui rappelle le colloque de 2015 à l’école du Val-de-Grâce. Les contributions sont réunies autour de deux thèmes : les maladies et la prise en charge sanitaire.
Marc Morillon s’intéresse aux maladies spécifiques qui touchent les tirailleurs sénégalais dont 135 000 servir en métropole. Ces maux sont évidemment liés au froid humide : pneumonies, tuberculose et à la fin de la guerre : la grippe espagnole.
René Migliani présente les cas de paludisme dans l’armée d’Orient. Il décrit les conditions climatiques de la Macédoine, la grave crise paludéenne de 1916 qui touche les soldats de la campagne des Dardanelles et les mesures mises en place : 30 000 cas, 20 000 évacuations.
Avec Christian Benoit on aborde les relations aux femmes blanches et la lutte contre les maladies vénériennes. L’auteur évoque la promiscuité dans les usines, la prostitution, la longue voire définitive séparation des ménages qui a conduit à un certain relâchement des mœurs. Les rapports de surveillance médicale font état de nombreux cas de syphilis parmi les soldats « indigènes ». L’accueil cordial des Françaises a incité les pouvoirs publics à organiser, à Fréjus notamment lieu d’hivernage des tirailleurs, des bordels officiels.
Louis-Armand Héraut revient sur la prise en charge sanitaire des contingents d’outre-mer. Il montre le rôle des services de santé dès le recrutement dans la colonie pour dépister la lèpre, la maladie du sommeil et pour vacciner contre la variole. L’auteur décrit à la fois les pathologies rencontrées au front et au froid et leur prise en charge dans les hôpitaux du sud de la France. Les services de santé eurent aussi à partir de 1919 un rôle à jouer dans la préparation au retour en terre africaine.
Jean-Jacques Ferrandis décrit l’hivernage : hospitalisation et convalescence dans les camps où séjournaient les tirailleurs sénégalais, en hiver, avant un retour sur le front. Ces camps Fréjus, Saint-Raphaël dans le Var ou Courneau vers Arcachon étaient aussi des lieux d’instruction militaire. Des hôpitaux pour les malades et blessés y furent créés. La mortalité importante explique la présence de certaines tombes dans les cimetières communaux avant la création d’un cimetière militaire à Fréjus ; 5210 tombes déplacées dans les années1960 au Mémorial de Luynes.
Serge Volper présente l’hôpital auxiliaire du Jardin colonial du bois de Vincennes mis en service dès août 1914. Les soldats y étaient regroupés par origine géographique. Un carré militaire fur créé au cimetière de Nogent-sur-Marne. Le souvenir de cet hôpital est marqué au Jardin colonial par un obélisque inauguré en 1920 et un des bâtiments de l’exposition coloniale devin le « Temple du souvenir indochinois ».
Marseille, capitale de la XVe Région militaire devint du fait du passage de très nombreuses troupes françaises et étrangères une capitale sanitaire. Jean-Louis Blanc présente les camps provisoires qui ont accueillis après leur débarquement les troupes coloniales mais aussi la division Lahore, des soldats originaires du Penjab, des troupes britanniques (Australiens, Sud-Africains …) de retour du front d’Égypte et même des troupes russes. Face à ses déplacements de population il convenait de réorganiser la ville au plan sanitaire comme l’atteste quelques plaques commémoratives.
Dans son article : Combattre et soigner en Afrique équatoriale, Louis-Armand Héraut évoque longuement les combats au Cameroun et leurs conséquences, blés à soigner, morts à enterrés.
Pour Anne-Marie Moulin la situation des tirailleurs sénégalais aux Dardanelles fut très cruelle. Elle décrit les troupes coloniales engagées, les combats. Elle rappelle le témoignage de l’historien Jérôme Carcopino, lui-même engagée dans l’armée d’Orient, qui dénonce l’impréparation sanitaire notamment du côté britannique. L’auteure montre la difficile évacuation des blessés vers Alexandrie.
Se révolter, résister
Frédéric Guelton définit le cadre général de cette quatrième partie. Il revient sur l’historiographie du refus pour la France mais aussi pour les Turcs, les Grecs, les Polonais, les Russes.
Bastien Dez analyse la mutinerie du 61e bataillon de tirailleurs sénégalais en août 1917. Il retrace le journal de campagne de ce bataillon depuis l’automne 1916, La Somme, le Chemin des Dames jusqu’au refus de plus de 200 tirailleurs de monter en première ligne le 13 août. Il montre les motifs, demande de quelques jours de repos et la remise en ordre progressive pour éviter une répression brutale qui, pour leur officier supérieur, aurait conduit à la révolte. Un épisode unique pour les troupes coloniales mais assez proches des mouvements de mutinerie de l’été 1917.
« Quand battent les tambours de guerre en pays mossi ». Benoit Beucher replace la guerre dans le contexte d’une colonie peu administrée et fortement tenue par les royautés mossis. Il pose la question suivante : Doit-on la considérer « une parenthèse dans l’histoire des sociétés africaines […] ou comme un évènement qui, bien qu’imprévu, prend néanmoins toute sa place dans les mutations politiques et sociales de cette partie de l’espace impérial français » ?Citation p. 480 L’auteur analyse la situation coloniale, les conditions de la mobilisation. Il montre l’évolution de l’état d’esprit des populations à la suite les prises de positions royales, de la révolte de 1915 à la réussite de la mission DiagneRevoir le chapitre 8 La mission Diagne dans le pays voltaïque p. 145-168.
Bastien Vandendyck questionne le rezzou dans la région de Tombouctou (1820-1920). Ces actions répétées après 1894 sont-elles des vols de subsistance ou une véritable révolte anticoloniale ? L’auteur déc rit cette pratique traditionnelle qui oppose les Touaregs aux tribus noires dans la boucle du Niger. L’émergence de la puissance coloniale met fin dans un premier temps aux razzia sur les villages riches et aux vols de bétail et de récoltes. Petit à petit le rezzou, en visant les chefs de tribus vus comme des soutiens de l’administration coloniale, devient un acte de révolte. L »administration met alors en place un contre-rezzou et, devant l’immensité du territoire concerné, donne plus de pouvoir aux commandements de cercle.
Danielle Domergue-Cloarec traite de la résistance en Côte d’Ivoire dont elle décrit la situation à la veille de la guerre. Des révoltes contre le recrutement se développent selon divers modes : refus d’obéir, envoi des jeunes en forêt pour les soustraire au recrutement, exode vers les pays voisins (Liberia), simulation de maladies et mutilations volontaires. L’auteure décrit le recrutement de 1918 dans le pays Dida et l’Agneby au sud du pays.
Alban Bensa et Michel Levallois conduisent le lecteur en Nouvelle Calédonie pour le recrutement de nouveaux volontaires en 1917. L’article porte essentiellement sur la mémoire de la révolte kanake qui a éclaté sur la côte ouest le 28 avril 1917 ; une mémoire occultée puis ressuscitée dans les années 1970.
Honorer, commémorer
Jeanne-Marie Amat-Roze introduit cette partie avec une photographie de la cérémonie annuelle d’hommageA la nécropole nationale du Trottoir, Les Eparges – Meuse, la photographie date de 2015 – p. 542 aux soldats morts aux Eparges ; la présence des élèves saint-cyriens africains aux côtés des soldats du 1er régiment de tirailleurs d’Epinal rappelle la relation entre la France et l’Afrique sub-saharienne. Elle resitue les contributions dans le cycle mémoriel du centenaire.
Jean-Pierre Faure évoque les membres historiques de l’Académie des sciences d’outre-mer. L’histoire de cette institution, née en 1922, permet de rappeler le rôle fondateur de Paul Bourdarie, l’explorateur du Congo. L’auteur liste les politiques, de Doumer à Hanotaux, les militaires, de Joffre à Marchand et les administrateurs et scientifiques, de Delafosse à Calmette et Pavie.
Antoine Champeaux présente les formes de reconnaissance individuelles : croix de guerre, fourragère, légion d’honneur, médaille militaire, ou collectives : inscription de bataille sur les drapeaux des unités militaires.
Dans son article Frères d’armes, Christian Benoit témoigne de la reconnaissance, par les soldats français, de la valeur des soldats « indigènes ». Mais bien des différences existaient entre ces hommes qui ne parlaient pas la même langue Mais les Bretons, les Basques… ne parlaient pas tous le français., l’alimentation, l’habillement du tirailleur ou du zouave n’était guère adapté au climat du nord. Les permissions aussi étaient différentes, du fait de l’éloignement le retour en famille n’était pas possible La pratique religieuse et le cérémonial funéraire n’étaient pas sans poser problèmes.
Julie d’Andurain s’intéresse au droit et revendications concernant les pensions de guerre, une histoire administrative complexe. Elle évoque en particulier la loi du 31 mars 1919, charte des anciens combattants et victimes de guerre. C’est une histoire sous le signe du contentieux tant il fut difficile de définir le nombre exact des bénéficiaires, une sorte de guerre ratée.
Pierre Lang, sur ce même sujet traite du long chemin vers la décristallisation des pensions, obtenue tardivement avec l’aide des anciens combattants français.
Eric Deroo présente les tirailleurs africains en Allemagne, longtemps oubliés de la mémoire. Il s’agit des prisonniers de guerre qui permettent à l’auteur d’évoquer l’intérêt des autorités allemandes pour les prisonniers de confession musulmane et les tentatives de débouchage dans le contexte de l’appel au « djihad » du sultan turc Mehmed V, calife des croyants et allié de l’Allemagne. L’auteur décrit les camps de prisonniers, les travaux de l’africaniste Léo Frobenius mais aussi la présence des tirailleurs sénégalais parmi les troupes d’occupation en Allemagne qui déclencha des vives campagnes racistes.
Guy Lavorel revient sur la langue déforméeLe « français tirailleur » est évoqué en page 574 par la reproduction de la couverture de La méthode d’enseignement du français tel que le parlent les Sénégalais, édité en 1918 et qui a été réédité en 2016 par les éditions Hachette associées à la Bnf. On peut aussi se référer aux travaux, cités dans cet article, de Cécile Van den Avenne : De la bouche même des indigènes Échanges linguistiques en Afrique coloniale, Vendémiaire, 2017 utilisée avec les soldats d’Afrique sub-saharienne, un français simplifié pour des unités où se côtoient des Africains de langues différentes (bambara, pular, wolof…). C’est un langage stigmatisant d’autant que le bambara pouvait être la langue véhiculaire au sein de l’armée.
L’auteur s’intéresse aux questions linguistiques à travers la littérature coloniale (Raymond Escholier, Mahmadou Fofana, Crès, 1928) ou africaine (Amadou Hampâthé Bâ, Amkoullel l’enfant peul).
Henri Marchal recherche les hommes de l’outre-mer dans l’imagerie de la Grande Guerre, notamment dans la peinture. Cet article offre l’occasion de découvrir les portraits du peintre suisse Eugène BurnandCertains portraits sont reproduits en tout début d’ouvrage. L’auteur présente les différentes images : le combat, les misères de la condition militaire, œuvres réalistes ou de propagande non dénuées de stéréotypes.
Benoit Beucher suit les cheminements de la mémoire des combattants venus des colonies. Quelle transmission de cette mémoire, aujourd’hui, après la rupture des indépendances ? L’auteur note la continuité de la coopération militaire de la France en Afrique sub-saharienne. Il invite à réfléchir à cette mémoire pour les troupes françaises appelées à intervenir au sahel. Il évoque les objets porteurs de mémoires comme le drapeau du 1er RTS décoré en 1919 de la légion d’honneur. Il décrit les cérémonies du souvenir et analyse les monuments aux morts et cimetières, généralement peu connus.
Arnaud Léonard ausculte la mémoire malgache des soldats et travailleurs de la Grande Guerre. Dans la tradition funéraire malgache la commémoration des morts est très importante, c’est pourquoi l’étude des monuments érigés à partir des années 1920 est intéressante comme celui du caporal Joseph Ranairo entre propagande politique et tradition malgache. D’autres monuments aux morts collectifs sont présentés, une mémoire collective et anonyme car les noms des combattants sont absents. A noter les projets mémoriels du gouvernement malgache pour le centenaire : exposition, stèle à Tamatave et à Tananarive, échange entre lycées français de Tananarive et Tamatave et le lycée de Bar-le–Duc.
Avec Séverine Laborie ce sont les monuments antillais qui sont à l’honneur. L’auteure rappelle les formes de commémorations dans l’après-guerre, notamment le rôle de l’Église. Elle montre que les monuments érigés entre 1926 et 1930 reprennent les modèles métropolitains, commandés en Europe ils ne représentent pas les soldats noirs avant qu’une nouvelle génération de monuments ne prennent en compte cette réalité grâce au sculpteur Emile-André Leroy.
Olivier Blaey recherche les souvenirs de la Grande Guerre en Indochine jusqu’en 1940. Il rapporte le voyage de Joffre (dec. 1921- janv. 1922), la création des amicales d’anciens combattants et en 1930 de l’Office colonial du combattant. Il décrit les célébrations fastueuses des cérémonies du 11 novembre et les monuments dont celui de Hué remarquable pas sa taille. Si le nom de nombreuses rues de Saïgon évoquent la Grande Guerre, les héros honorés sont français. On peut s’étonner que cette remarque ne soit pas faite.
Douglas Gressieux se pose la question de l’entretien de la mémoire dans les comptoirs de l’Inde. Après un bref rappel de l’histoire de ces cinq comptoirs, l’auteur passe en revue la mobilisation en début de conflit, la situation des comptoirs pendant la guerre : navigation menacée par l’Allemagne dans le golfe du Bengale, cyclone de 1916, solidarité et économie. Quelle mémoire : quelques plaques et statues dont le monument aux morts de Pondichéry, érigé en 1933.
Retour en métropole, Quel patrimoine mémoriel à l’Hôtel des Invalides? Boris Bouget présente les plaques et tombeaux des officiers supérieurs ayant commandé des troupes coloniales comme Franchet d’Espèrey ou Lyautey. Sur celui de Foch on note la présence des tirailleurs.
Christophe Bertrand fait le même inventaire au musée de l’Armée et note quelques lacunes concernant les soldats originaires des DOM-TOM.
Sylvie Le Ray-Burimi complète l’article d’Henri MarchaLes hommes de l’outre-mer dans l’imagerie de la Grande Guerre p. 651-662. Elle s’intéresse aux peintres en mission aux armées dont les œuvres sont au musée de l’Armée. Elle décrit le corpus de ces œuvres qui montrent les soldats au combat ou dans les travaux de logistique. Des noms peu connus pour peintures de qualité reproduites dans l’article.
Itinéraires mémoriels
sur les traces de l’engagement des hommes de l’Empire colonial français
Cette dernière partie entièrement de la plume de Jeanne-Marie Amat-Roze est un parcours des itinéraires mémoriels du centenaire d’abord à Paris et dans sa banlieue. Des informations utiles pour l’enseignant qui voudrait organiser une visite avec des élèves.
Un itinéraire est consacré aux batailles de la Marne (Meaux, Chambry, Villers Cotterêts), un autre au Chemin des dames. Pour les batailles de l’Artois et des Flandres il est fait référence au monument indien du Commonwealth et au cimetière portugais de Richebourg. Verdun, incontournable lieu de mémoire a son itinéraire où figure, outre les lieux des combats, l’impressionnant carré musulman de Douaumont, complété d’un article sur la présence des soldats « indigènes » à Verdunà partir d’un entretien avec Eric DerooLe podcast de l’intervention d’Eric Deroo est disponible sur le site de RFI.