C’est une somme que propose Rémi Dalisson maître de conférences à l’université de Rouen. Sur plus de 500 pages, il choisit de retracer les évolutions des fêtes et commémorations depuis la Révolution française jusqu’à aujourd’hui. On assiste à un véritable défilé pour le coup de fêtes pour certaines bien connues et incontournables comme le 14 juillet, et d’autres franchement oubliées telles la fête de la naissance du roi de Rome ou celle des modifications de la Charte en 1830. L’auteur propose comme pari de lire l’histoire d’un pays au travers de ces moments de célébration. Cette thématique garde en tout cas une grande actualité comme le prouve l’exemple récent de la commémoration autour de Guy Moquet et les polémiques qui en découlent.

La fête, un objet historique

Indéniablement il y a là un angle à la fois original et révélateur. En effet, qui dit changement de régime dit souvent changement de fêtes, ou éventuellement glissements sémantiques lors des célébrations. Ensuite, la fête se déploie dans un espace et il existe clairement des différences entre ce qui se déroule dans les villes et ce qui a lieu dans les campagnes. Là encore donc, la fête dit bien une réalité, à savoir celle d’une France plurielle. Enfin, grâce à ce regard qui embrasse deux siècles, Rémi Dalisson nous permet d’éviter certaines analyses parfois trop rapides, comme celle qui voudrait que ce n’est que récemment que le pouvoir politique a décidé d’utiliser l’histoire pour asseoir sa légitimité. Cette obsession est bien de tout temps et de toutes époques. Notons donc la permanence plutôt que de feindre de croire à une radicale nouveauté.

La fête comme témoin d’une société

Une fête, c’est aussi des moyens techniques pour qu’elle ait lieu. Dès le début, les régimes politiques mettent l’accent sur le fait qu’il faut absolument marier loisirs et pédagogie civique. A l’époque du Second Empire, on voit apparaître sur catalogue de quoi organiser des spectacles de pyrotechnie dans les villes. On ne se situe pas encore ici dans une diffusion auprès du grand public. En revanche, sous la troisième République, on voit émerger des médailles, des écussons tricolores de toutes les tailles. Une certaine tendance à la gadgétisation existe depuis longtemps. Signalons aussi que la fête a toujours connu aussi des oppositions.

Aborder les régimes politiques autrement

Prenons trois exemples : on peut approcher l’empire napoléonien par le biais des fêtes et commémorations. Celui-ci devait résoudre une difficile équation : la célébration d’un « homme nation », car l’empereur doit à la fois se poser en garant de l’héritage révolutionnaire et en même temps le transcender.
Second exemple : on peut aussi envisager la troisième République et enrichir le traditionnel cours sur l’enracinement du régime. Jusqu’aux années 30, la « politique festive ne fut qu’un élément parmi d’autres pour républicaniser la société », avec les écoles…
De la même façon, on peut cerner le régime de Vichy à travers ses fêtes et faire lire et découvrir aux élèves les caractéristiques de ce régime : dis moi qui tu fêtes, et je te dirai qui tu es. On retrouve donc Jeanne d’Arc, les mères de famille ou encore la fête de la Moisson. Vichy fut un mélange d’éléments traditionnels et de nouveautés. Cette histoire hante en tout cas longtemps la France, comme le prouve le dépôt d’une gerbe sur la tombe du maréchal Pétain par de nombreux présidents de la V ème République. Rien qu’à travers cet exemple, on peut faire comprendre aux élèves en quoi ce régime marque la France au delà de sa durée initiale.
Si l’on veut poursuivre, on pourrait aussi aborder la « modernité » revendiquée par Valéry Giscard d’Estaing à travers l’épisode de la « disparition-réapparition « de la fête du 8 mai. Parmi les documents annexes, citons un très copieux tableau des fêtes qui donne certes le tournis, mais dans lequel on peut choisir. Ensuite, un autre document reprend et divise deux siècles en quatre sous-périodes, reflétant autant de tendances dans l’histoire des fêtes et commémorations.

Tendances actuelles

Une centaine de pages est consacrée à la période après 1945, et on aurait aimé encore davantage pour bien approfondir la question. Néanmoins, les grandes tendances sont à présent connues. On assiste à une inflation commémorative pointée par de nombreux historiens. Depuis les années 60, on constate également un désamour pour les fêtes commémoratives, comme une sorte de répercussion de la montée de l’individualisme. C’est aussi l’ère des grands spectacles comme en témoigne le bicentenaire de la Révolution française. L’auteur ne s’attarde pas cependant sur cet épisode, car d’autres ouvrages y ont été spécifiquement consacrés. Encore plus récemment, les historiens pointent la poussée des commémorations sur des sujets de plus en plus nombreux : l’esclavage, le Vel d’hiv… La question en filigrane tout au long du livre, c’est donc bien celle de l’identité. Hier comme aujourd’hui, « la fête c’est la volonté de représenter symboliquement la nation ».

On pourrait considérer ce livre comme un long développement et un prolongement des travaux de Pierre Nora sur un aspect des « Lieux de mémoire », mais ce serait injustement réduire l’intérêt de cet ouvrage. En tout cas, examiner nos commémorations dit beaucoup sur qui nous sommes ou croyons être.

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