Enseigner, ce n’est pas que transmettre du savoir car de nombreux éléments sont à considérer en même temps, comme les gestes utilisés. Jean Duvillard, docteur en sciences de l’éducation et formateur à l’Espe, bataille depuis des années pour que cette dimension ne soit pas oubliée. Il intervient d’ailleurs dans de nombreux colloques, comme récemment à l’Université Numérique d’Automne de Dijon, pour porter cette parole et cette conviction.

Enseigner, un art du détail

L’ouvrage est structuré en trois parties. L’auteur veut d’abord montrer l’importance de « l’action comme partie prenante de l’intention » ; ensuite, et c’est le coeur de l’ouvrage, il s’arrête sur « les gestes et micro-gestes en situation », avant de réfléchir aux perspectives pour la formation en Espe. Son livre s’appuie sur de nombreux exemples concrets et comprend quelques photographies qui illustrent son propos. Il comporte également de nombreux témoignages d’étudiants en master. Le but de l’auteur est donc d’attirer notre attention sur tous ces gestes non anodins et de réfléchir à une formation à ces gestes. Il définit évidemment quelques mots qui structurent son argumentation comme « micro-geste », « gestes professionnels » ou « action gestuée « . L’ouvrage comprend une bibliographie ainsi qu’une liste des abréviations et acronymes utilisés.

L’action, partie prenante de l’intention

« La qualité de la relation éducative dépend pour une grande part de l’incidence des signes qui seront perçus par les élèves … ». Jean Duvillard insiste d’abord pour montrer que les élèves cherchent des signes dans l’attitude du professeur. Il souligne un problème souvent souligné à propos des concours d’enseignement : «  C’est un peu comme si avec l’obtention du Capes ou de l’Agrégation nos étudiants avaient reçu en prime le don du ciel, cette capacité à communiquer à d’autres leur savoir ». Ayant amorcé la question, Jean Duvillard la théorise en introduisant l’idée du signe triadique de Peirce qui lui sert tout au long du livre à fournir des petites fiches récapitulatives. Pour accompagner le lecteur, il en donne tout de suite un exemple. Lorsqu’un enseignant montre un élève du doigt pour l’impliquer et l’encourager à participer, il y a, pour l’élève, d’abord le geste appelé aussi image, puis l’indice, c’est-à-dire que l’enseignant essaye de me stimuler, et enfin le symbole, à savoir que le maître s’intéresse à moi. Jean Duvillard insiste ensuite sur deux gestes essentiels : (se) mettre en scène et (s’) observer. Il montre que les moyens actuels permettraient facilement de garder trace de ces gestes. Il aboutit à la notion de « micro-geste professionnel », c’est-à-dire « un ensemble de petits gestes sensori-moteurs et énonciatifs, conscients ou inconscients qui accompagnent et/ou portent la réalisation d’un geste professionnel. Un micro-geste peut accompagner et /ou porter des gestes professionnels différents. »
Jean Duvillard met ensuite en avant quatre situations professionnelles prototypiques : la situation d’imitation, de lecture, d’observation et la situation d’exploration. Il combine cela avec trois registres : l’instruction, la médiation et l’autorité.

Gestes et micro-gestes en situation

« L’enseignant ne peut tricher sur l’intention qu’il véhicule dans l’instant de sa représentation ; son corps, ses gestes, sa posture, son regard, son placement, sa voix, tous ces marqueurs le trahissent. » Jean Duvillard propose donc des fiches récapitulatives qui s’appuient sur le modèle de Peirce. Il s’arrête par exemple sur l’importance de la main en distinguant une dizaine de gestes. Cette partie est agrémentée de photographies noir et blanc. Le deuxième chapitre s’intéresse à la voix car pour lui, elle va « canaliser l’attention, mais va aussi participer à l’élaboration du sens ». Il fournit là aussi en fin de chapitre ce qu’il nomme « un tableau récapitulatif des gestes qui mettent en scène le micro-geste de la voix ». Ensuite, Jean Duvillard porte son attention sur le regard en proposant notamment de distinguer le regard de convention et le regard de connivence dans l’adressage. Il poursuit avec une réflexion sur l’usage du mot mais évoque également la proxémie, pour savoir à quelle distance se situer par rapport aux élèves. Le chapitre 5 de cette partie envisage le positionnement. Trois mots pour cerner son importance : tactique, placement et déplacements. L’auteur relève ainsi que le professeur de mathématiques de par sa matière tourne le dos aux élèves sur une longue durée.

Perspective pour la formation en ESPE

Dans cette ultime partie, Jean Duvillard plaide pour que tout ce qu’il vient d’évoquer soit enseigné dans le cadre de la formation des professeurs. Il faut professionnaliser cet aspect et aller au-delà du simple bricolage. Il propose ainsi qu’existent des espaces d’analyse de la pratique « où l’étudiant va (se) mettre en scène pour apprendre à repérer puis à maitriser les micro-gestes du métier ». Pour la mise en oeuvre pratique, il apporte sa réponse sous la forme d’un jeu de formation. Celui-ci peut permettre de travailler cinq aspects essentiels : la posture gestuée, la voix, le regard, l’usage du mot et le positionnement dans ses placements et déplacements.

En conclusion, l’auteur plaide pour un « conservatoire des micro-gestes et gestes professionnels ». Signalons qu’il existe un site internet spécifique sur la voix et un mooc insignis qui reprend les grands enseignements de ce livre. Il est indéniable en tout cas que Jean Duvillard met en avant des aspects à considérer dans l’optique notamment de professionnaliser la pratique des enseignants. Il ne faut évidemment pas oublier le contenu de ce que l’on transmet, mais faire l’impasse sur les apports de l’auteur reviendrait à avancer sur une seule jambe.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.