Le lien entre identité et territoire peut paraître peu évident dans un contexte de mondialisation à l’origine d’appartenances multiples. Il s’agit de comprendre comment se fonde le sentiment d’appartenance ? Qu’est-ce qui fait que certains lieux sont plus porteurs d’identités que d’autres ? Telles étaient les questions que se sont posées les chercheurs réunis à l’INED en 2007. Sont ici rassemblées les contributions d’une quinzaine d’intervenants : simples doctorants ou professeurs confirmés (Hervé Le Bras, Yves Guermond).

Un lien entre identités et territoire pas si évident que cela

Si l’essentiel des textes rassemblés ici tourne autour de l’individu, il faut faire attention à ne pas faire systématiquement le lien entre identités et territoire. « En effet, d’une part, le fait même de partager un territoire ne suffit pas à générer une identité unique. » Le parcours d’un individu s’inscrit habituellement dans la longue durée d’une histoire familiale ou d’une histoire locale. Mais l’âge, comme le niveau d’études ou la profession interviennent pour construire un territoire individuel ou collectif. La mobilité géographique joue aussi un rôle dans la construction spatiale de l’identité. C’est ce qu’ont montré les sources mobilisées (enquête Histoire de vie, entretiens semi-directifs) par les chercheurs. « Le sentiment d’appartenance à un territoire se construit sur une expérience et des représentations partagées d’une histoire et d’une mémoire collective. » Ainsi, 55% des personnes interrogées répondent le nom d’une commune à l’injonction : « Si on vous demande d’où vous êtes. » France Guérin-Pace interprète cette réponse comme une marque d’individualisation.

Les relations au territoire : entre appropriation et appartenance

Deux modes de relations au territoire apparaissent : l’appropriation et l’appartenance. L’appropriation demande de se sentir bien dans son territoire. La projection vers un Ailleurs est le plus souvent un mécanisme compensatoire. L’appartenance à un territoire passe par le processus de socialisation et l’acquisition de connaissances historiques et géographiques. On peut s’approprier un territoire tout en se sentant appartenir à un autre. Yannick Sencébé distingue quatre types d’appartenance en fonction de lieux et des liens.
– Dans le cas des lieux d’appartenance qui font liens, le pôle d’attraction est prédominant.
– Il y a le cas des liens d’appartenance qui font lieux. Les réseaux jouent un rôle central. Mieux vaut parler d’ancrage dans ce cas-ci.
– Les liens et les lieux d’appartenance sont dissociés dans le cas des gens qui estiment qu’ils n’ont rien à faire ici mais qui y restent car ils n’ont pas les moyens d’aller ailleurs. « Il y a donc une tension entre un ici, pourvoyeur de l’identité familiale, et un ailleurs, porteur de l’identité sociale. »
– Enfin, le temps présent définit les lieux et les liens d’appartenance. « Les lieux sont des occasions supports pour tisser des liens, et les liens sont des points d’appui pour s’approprier ou fréquenter de nouveaux lieux. » Même dans ce dernier cas, il existe toujours un besoin d’attache, de stabilité, d’identification. « L’appartenance est un processus dynamique en tension entre les pôles de l’attachement et de la distanciation. »
Marie Laetitia Helluy-des Robert estime qu’il existe trois degrés d’intensité du lien à l’espace :
– L’attachement spatial : c’est le premier degré du lien spatial qui peut se limiter à un lien affinitaire avec un lieu sans autre enjeu.
– L’appropriation spatiale a lieu quand l’individu s’investit affectivement dans les lieux. L’attachement est plus fort. L’appropriation peut être de différentes natures : culturelle (référence à la culture du pays), physique (par la fréquentation du territoire) et mémorielle (importance de l’imprégnation enfantine).
– L’incorporation existe quand les lieux font totalement sens pour l’individu. Il y a un véritable investissement territorial au sens premier du terme territoire (espace approprié par un individu).

Le lien au territoire à l’épreuve des faits

De nombreux exemples sont développés dans cet ouvrage pour rendre compte de l’attachement à un territoire. L’article de Catherine Armaret sur les lieux de sépulture en est un bon exemple. Elle s’intéresse plus spécifiquement à la sépulture de cendres car la loi, malgré le décret de 2007, est permissive par rapport à ce qui est prévu concernant les corps. Elle a formulé l’hypothèse que le destin des cendres (source : testaments de crémation) était révélateur de l’identité territoriale. Son étude montre que, dans un certain nombre de cas, un testament très précis est rédigé. Mais, paradoxalement, la moitié des personnes qui ont prévu de se faire incinérer n’ont pas envisagé la destinée de leurs cendres. Vincent Veschambre s’intéresse à la patrimonialisation des espaces jusque là désaffectés : chapelles, usines, unité d’habitation de Firminy, camp d’internement de Tsiganes à Montreuil Bellay. Il voit dans ce processus de patrimonialisation un processus de construction identitaire ou une identification à un espace. Ce sont les déracinés (ceux qui sont ici depuis peu) qui s’investissent le plus dans ce genre d’initiative. C’est aussi, pour eux, une manière de valoriser leur quartier et d’en espérer, à terme, une gentrification dont ils seront les bénéficiaires en tant que propriétaires fonciers.

L’entrée par l’identité et le territoire est très riche comme en témoigne la diversité des contributions. L’identité territoriale ne se décrète pas. L’identité transfrontalière de la Grande Région SarLorLux a été difficile à construire sans parler du destin éphémère de la Septimanie, chère à Georges Frêche. Car « à vouloir participer de cette dynamique générale et aspirer à devenir autre chose que ce qu’elle est, à savoir un espace essentiellement économique, pensé par le géographe et mis en musique par le politique, la région ne peut se doter d’une identité propre qu’à condition de ne pas ruiner les efforts d’affirmation des territoires qui, en son sein, concomitamment, s’inventent et se réinventent. » Une belle leçon de Sylvie Sagnes pour les cabinets de marketing territorial !

Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes