A tous ceux qui ont aimé Comment je suis devenu géographe, la lecture de cet opus devrait les ravir. Voici réunis ici neuf textes de géographes dont les noms doivent forcément dire quelque chose à qui a suivi une formation en géographie ! Ces textes, publiés à la suite d’un séminaire « Autrement dit : regard sur les espaces et les sociétés tropicales », qui s’est tenu en 1986 à Paris, tiennent à la fois du carnet de bord et de l’autobiographie. Chacun revient sur son parcours, ses avancées et ses déceptions.
Gros plan sur le parcours de trois monuments de la géographie !
Gilles Sauter
Dans Journal d’un curieux, Gilles Sauter estime que c’est « l’ailleurs et c’est l’autre qui ont alimenté mon irrémédiable curiosité ». Cette curiosité l’a mené de l’Afrique centrale, aux Cévennes, de rencontres (notamment celle de Pierre Gourou) en découvertes. « Une merveilleuse découverte aura été pour moi celle du paysage à la verticale, de sa mise en conserve sous forme de photographies aériennes. » Ce monument de la géographie a traversé le XXème siècle. Son attirance pour l’Afrique lui vient de sa visite, enfant, de l’exposition coloniale de 1931. Son expérience d’homme lui a permis de rejeter le colonialisme par la suite, avant d’enseigner la géographie du Tiers-Monde. Il s’est aussi engagé pour défendre la géographie mise en péril dans les années 1970. Un vaste panel de champs d’études défrichés par ce géographe, qui se montre très modeste sur ce qu’il a pu écrire : « C’est très souvent le hasard d’exposé ou d’une communication ou d’une proposition d’article, sur un sujet qui m’était plus ou moins imposé, qui a fait venir à jour des idées restées jusqu’alors dans le flou : rencontre d’une occasion et d’une préoccupation latente. »
Jean-Pierre Raison
Jean-Pierre Raison (le coauteur avec Alain Dubresson du volume de la GU consacré à l’Afrique) se déclare « sédentaire contrarié ». Etonnant pour un africaniste. « Pour moi, partir, c’est mourir un peu : tout départ en tournée ou en mission est un arrachement, d’autant plus qu’il impose fatalement rangement de mon capharnaüm, règlement de problèmes trop longtemps gardés sous le coude, bref, classement et archivage qui ont toujours un relent d’inventaire avant décès. » Celui qui a parcouru et séjourné à Madagascar pendant 7 ans, a fait ses classes de géographie dans le Boulonnais en menant des enquêtes dans des fermes, la peur au ventre ! « Enquêter, c’est avouer son ignorance, c’est demander service et sans doute, je ne m’y plie pas aisément : mais c’est aussi être et se sentir un intrus. Croire, « sur le terrain », participer est une dangereuse illusion : on est autre et on le demeure, à l’étranger plus qu’ailleurs ; on doit demeurer autre pour faire œuvre scientifique ; mais l’intrus doit s’insérer, « être dans » tout en étant du dehors. »
Roland Pourtier
« La signification d’une recherche ne se comprend complètement qu’en référence à l’histoire du chercheur. Décliner son itinéraire, c’est un peu décliner son identité. » Ainsi débute l’histoire de géographe de Roland Pourtier pour qui le voyage fait partie intégrante du métier de géographe. N’allez pas croire qu’il peut y avoir amalgame entre voyage et tourisme. « Par voyage, j’entends naturellement autre chose que ces mouvements grégaires et saisonniers vers des séjours préfabriqués, vers des lieux qui d’être pré-signifiés ne sont que des simulacres réduits à un pittoresque de mode. » Du Sylvie Brunel ou de Jean-Didier Urbain avant la lettre ! C’est par le Vietnam que Roland Pourtier est entré en géographie. C’est à cause des combats de la guerre qu’il a abandonné ce terrain pour l’Afrique (Gabon) : « L’expérience des tropiques vacants après celle des tropiques bondés ». C’est pour restituer les relations des populations des espaces peu densément peuplés de la forêt qu’il met au point la notion d’espace fluide. L’inclusion de la problématique Etat dans le cadre de sa thèse « Organisation de l’espace et développement au Gabon » a introduit une dimension géohistorique à son travail.
Si le parti-pris de cet ouvrage est biographique et même autobiographique, les textes n’occultent pas les échanges et le travail commun mené dans des équipes multidisciplinaires. Tous insistent sur la richesse de ceux-ci et expliquent à quel point cela les a aidés à avancer dans leur recherche.
Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes