Voltaire a été le colporteur de cette image que conteste l’auteur. Il remet en cause cette démarche du grand philosophe qui présente une image faussée ou inexacte de la justice parce que les affaires dont il s’est occupé étaient exceptionnelles. Pourtant ces scandales judiciaires ont été considérés pendant longtemps comme représentatifs de toute la justice.
Selon Benoît Garnot, seul Alexis de Tocqueville a fait preuve de nuance à propos de cette organisation de la justice. Par contre, il a des mots très durs contre Michel Foucault qu’il accuse d’avoir amplifié la légende noire de cette justice dans «surveiller et punir».
Ainsi ‘auteur part de l’idée que Voltaire avait tort dans le tableau qu’il dresse du fonctionnement de la justice. Il va plus loin en fait en parlant d’imposture intellectuelle. C’est donc là l’objet de cet ouvrage, qui vise à trouver des réponses à cette question dans l’examen des compétences de Voltaire, dans son intérêt tardif pour certaines affaires et sur ses opinions sur les procédures, les peines et les magistrats.
À l’évidence, on pourrait déjà répondre à cette question, Voltaire est-il un théoricien de la justice ? avant d’avoir attaqué cet ouvrage qui est toute de même, en plus d’un réquisitoire contre le philosophe de Ferney, une très intéressante présentation de ‘ordre judiciaire de l’ancienne France.L
Voltaire a-t-il des compétences juridiques ? À l’évidence, cet étudiant en Droit a été bien peu assidu et même à la fin de sa vie, dans sa bibliothèque de Ferney, 3281 volumes conservés en Russie, seul 39, soit 1,18 % étaient consacrés au Droit.
Ses correspondances avec les hommes de loi sont rares. 63 sur 1500 lettres, également conservées. Par contre, il lit avec beaucoup d’intérêt le livre de Cesare Bonesana Boccari, traduit en Français en 1766, «des délits et des peines.». Ce juriste propose de séculariser la justice, de modérer et de graduer le peines, de supprimer la torture et d’abolir la peine de mort.
En fait, Voltaire s’intéresse à la justice à partir de l’Affaire Calas. Avant ce grand fait divers judiciaire, il est surtout préoccupé de ses propres problèmes avec la justice royale et dans ce cas il fait plutôt jouer son relationnel. En 1762, lorsque l’affaire Calas éclate, Voltaire a 68 ans. Riche, connu et honoré, il s’engage dans cette affaire. Pendant cinq ans, il va s’y consacrer en écrivant 300 lettres.
Plus que la passion de la vérité, Voltaire entend, au vu de cette affaire Calas, – le père est accusé d’avoir assassiné son fils qui voulait abjurer la foi protestante -, régler son compte à l’Église. «Écraser l’infâme» disait-il.
Pourtant il met en cause, en même temps, le fonctionnement de la justice royale.
Il se spécialise dans une autre affaire de ce type, avec l’affaire Sirven. Encore des huguenots qui tuent leur fille qui voulait abjurer. Enfin, avec l’affaire du Chevalier de la Barre, condamné à mort et exécuté en 1766 pour avoir abimé sur un crucifix. cette fois-ci il s’engage encore davantage y compris pour défendre en 1766 Lally Tollendal, un général français condamne à mort pour trahison.
En fait, d’après l’auteur, Voltaire est surtout un excellent journaliste plus qu’un véritable chroniqueur judiciaire. il sait faire du tapage médiatique mais sa connaissance des dossiers serait d’après Benoît Garnot plutôt légère.
Pourtant, au delà des erreurs judiciaires il s’intéresse aux limites de cette procédure judiciaire d’Ancien régime. Pourtant, si on examine celle-ci de près, le fonctionnement n’est pas très différent de l’actuel pour les questions ordinaires. La Loi prévoit que les aveux suffisent, et évidemment le problème de l’obtention de ces aveux se pose. Pourtant la question est très peu utilisée depuis le XVIIe siècle. L’usage d’ancien régime veut que la condamnation ne soit possible qu’avec deux témoignages concordants ou si des présomptions suffisantes permettent de se limiter à un seul.
L’examen de la justice et de son fonctionnement sous l’Ancien régime a évidemment amené Voltaire à développer des propositions. Il ne remet pas en cause la légitimité des peines qui vient du Prince et de la nécessité morale. Il n’est pas hostile à la peine de mort mais il refuse la cruauté dégradante. Il conteste pourtant, et c’est assez novateur, le caractère dissuasif de la peine de mort. Et en fait il la relie à l’Église et aux tourments de l’enfer.
À propos de l’erreur judiciaire, il y aurait beaucoup à dire sur la vision que Voltaire entretient, en affirmant que celle-ci n’est pas réparable pourtant, en 1788 une déclaration royale réitère la possibilité d’une indemnisation et l’engagement de responsabilité d’un juge.
La vénalité des offices est une réalité depuis le XVIe siècle toutefois d’autres conditions sont requises et notamment d’âge et de compétence. Heureusement d’ailleurs le premier président et le procureur général sont nommés par le Roi. Par contre aucune limite d’âge n’est fixée à l’exercice de charges de justice.
En fait pour l’auteur, Voltaire a véritablement bâti de façon évolutive un schéma de réforme de la justice mais sans référence au droit. Il rédige pourtant un plan de réforme de la justice publié anonymement en 1777. En 28 articles, il évoque une laïcisation de la justice, sans forcément référence à la séparation des pouvoirs que l’on trouve développée par ailleurs. Voltaire a davantage polémiqué sur la justice que réfléchi sur le Droit et en fait, malgré le retentissement de ses prises de positions ses propositions sont restées partielles et inabouties. La mise en place d’un ordre judiciaire est le fruit d’une longue évolution. Toutefois Voltaire a été sans doute et surtout celui qui a favorisé une réflexion sur l’injustice plutôt que sur la justice. L’auteur aurait pu lui en faire crédit.